L’obsession de la fraude chez les hommes de Bercy

Je livre aujourd’hui à votre réflexion une circulaire du 22 mai 2014 ; laquelle fixe la position du ministère des finances en énonçant :

« L’égalité devant l’impôt et le consentement à l’impôt sont des principes fondateurs garants de notre démocratie. La fraude fiscale cause un grave préjudice moral et financier à la société dans son ensemble qui porte directement atteinte au pacte républicain. Une action plus déterminée que celle qui a pu être menée par le passé est indispensable pour lutter efficacement contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, et restaurer ainsi la confiance de nos concitoyens dans l’égalité devant l’impôt et l’efficacité de l’action publique. »

Le ton est donné : On ne plaisante pas avec le recouvrement de l’impôt car l’impôt est un instrument de cohésion sociale et la bonne gestion des deniers publics passe donc par une « action plus déterminée » ; c’est à dire par une traque fiscale plus efficace.

Car la fraude fiscale cause « un grave préjudice moral et financier à la société »

Et vous savez quelle est l’autre justification qui court dans les ministères ? Nous sommes en pleine « disette budgétaire ». De ce fait, toutes les ressources doivent être mobilisées pour récupérer les 80 mds € ; montant estimé de la fraude !

Il n’y a qu’un problème, et de taille : Tout ce qui vient d’être dit est faux !

Un argumentaire falsifié pour masquer la réalité de la situation :

I – affirmer que L’égalité devant l’impôt et le consentement à l’impôt sont des principes fondateurs garants de notre démocratie constitue une véritable imposture car cela fait bien longtemps qu’il n’y a plus ni égalité devant l’impôt ni consentement à l’impôt.

57% des français ne paient pas d’impôt sur le revenu ; lequel est concentré à 70% sur les dernières tranches et l’impôt est devenu le plus souvent invisible. Il est intégré dans des produits ou des prestations dont on ne peut pas se passer ou il est prélevé à la source … justement pour éviter une éventuelle résistance à l’impôt !

Or, nous ne pouvons pas consentir à quelque chose qui nous est caché ou qui nous est pris de force !

II – affirmer que La fraude fiscale cause un grave préjudice moral et financier à la société dans son ensemble revient à placer la fraude fiscale sur le plan moral et à l’instrumentaliser alors qu’il n’y a pas de notion morale à propos de l’impôt : il sert à financer les frais de fonctionnement de l’Etat.

L’argument sous-jacent, qui relève de l’auto-suggestion, est que s’il y a un trou dans le budget ce n’est pas à cause de dépenses excessives mais exclusivement à cause des fraudeurs fiscaux qui se rendent coupables d’un véritable crime social ; crime qui doit être non seulement pourchassé mais éradiqué avec la plus grande énergie !

En poussant un peu le « raisonnement », on pourrait même affirmer que la dette de 2.230 mds € accumulée depuis 40 ans n’est nullement due à la mauvaise gestion des finances publiques mais seulement à la fraude fiscale !

Au prix donc d’une véritable falsification, la fraude fiscale est devenue la cause de tous les maux et, il n’y a pas si longtemps, certaines démocraties « populaires » utilisaient cette même technique d’ostracisation d’une partie de la population dont les agissements étaient qualifiés d’anti-révolutionnaires ou dirigés contre le peuple !

III – affirmer par ailleurs qu’on est en pleine disette budgétaire constitue un mensonge éhonté car il n’y a … aucune disette budgétaire ; le budget de l’Etat n’a jamais été aussi élevé. La France détient d’ailleurs le record d’Europe de la pression fiscale !

La réalité fiscale et financière :

Ce faisant, l’administration fiscale se situe dans l’auto-justification de sa propre action et les arguments servis le sont autant à destination de la population dans son ensemble qu’à celle des fonctionnaires dépendant de ce ministère qui doivent être convaincus de la « nécessité » d’agir sans faiblir !

La réalité de la situation est quelque peu différente …

I – La France est un enfer fiscal qui détient le triste record en Europe de la pression fiscale et sociale avec les prélèvements les plus lourds de l’UE ; ce qui ne nous empêche pas d’avoir aussi les déficits les plus élevés et une dette qui culmine à 100% du PIB (l’une des plus lourdes de l’UE) !

II – Nous sommes engagés dans une véritable gabegie ; l’argent des autres coule à flot … n’importe comment et il n’y a aucune maîtrise des dépenses publiques qui sont en augmentation constante sans que la situation générale en bénéficie de quelque manière que ce soit puisque le chômage est aussi l’un des plus élevés de l’UE !

III – Les hommes de Bercy ne parlent nullement des dépenses inutiles, excessives et inconsidérées ; or, bien plus que la fraude fiscale, c’est bien là que se situe le problème de l’économie française !

Ces contradictions ne semblent toutefois pas émouvoir les hommes de Bercy alors que ce mode de pensée visant à augmenter sans cesse les prélèvements fiscaux se situe à contre-courant du mouvement engagé en Europe de réduction générale de la pression fiscale.

On a en effet fini par s’apercevoir (enfin) que l’excès de fiscalité constituait un handicap pour l’économie et qu’il occasionnait chômage et déclin ; c’est à dire exactement l’inverse de ce que prétendent les hommes de Bercy !

IV – Pour notre malheur, il n’y a personne pour stopper cette perversion de la pensée et cette dérive ; et ce d’autant plus que la matière fiscale, du fait de sa complexité, a complètement échappé au Parlement et à la représentation nationale.

En effet, non seulement la Constitution de 1958 a organisé un déséquilibre au profit de l’exécutif (et le quinquennat l’a aggravé puisque le Parlement est désormais toujours de la couleur politique du président) mais les hommes de Bercy ont rendu intentionnellement la matière fiscale très technique c’est à dire … complètement incompréhensible pour la moyenne des français.

L’administration, au lieu de prévoir des règles simples, ne peut s’empêcher d’édicter des règles complexes auxquelles on en rajoute d’autres encore plus complexes ! Elle devient, de ce fait, l’interlocuteur obligé, le spécialiste indispensable pour interpréter ses propres règles.

Les députés s’en remettent donc, par incompétence technique, aux spécialistes de Bercy !

Ce faisant les députés délèguent, de fait et non de droit, à une administration un droit constitutionnel qui leur est propre à savoir la représentation des français (Bercy ne représente personne) et le vote de l’impôt (consentement à l’impôt).

Cette situation peut être qualifiée de véritable faillite du système républicain et d’anéantissement du consentement à l’impôt !

Insidieusement, il s’est donc opéré au cœur de l’Etat une prise de pouvoir silencieuse au terme de laquelle des fonctionnaires non élus, inconnus des français, décident de tout et de l’avenir du pays alors qu’ils n’ont aucune légitimité et ne rendent aucun compte.

V – Et le pire, c’est que, sûrs de leur position, les hommes de Bercy, non seulement prétendent agir au nom de l’intérêt général et de tous les français, alors qu’ils n’ont aucun mandat, mais en plus ils se permettent de s’arroger des rémunérations hors statut, illégales sur lesquelles ils ne paient ni cotisations sociales ni impôts sur le revenu ! (ici)

Mais, c’est bien connu : les fraudeurs sont toujours les autres surtout quand c’est … vous qui fixez les règles !

Le fait qu’ils aient réussi à persuader les politiciens de leur caractère indispensable leur a conféré un véritable sentiment d’impunité qui les rend audacieux ; à tout le moins !

Et les faits leur ont donné raison car le ministre n’a rien dit, il n’y a eu aucune poursuite judiciaire pour ce qui était au minimum un abus de deniers publics (abus de biens sociaux) ; pas même une sanction disciplinaire ni même une obligation de remboursement et nous ne sommes même pas sûrs que ces pratiques ne continuent pas !

Et la presse dans son ensemble, s’est bien gardée d’en parler. D’ailleurs, s’en prendre aux « grosses têtes de Bercy » c’est s’assurer un contrôle fiscal à brève échéance !

Finalement, les hommes de Bercy peuvent « légitimement » gaspiller, à leur profit, l’impôt collecté ; un peu comme les Fermiers Généraux chargés de collecter l’impôt qui pouvaient voler le Roi ! (ici)

C’est la rançon (c’est le mot juste) de leur compétence à faire rentrer l’impôt coûte que coûte pour que la France ne se retrouve jamais en difficulté.

Il en va de l’ego des politiciens !

Les hommes de Bercy vivent dans l’obsession de la fraude fiscale des autres et, comme toute obsession, elle tend à s’aggraver et à s’exacerber.

Comme les impôts qui augmentent sans arrêt, l’arsenal juridique et judiciaire est en expansion constante puisqu’il reste toujours l’ultime impôt à faire rentrer ! Même les arguments de lutte contre le terrorisme sont utilisés car il faut améliorer le rendement ; à tout prix !

C’est en fait l’histoire du chat et de la souris car les titulaires de gros revenus inventent toujours de nouveaux montages pour échapper au fisc et le fisc pond toujours de nouveaux textes pour essayer de taxer ces revenus qui essaient de lui échapper.

C’est une course sans fin. La seule solution serait de revenir à une fiscalité moins écrasante et simplifiée mais ça, ça n’est pas dans les gènes de l’administration.

Pour la curiosité, je vous invite à consulter (ici) un article de DECIDER ET ENTREPRENDRE sur les montages opérés autour des actifs de Johnny Hallyday. On perçoit aisément la complexité et le but de tels montages en n’oubliant jamais que plus l’impôt est élevé plus la tentation de la fraude est élevée et que plus les règles fiscales sont complexes plus les possibilités de trouver des biais d’évitement de l’impôt sont nombreuses !

Ce qui n’est pas rassurant pour l’avenir c’est que Bercy va sa retrouver dans les prochains mois sous la double pression de la hausse générale des taux d’intérêts qui a commencé à s’enclencher et des politiciens inquiets par celle-ci !

Nous verrons dans un prochain article que les hommes de Bercy ont mis en place une véritable police fiscale ainsi qu’une quantité invraisemblable de procédures et de techniques légales, légalisées ou illégales, qui ne dépareraient pas dans une dictature !

Bien cordialement à tous.

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles 5,00 sur 5 (10 avis)
Loading...

A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

8 réflexions sur « L’obsession de la fraude chez les hommes de Bercy »

  1. Ce qui n’est pas rassurant pour l’avenir c’est que Bercy va sa retrouver dans les prochains mois sous la double pression de la hausse générale des taux d’intérêts qui a commencé à s’enclencher et des politiciens inquiets par celle-ci !

    Bien au contraire tant mieux, il faut crever l’abcès.

  2. Merci Dominique PHILOS pour cet exposé magnifique.

    Le livre de DANIEL DESSERT fait l’analyse du système fisco-financier de la vieille France, celle de LOUIS XIV. C’est une étude minutieuse (trop peut-être avec ses 825 pages ) du monde de l’argent du fisc versé à la monarchie par les maltotiers une sorte d’avance sur recettes. Son livre apporte un éclairage nouveau sur ce problème, en particulier sur les fausses bonnes réputations des deux cardinaux (Richelieu et Mazarin) et sur les intendants (Fouquet et Colbert entr’autres. D. D. nomme les noms des 600 manieurs d’argent) . Des rapprochements sont possibles avec notre situation actuelle. Tout se passait à cette époque comme de nos jours, comme s’il y avait deux France qui se trouvaient face à face, ou plus précisément qui se juxtaposaient: celle des employés de Bercy et de leurs croupiers et souteneurs et celle des entrepreneurs de tout acabit.

    Pourquoi la fraude est-elle si facile et si répandue ? C’est que le consentement à l’impôt n’a pas été obtenu par les entrepreneurs. C’est aussi que la multitude des textes fiscaux sur les impôts indirects fait que les agents du fisc ne parviennent plus à tout savoir et qu’ils se font doubler par les gestionnaires de patrimoine. Alors ils inventent des redressements bidon ou des abus de DROIT sur ce qu’ils appellent les perdreaux de l’année. Seule solution en dehors des économies en dépenses, un autre sujet : un impôt réfléchi, portant sur le bien et non sur la personne, direct, simple, unique, consenti ! Lire JUSTIN MENIER à ce sujet. Passionnant quoique assez volumineux (665 pages).

    SHORT IS WRONG disent les anglais.

    1. Le problème c’est qu’en France, la fin justifie … tous les moyens !

      l’impot et sa collecte ont toujours été un problème en France
      vous l’avez vous-même constaté dans le livre de Daniel Dessert !
      Ce n’était que magouilles, prévarications et abus !
      au préjudice du Roi ?
      Non, malheureusement, du peuple !

      Et depuis, on a fait « beaucoup mieux » … si l’on peut dire !

    2. SHORT IS WRONG est en contradiction avec : » Quand on a raison, on n’écrit pas quarante pages « . Talleyrand # principe d’Occam
      Au contraire le c’est le principe des institutions financières : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué (pour noyer le poisson probablement)
      Ceci étant la quasi totalité du personnel gravement névrosé de Bercy devrait se faire soigner dans les établissements spécialisés (asiles de f..)

  3. Merci pour cet article . J’ajouterai : De + aucun candidat à la présidence n’a hurlé contre cette mesure de la hausse de la CSG pour les retraités, il est facile de le faire maintenant qu’elle s’applique. D’autant que depuis 2013 les retraites ont été gelé entre autre, dons les retraités ont participé largement …..

  4. C’est un très bel article Philos.
    Bravo et merci pour cette photo réaliste de la raison initiale de la zone de non droit des contrôles fiscaux.

    1. Bonjour Henri

      Attendez l’article suivant (un peu plus long) sur les moyens mis en oeuvre par les « hommes de Bercy » !

      Vous en avez déjà « taté » mais là vous allez tomber à la renverse !

      Amicalement

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *