Tous les articles par Yves Marchand

Mon nombril

« La conscience nous permet de voir ce qui est bien et ce qui est mal » expose un « cahier de morale » daté de 1950, retrouvé par hasard dans un vieux carton de déménagement.

Cela fleure bon les maximes reprises chaque matin par l’instituteur, en lettres calligraphiées à la craie, sur le tableau noir.

Plus loin, on peut lire : « Si misérable que l’on soit, on peut toujours éprouver la joie de faire plaisir aux autres », et plus loin « Dévouez-vous sans rien attendre. Il faut penser aux autres plus qu’à soi-même. » Ca sent l’encre violette et les encriers en faïence blanche insérés dans leurs emplacement creusés à leur diamètre en bordure du pupitre incliné.

Certes, le style en est naïf, vieillot, prescripteur et, pour tout dire, moralisateur.

Mais au-delà du style, le fond de ce manuel d’écolier, bible des hussards noirs de la République, empreint de morale laïque héritée de morale chrétienne, met le doigt sur la solidarité, préoccupation majeure de la France de l’après-guerre.

Les « Rouges » et les « Blancs » visaient le même objectif, altruiste, solidaire, tourné vers un avenir qui, après l’horreur, ne pourrait qu’être que meilleur. Et pour nourrir cet objectif, une conscience collective puissante fondée sur la conscience individuelle, avec en arrière-plan, l’œil de Caïn perçant sous la légende des siècles de Victor Hugo, héraut de la République.

Le « Prends bien soin de toi » formulé aujourd’hui à tout bout de champ à la manière du « bonne dégustation ! »,  d’un serveur de restaurant aussi indifférent qu’apprêté, a remplacé le « penser d’abord aux autres » jadis présent dans tous les esprits mais jamais prononcé, un non-dit de pudeur.

Ce qu’on faisait, on le pensait, sans le dire. Ce qu’on ne fait pas, on le dit, sans le penser.

La formulation du « Take care » à la française, même creuse, est révélatrice.

Le souci de soi, de sa santé, des risques courus, de ce qu’il faut éviter pour ne pas perturber un train-train ennuyeux, l’emporte sur tout. Mille fois s’ennuyer plutôt que de risquer l’écueil. Assurance tous risques et principe de précaution.

Il n’y a plus de « Rouges » ni de « Blancs ».

Il n’y a que des prescripteurs de remèdes de bonnes-femmes censées vous apporter la sécurité, une religion animiste censée combler votre désir d’identification à la planète et une vague philosophie hindouiste censée vous apporter la sérénité.

« Tout pour ma gueule » ou TPMG, dit-on à présent.

Le contraire de tout ce que nous avons appris lorsqu’on nous couinait dans les oreilles « Tu n’es pas le nombril du monde ! »

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SOURIRE

Un billet que j’aime bien, d’Yves Marchand, H.D.

Nous nous prenons vraiment trop au sérieux. Imbus de nous-mêmes – on ne sait pourquoi – l’humour et l’auto-dérision ont cédé la place au sarcasme et à la lourdeur. Un « relou »renforcé – on n’est jamais assez prudent – par un emoji qui prémunit l’auteur d’ une « vanne » (rien que le mot est vulgaire) contre l’incompréhension de son interlocuteur. Le tout s’achevant dans la complicité d’un rire gras.

Adieu légèreté, humour et allusion discrète, soucieuse de ne pas blesser mais tout au plus d’égratigner, à charge de revanche…

L’univers se prend au sérieux. En tête, les grands de ce monde et ceux qui prétendent en devenir les maîtres. Tous nous présentent un visage de circonstance. Et seule alternative à leur sinistrose, ils s’esclaffent ou ricanent, comme si d’un seul coup, perdant tout maintien, ou pris de boisson, ils se laissaient aller à la gaudriole.

Peut-être alors décompressent-ils, ou prennent-ils conscience de la vanité des mots qu’ils prononcent. Les ricanements de Trump, les fous rires de Clinton et de Ieltsine, et plus récemment les franches rigolades de Boris Johnson nous ont fait découvrir les clowns qui percent sous les puissants.

Seule échappe à ce carnaval de figuration la plupart des dirigeants asiatiques. Question de culture.

Les dictateurs classiques, du liquidateur Kim Jong-un aux frères Castro, en passant par le sinistre Poutine, ne font pas exception à ce ridicule.

Quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, tous ces gens ignorent le sourire. Qu’il soit signe d’empathie et de sincérité, ou d’ironie et de duplicité. Ils ne connaissent en dehors des mots que le rire de corps de garde.

Alors que tout dépend du sourire qui se passe de mots.

Après une longue carrière au service des mots, de prétoires en tribunes diverses, j’ai récemment – il n’est jamais trop tard – fait l’expérience d’un dialogue sans mots. Ou, devrais-je dire, d’un monologue ponctué de sourires en guise de réponses. On peut tant dire par un sourire… Et c’est tellement moins bruyant ! Seulement voilà, contrairement aux mots, le sourire exige l’écoute réciproque. On s’écoute quand on s’aime. Et le sourire est acquiescement.

Les mots virevoltent, se bousculent, se heurtent, se hachent, se murmurent, se hurlent, s’effacent et puis, s’oublient. J’ai honte d’en avoir tant dit.

Le sourire, lui, s’installe, transfigure celui qui le fait et s’imprime à jamais dans la mémoire de qui le reçoit. Rien de plus beau qu’un sourire d’enfant et de plus émouvant qu’un sourire de malade.

Sourire d’affection, de mépris, de sarcasme ou d’ironie, plus fort que toute déclaration, il est révélateur de la pensée.

Tandis qu’on s’interroge sur la sincérité des mots.

C’est le sourire qui engage, pas les mots.

C’est lui qu’il faut croire.

Méfions-nous du verbe qui tente de dire plus que le sourire.

Il dissimule la duplicité.

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