Plus de 5.000 magistrats, sur les 9.000 que compte la profession, ainsi que 1.200 greffiers, viennent de signer une pétition dénonçant, après le suicide d’une jeune juge, une « justice qui maltraite les justiciables mais également ceux qui œuvrent à son fonctionnement »
Les magistrats, ces notables membres de l’élite bien que ne faisant pas partie de l’énarchie, piliers et soutiens du pouvoir, se mettent donc eux aussi à se plaindre de leurs conditions de travail, malgré le devoir de réserve qui leur est fait.
Ils sont en effet, avec la police, mais dans des conditions beaucoup plus confortables que les membres de cette dernière, l’ultime rempart du pouvoir … et on a vu que leur main n’a pas tremblé pour sanctionner massivement les gilets jaunes et obtenir la liquidation du mouvement … ni d’ailleurs pour engager, toutes affaires cessantes, des poursuites inédites contre un candidat aux élections présidentielles de 2017 dans le but évident de provoquer son élimination.
Voilà donc une belle phrase qui met en avant le justiciable avec un effet miroir sur les malheurs de « ceux qui œuvrent à son fonctionnement » c’est à dire ceux qui appliquent la justice.
Sauf que si le justiciable était réellement pris en considération par les magistrats, cela se saurait !
En fait, comme le dénonce l’hebdomadaire le Point, il s’agit essentiellement d’une récupération syndicale du suicide, le 23 aout dernier, d’une jeune magistrate de 29 ans en souffrance psychologique (à la suite d’une rupture amoureuse et de la mort de son chat !?!) et suivie en psychiatrie en raison d’une première tentative de suicide mais qui continuait à exercer ; ce qui n’est pas très rassurant … surtout pour le justiciable.
Sa mort, aussi regrettable soit-elle, surtout pour une personne aussi jeune, n’a donc en fait rien à voir avec l’exercice de la profession !
Qu’en est-il réellement ?
Encore faut-il préciser que cette pétition ne concerne que les magistrats de l’ordre judiciaire (civil et pénal). Les magistrats de la juridiction administrative ont un statut différent et une organisation totalement à part.
Qu’il y ait des magistrats en souffrance, cela n’a rien d’étonnant mais c’est le cas dans … toutes les professions, malheureusement.
Il est vrai qu’il y a relativement peu de magistrats en France en comparaison avec les autres pays de l’Union Européenne. Ils seraient donc surchargés de travail ; ce qui les amène à poser la question suivante : Comment rendre des décisions qui ont un impact majeur sur la vie de centaines de milliers de personnes alors que le stock de dossiers ne cesse de croître et que les sous-effectifs sont récurrents ?
Ils se plaignent d’avoir trop de dossiers, du manque de personnel mais ce n’est pas propre à cette profession … et dans l’administration, la revendication du manque de moyens et de personnels est récurrente alors que le secteur public français est l’un des plus développés de l’Union Européenne mais aussi l’un des plus couteux.
Le budget du ministère de la justice est 8.2 Md € et il est évident qu’il sera toujours insuffisant …
Evidemment, on peut le comparer au budget du ministère de la culture, qui ne sert à rien, mais qui s’élève quand même à 7.62 Md € se décomposant en 3.8 Md€ (hors audiovisuel public) en 2021 mais 4.08 Md€ pour 2022 et 3.54 Md € pour le budget de l’audiovisuel public (France TV, TV5 monde, ARTE, Radio France, …) ; soit donc un total bien proche (à 600 millions près) de celui du ministère de la justice.
Quand la culture, à la fois instrument de propagande du pouvoir par excellence et de favoritisme par le biais de la distribution de nombreuses et généreuses subventions à une profession qui a toujours été choyée par le pouvoir (il n’est qu’à voir les subventions au cinéma français pourtant si médiocre ou encore le système indécent d’indemnisation des intermittents du spectacle), apparait être aussi importante que la justice ; cela prouve surtout que les priorités de l’Etat ne se situent pas au niveau de la justice.
On ne peut que le déplorer mais est-ce que cela interfère réellement dans le fonctionnement de la justice ?
Un misérabilisme déplacé
Les magistrats sont des fonctionnaires assurés d’un salaire tout au long de leur vie professionnelle et d’une excellente retraite. Ils ne risquent pas le chômage et leur travail n’est pas très fatigant car, contrairement aux avocats, ils n’ont pas à se déplacer d’un tribunal à l’autre ou, comme la police, à courir derrière des délinquants qui peuvent être armés …
J’ai vu les policiers du commissariat des quartiers nord de Marseille littéralement submergés par les plaintes. TOUS les matins, le hall d’accueil est plein de dizaines de personnes dont il va falloir enregistrer les plaintes et dépositions ; travail rébarbatif, usant et bien souvent complètement inutile puisque les poursuites ne sont jamais engagées !
Quand j’ai démissionné du barreau, j’avais constaté qu’il me fallait travailler de plus en plus pour gagner de moins en moins.
Les magistrats, eux, travaillent juste un peu plus qu’avant mais ne travaillent pas pour rien puisque le salaire médian des magistrats est tout de même de 4.500€ par mois alors que, mais cela se sait peu, il existe un sous prolétariat parmi les avocats dont beaucoup ont beaucoup de mal à simplement gagner le Smic !
Il faut aussi connaitre l’envers du décor pour savoir comment fonctionne le système judiciaire.
Les magistrats méprisent souvent les avocats, les prennent pour des empêcheurs d’enfermer en rond, des complices de leurs clients, et exigent de ceux-ci qu’ils soient à leur disposition. D’ailleurs, je n’ai jamais vu un magistrat prendre en compte le temps qu’ils faisaient perdre aux avocats qui eux ne sont pas des salariés de l’Etat !
Les magistrats ne sont pas non plus des employés ordinaires, astreints à une présence sur leur lieu de travail et d’ailleurs ils ont le droit d’emporter des dossiers à la maison pour les étudier et rédiger leurs jugements.
En application de l’article 10 du décret du 25 août 2000, les magistrats en qualité de « personnels chargés (…) de fonctions d’encadrement, (…) de fonctions de conception (…) bénéficiant d’une large autonomie dans l’organisation de leur travail »
peuvent faire l’objet de dispositions spécifiques adaptées à la nature et à l’organisation du service ainsi qu’au contenu de leurs missions.Ils ne sont pas soumis au régime normal des 35 heures. Ils n’ont donc pas, en dehors des nécessités du service, d’obligation particulière d’assiduité, ou de « pointage ».
Les audiences correctionnelles, qui sont souvent regroupées sur 2 jours par semaine par tribunal ne sont nullement le fait des avocats ou des prévenus ou d’une décision du président du tribunal mais bien des magistrats qui organisent leur planning de travail et qui regroupent les audiences pour être le moins possible au tribunal, et au surplus en audience car c’est pour eux une « perte de temps » ; d’autant plus que certains n’habitent même pas sur place (ils peuvent habiter à Nantes et être juges du siège à Versailles). La concentration des audiences est donc effectuée dans leur intérêt.
On ne peut donc pas s’étonner que, dans ces conditions, les audiences se terminent à 22h30 …Évidemment, à vouloir trop concentrer les audiences, on finit par avoir des piles de dossiers invraisemblables et les avocats font ce qu’ils peuvent pour essayer de sauver leurs clients d’un système qui ressemble beaucoup à une machine à broyer les gens.
Il est vrai qu’un JAP (juge d’application des peines) qui doit gérer seul 180 dossiers doit consacrer un minimum de temps par dossier mais en l’occurrence ce sont essentiellement les condamnés qui en subissent les premiers les conséquences.
C’est en fait le problème du manque d’adéquation entre des règles judiciaires strictes (notamment de délais) et des moyens qui ne permettent pas de les suivre.
Audrey Berrier, jap à Brest affirme : « À Brest, aussi, on juge vite et mal. On n’est que dans la gestion des flux et ce, pour toutes les fonctions, qu’elles soient civiles ou pénales ».
Mais personne ne leur demande de faire de l’abattage comme je l’ai vu se pratiquer dans les audiences correctionnelles avec parfois des décisions complètement inadaptées … comme si le juge n’avait même pas lu le dossier ni écouté les avocats !
Ils se plaignent en fait du mauvais fonctionnement de leur administration. Cela évidemment ne peut surprendre personne puisque nous savons que toutes les administrations françaises (ou presque) fonctionnent mal malgré un cout exorbitant ; pourquoi donc en irait-il différemment de la justice ?
Ce mauvais fonctionnement général de l’administration est surtout le symptôme qu’il y a quelque chose qui va mal dans ce pays. C’est la loi soviétique qui s’applique selon laquelle tout système administratif et bureaucratique finit par s’écrouler sur lui-même sous le poids de sa propre inertie et de son incapacité à résoudre ses contradictions.
En outre, entre l’absentéisme injustifié mais jamais sanctionné, les abus d’arrêts maladie, les congés (les magistrats ont 45 jours de congés dans l’année), les horaires « allégés », on sait que le système administratif français a dépassé depuis longtemps le seuil de l’inefficacité !
Les magistrats sont aussi confrontés, comme le justiciable, à l’effet pervers de la judiciarisation générale de la société en raison de l’édiction maladive et forcenée de normes, règles et directives imposées par une administration omniprésente et dont le respect est sanctionné par d’innombrables poursuites pénales, malgré un souci de simplification des procédures qui se réalise, bien souvent, au détriment du justiciable. C’est notamment le cas avec la création de nombreux délits écologiques …
Des évolutions significatives récentes … au bénéfice des magistrats
L’arrivée de l’informatique a révolutionné le système judiciaire qui fonctionnait encore il y a peu comme au 19°siècle (mais les avocats faisaient de même). Il n’est pas anormal que les magistrats soient obligés de s’adapter ce qu’ils font souvent de mauvaise grâce car ils rechignent à taper leurs propres jugements et ordonnances habitués qu’ils sont à bénéficier d’un greffier à leur disposition. J’ai manié plus souvent qu’à mon tour le clavier pour rédiger mes conclusions sans avoir à m’en plaindre particulièrement.
On doit aussi se souvenir que les audiences des tribunaux de police ont été largement réduites depuis l’instauration des radars automatiques et du renversement de la charge de la preuve ; lequel entraine de manière quasi systématique la condamnation de l’auteur présumé de l’infraction (en matière de contraventions routières), sans possibilité de recours ni même de défense !
Le désengorgement des tribunaux et la simplification de la procédure se sont opérés en l’occurrence tout à l’avantage des magistrats (qui ont vu leur charge de travail considérablement réduite puisqu’ils n’ont plus à siéger pour ces contraventions routières) ainsi que de l’Etat qui perçoit les amendes (1.2 Md€ par an !) mais sur le dos du justiciable puisque cette réforme a abouti à évincer de facto tout droit à la défense.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier non plus que, sous le ministère de Rachida Dati, a été menée à partir de 2007, au pas de charge et malgré l’opposition des professions judiciaires (magistrats et avocats), une grande réforme de la carte judiciaire, afin de tenir compte officiellement de l’évolution démographique.
Cette réforme a provoqué la fermeture de nombreux tribunaux (178 tribunaux d’instance et 23 tribunaux de grande instance) dans le but de créer des pôles de justice visant à limiter l’éparpillement judiciaire, mais aussi dans le but évident de réduire les frais de fonctionnement. La réduction du nombre de tribunaux a permis une certaine remise en adéquation du nombre de magistrats avec le nombre de tribunaux. Mais, évidemment, la fermeture de certains tribunaux peu fréquentés, où les magistrats se la coulaient douce, a provoqué un certain mécontentement.
Toutefois, cette réforme a eu un effet collatéral en ce qu’il a provoqué un éloignement sensible des tribunaux pour bon nombre de justiciables. C’est bien au détriment du justiciable que cette réforme a été faite et c’est le même mécanisme qui a été utilisé pour fermer bon nombre d’hôpitaux afin de réduire les couts de la santé avec là encore le même effet pour la population.
Enfin, il faut se souvenir qu’il a été opéré une réforme des procédures de divorce avec une immense simplification du fait de la déjudiciarisation des divorces par consentement mutuel. Il s’agit d’un immense progrès qui a permis d’économiser un temps judiciaire considérable autant au bénéfice des justiciables que des magistrats alors que j’ai connu, pour ma part, les longues files d’attente avec les audiences (en chambre du conseil) à la chaine.
Les revendications corporatistes des magistrats apparaissent finalement assez déplacées et j’ai du mal à compatir aux malheurs d’une profession bien à l’abri des contingences matérielles.
Le misérabilisme de l’élite ne m’émeut finalement pas beaucoup et m’apparaît être plutôt indécent !
Bien cordialement à tous !
Licence de publication : la reproduction de cet article est autorisée à la condition de le reprendre en totalité, d’en rappeler l’auteur et le site originel de publication.
Pour juger des crimes imaginaires qui rapportent beaucoup de pognon, il y a du monde. Pour juger des vrais crimes, beaucoup moins. Sarah Halimi appréciera.
Le rapport en Anglais sur la justice, l’état de droit (de 114 pages 18 Mo), en Europe et en France de l’Union Européenne d’octobre 2021 et donc je vous prie de lire la traduction du paragraphe du sujet de ce rapport sur la France, cliquez pour lire la traduction sur ce lien = http://injustice.blog.free.fr/public/Traduction_Rapport_Parlement_Europe_en_word.pdf , rapport réalisé par Madame La Députée Irlandaise Clare DALY , son assistante Mme Bethany Tallulah HOWARD, et avec ma participation ainsi que celle de Monsieur Ernest PARDO ( Auteur de la supercherie judiciaire ) et autres. Bonne lecture !