Le magicien

Le biographe est le confident privilégié du personnage qu’il a choisi de mettre à nu. À moins de se muer en hagiographe, il vit dans son espace et rend compte de ses moindres travers.

« Il n’est pas de grand homme pour son valet de chambre ».

Et le romancier en rajoute pour donner à son sujet sa dimension héroïque.

Le roman- biographique de Thomas Mann par Colm Toibin*, comme celui de Henry James ( Le Maître) qui l’avait précédé, ne fait pas exception à la règle.

Tout autorise le biographe à pénétrer dans la vie intime de l’auteur qu’il décrypte. Et rien n’interdit au romancier d’aller au-delà en filmant les sentiments refoulés de son héros. On ne peut plus démêler le vrai du faux.

Thomas Mann reste une énigme.

Personnage brillant, ambitieux, célèbre,  conservateur, discret, refoulé, il est dépeint par Colm Toibin dans sa vie intime, dans sa vie familiale, dans sa vie mondaine, dans ses rapports aux autres et surtout aux hommes, jeunes de préférence, comme un homme seul, égocentrique, retranché sur lui-même et ne prenant part à la vie extérieure que pour satisfaire son exigence de littérature et son besoin d’exprimer par écrit des sentiments qu’il craindrait autrement de voir s’évanouir. Au risque, notamment dans sa vie intime, de laisser des traces qu’il pourrait regretter. Il ne fera pas son « coming out ».

Prix Nobel de littérature, révéré des puissants, et ignoré des modestes, il vit dans son monde, l’Allemagne de Goethe, de Beethoven et de Schiller. À la manière de Stephen Zweig, il vit dans le monde d’hier, peu soucieux de ses contemporains.

C’est dire combien le nazisme constitue à partir de 1933 une rupture pour ce juif non pratiquant, époux d’une grande bourgeoise juive et athée.

L’exode, la Suisse et l’Amérique, une mission de porte-parole des gens de bon sens et du juste milieu, la proximité avec les puissants, la sauvegarde des siens, la préservation de son intimité, il met tout en œuvre pour sauver ce qui peut l’être de ce à quoi il croit. Jusqu’à ce qu’il constate que rien ne peut être sauvé.

Comme Hannah Arendt le théorisera plus tard, il sait que la barbarie n’est pas seulement le fait d’un groupe mais celui de tout un peuple. Son aspiration n’est plus alors qu’à assumer sa liberté de penser.

Éconduit poliment des USA où il a trouvé asile et nationalité, faisant, lui et sa famille, l’objet d’investigations du FBI, refusant ce que le monde soviétique avait offert à Bertolt Brecht, il se réfugiera en Suisse sans jamais retrouver l’Allemagne qu’il adulait.

Un rêve de poète.

*« Le Magicien » Colm Toibin Ed. Grasset

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