Face à la récession, l’État entretient l’illusion de l’argent magique. Subventions, réglementations, infantilisation. Enquête sur une anesthésie générale.
On ne sait pas trop s’il faut s’en réjouir ou au contraire s’en inquiéter, en tout cas les Français affichent jusqu’à présent une grande insouciance à l’égard de la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19. La publication, il y a huit jours par l’Insee, d’une note de conjoncture qui prévoit une baisse de 20 % du PIB au deuxième trimestre, chiffre que l’institut, sortant de sa réserve habituelle, a qualifié de « vertigineux », est passée totalement inaperçue et n’a guère ému que les économistes. Quant à la hausse sans précédent de 22,6 % du nombre de chômeurs en avril, elle n’a été que brièvement évoquée lors des journaux télévisés de 20 heures et seulement après de longs reportages consacrés aux intenses préparatifs de réouverture dans les zoos et à la joie des Parisiens d’être de nouveau autorisés à faire leur jogging dans le jardin du Luxembourg et à boire des mojitos aux terrasses des cafés.
Il est tout de même un peu déroutant qu’à l’issue de deux mois de confinement, qui ont vu 12 millions de salariés s’arrêter totalement de travailler, la première préoccupation des Français soit de songer à leurs vacances d’été, si bénéfiques puissent-elles être sur le plan psychologique. Déroutant aussi de voir, alors que les annonces de faillites d’entreprises se multiplient, qu’ils se soucient plus de pouvoir bronzer sur les plages que de perdre leur emploi dans les prochains mois. C’est donc en sifflotant et la serviette de bain posée sur l’épaule que nos concitoyens abordent une récession qui, selon Bruno Le Maire, pourrait atteindre cette année – 11 %, ce qui en ferait la plus forte depuis les – 15,5 % de 1944, la plus importante aussi jamais observée en temps de paix.
Grand rêve collectif. Certains y voient la confirmation d’une nation peu travailleuse et même carrément paresseuse, seule au monde à connaître les 35 heures, obsédée par la culture du loisir et où la pandémie a finalement permis de réaliser son grand rêve collectif : être payé à ne rien faire. D’un pays également tellement accro à la dépense publique que vivre entièrement aux frais de l’État ne pose aucun problème moral.
+ 1 089 100
chômeurs
de catégorie A inscrits à Pôle emploi en avril 2020 par rapport à février 2020. Leur nombre s’établit à 4 575 500 chômeurs.
(Source : Dares)
D’autres croient déceler dans cette insouciance des Français une preuve du haut degré de raffinement intellectuel d’un peuple pour qui l’épanouissement personnel ne se résume pas à de basses considérations matérielles et pour qui la vie ne doit pas être asservie à l’économisme ambiant. La situation de l’économie française a quand même de quoi inquiéter objectivement même les âmes les plus éthérées. Non seulement elle a été touchée comme tous les autres pays par les mesures de confinement, mais toutes les statistiques indiquent qu’elle l’est plus que les autres et que les propos d’Édouard Philippe évoquant un risque d’« écroulement » n’avaient rien d’exagéré.
« Club des cinq ». Le PIB de la France a reculé de 5,3 % au premier trimestre, quand il baissait de 3,8 % en moyenne dans la zone euro et de 2,2 % en Allemagne. Au mois de mars, la production industrielle a plongé en France de 16,4 % (de 11,3 % dans la zone euro), les ventes du commerce de détail y ont chuté de 17,4 % (de 5,6 % seulement en Allemagne). Quant à l’activité dans le secteur de la construction, elle s’est effondrée en mars en France (- 40,2 %) alors qu’elle progressait de 1,8 % en Allemagne. De toute évidence, l’économie française s’est beaucoup plus confinée que les autres, peut-être à cause d’une indemnisation du chômage partiel particulièrement généreuse.
De façon plus inquiétante encore, la pandémie a clairement fait basculer l’Hexagone dans le camp des pays d’Europe du Sud, où le soleil brille nettement plus que les performances économiques. Avec la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, il fait désormais partie du « club des cinq » de la zone euro, qui a la particularité de présenter à la fois les taux de chômage les plus élevés et les niveaux de dette publique les plus hauts, cinq pays qui constituent sur la carte de l’Europe une zone économique rouge écarlate.
France décrocheuse. Pour résumer, c’est bien plus une France décrocheuse qu’une France apprenante que la crise sanitaire a fait émerger. Les Français, qui ont pris l’habitude, avec la pandémie, des comparaisons internationales chiffrées, vont très rapidement s’en rendre compte. Celles avec l’Allemagne, notamment, s’annoncent aussi peu flatteuses pour notre pays sur le plan économique que sur le nombre de victimes du Covid-19. La Commission européenne prévoit un chômage de 9,7 % en France en 2021 contre 3,5 % en Allemagne et anticipe un retour du déficit public allemand à 1,5 % l’année prochaine, quand il continuera de déraper en France à 4 %.
Bruno Le Maire a beau rappeler, avec de la tristesse désabusée dans la voix, que le virus a débarqué en France alors que la situation économique s’améliorait, que la politique du gouvernement et les réformes engagées commençaient à porter leurs fruits, que les créations d’emplois atteignaient des niveaux record, que les investissements étrangers affluaient, que la France était devenue championne d’Europe de l’attractivité, tout le monde s’en contrefiche.
Course folle aux dépenses. Les résultats économiques de l’avant-Covid-19 compteront pour du beurre lors de la présidentielle de 2022, à laquelle il est permis de penser que, malgré la crise à gérer, Emmanuel Macron trouve le temps de songer le matin en se rasant. Seuls importeront ceux de l’après-épidémie et d’une deuxième partie de quinquennat qui paraissait pourtant promise, après la crise des Gilets jaunes et l’interminable psychodrame de la réforme des retraites, à un immobilisme complet sur le plan économique. C’est désormais à une agitation frénétique et à une course folle aux dépenses qu’il faut s’attendre.
La pandémie a envoyé très haut dans la stratosphère les objectifs que s’était fixés le président de la République au début de son mandat. La question n’est plus de savoir de combien le taux de chômage et le ratio de dépenses publiques rapporté au PIB auront baissé d’ici à mai 2022, mais jusqu’à quelle hauteur ils auront monté à cette date. Ce n’est pas sur sa capacité à avoir rendu l’économie française plus forte et plus compétitive durant son quinquennat qu’Emmanuel Macron sera jugé dans deux ans, mais sur son aptitude à en avoir amorti la chute.
-14,6 %
de chiffre d’affaires dans l’industrie manufacturière entre février et mars 2020. Les secteurs les plus touchés sont l’industrie automobile (– 41,3 %) et les biens d’équipement (– 16,5 %).
(Sources : DGFip, Insee)
Grands mots et belles promesses. À l’exception probable de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, personne ne pourra sérieusement lui imputer la responsabilité d’un bilan économique qui, sauf miracle – découverte rapide d’un vaccin permettant l’année prochaine un rebond fulgurant de l’économie mondiale –, s’annonce catastrophique, que ce soit en termes de recul du niveau de vie, de hausse du chômage et de dégradation des finances publiques. La crise de 2008, qui avait mis d’emblée à terre le quinquennat de Nicolas Sarkozy, a toutefois montré que les Français étaient peu sensibles à l’excuse du contexte international au moment de déposer leur bulletin dans l’urne. François Hollande voulait « réenchanter le rêve français », Emmanuel Macron explique, pour sa part, que la pandémie doit être l’occasion « pour le pays et [lui-même] de se réinventer ». Il faut toujours se méfier de ces grands mots et de ces belles promesses, qui n’augurent généralement rien de bon et font même plutôt craindre le pire.
Même si elle l’avait été avec une grande modération, la politique économique menée durant la première partie du quinquennat fut d’inspiration libérale, ou, si l’on aime les étiquettes simplificatrices, « de droite », avec la suppression de l’ISF, l’allègement de la fiscalité des entreprises, les réformes du Code du travail, de la SNCF, de l’assurance-chômage et la volonté de réduire les déficits. Tout indique en revanche que la pandémie va accélérer le virage économique amorcé à la suite de la crise des Gilets jaunes : à gauche toute et même plus à « gauche » encore que les députés de la France insoumise eux-mêmes pouvaient en rêver, c’est-à-dire ultrakeynésienne, marquée par des dépenses publiques massives et tous azimuts.
Certaines d’entre elles, comme la prime de 50 euros pour réparer son vieux vélo ou les aides financières accordées pour la reprise du tournage des séries télévisées, font déjà redouter que le « quoi qu’il en coûte » devienne très rapidement un « grand n’importe quoi » et tourne à une gabegie complète d’argent public. Avec, pour seule conséquence économique tangible de cette prodigalité, l’envolée de la dette (+ 230 milliards d’euros supplémentaires cette année), qui va être gentiment léguée à tous ces petits-enfants chéris qui ont tellement manqué à leurs grands-parents pendant ces deux mois de confinement.
-12,6 %
Pour l’indice de production dans les services entre février et mars 2020.
Les services les plus touchés sont l’hébergement-restauration (– 50,3 %) et les services aux ménages, qui incluent aussi les cinémas et musées (– 32,5 %).
(Sources : DGFip, Insee)
En France, la production dans la construction en mars 2020 par rapport à février 2020* est en baisse de 40,2 %. Cette baisse est de 14,1 % dans la zone euro.
* Corrigée des variations saisonnières.(Source : Eurostat)
URSS. Ce n’est pas seulement un État français encore plus dépensier qu’à l’ordinaire que la pandémie fait apparaître mais aussi un État omniprésent, qui entend se mêler et s’occuper de tout, comme au bon vieux temps de l’URSS. Qui prétend savoir mieux que les entreprises automobiles elles-mêmes le type de voitures qu’elles doivent fabriquer, mieux que les compagnies aériennes elles-mêmes les destinations qu’elles doivent desservir, mieux que les agriculteurs eux-mêmes ce qu’ils doivent semer, mieux que les consommateurs eux-mêmes ce qu’ils ont besoin et envie d’acheter.
Au vu pourtant du délabrement complet de l’hôpital public et de la totale impréparation du pays à la pandémie, il n’est pas besoin d’être ultralibéral pour douter sérieusement des talents de l’État stratège et planificateur et de sa capacité à organiser le redressement de l’économie française. Il n’y a objectivement aucune raison de lui accorder plus de confiance pour gérer les deniers publics intelligemment et efficacement demain que les stocks de masques chirurgicaux hier.
En lieu et place des réformes structurelles que le chef de l’État avait promises, il y a donc de fortes chances pour que, d’ici à 2022, la politique économique se résume à celle du carnet de chèques. Au risque de déplaire aux électeurs de droite, légitimement inquiets de l’envolée de la dette publique et plus encore des hausses « solidaires » d’impôts qu’elle laisse présager, sans pour autant satisfaire les électeurs de gauche, pour qui l’État ne dépensera de toute façon jamais assez et ne taxera jamais suffisamment les riches. Au risque surtout de faire apparaître le quinquennat d’Emmanuel Macron, même avec l’« excuse » de la pandémie, tout aussi incohérent économiquement que celui de son prédécesseur à l’Élysée§
Quand la théorie du « nudge » inspire les macronistes
Quand elle est mal comprise, la science peut (aussi) conduire au fiasco… Depuis le début de la crise, le gouvernement s’est beaucoup appuyé sur les « sciences comportementales » pour construire sa communication et convaincre les Français d’adopter les gestes adéquats. Développée par le Prix Nobel d’économie 2017 Richard Thaler, la théorie du nudge (ou « coup de coude », en français) postule que « l’Homo œconomicus », loin de prendre toujours les bonnes décisions, serait au contraire soumis à des biais constants (le contexte, les autres, ses émotions…) l’empêchant d’agir dans le sens de son propre intérêt. La technique du nudge vise à modifier son environnement pour orienter ses actes : on connaît tous l’exemple de la mouche peinte au centre de l’urinoir, incitant à pisser droit. Créée en 2018 au sein de la Direction interministérielle de la transformation publique, une cellule spéciale, « sciences comportementales », épaule le gouvernement, qui a aussi missionné la BVA Nudge Unit, filiale de BVA Group. Leurs conseils ont servi pour élaborer les visuels, architecturer les sites Internet avec des « parcours émotionnels » et entretenir dans le public « un sentiment de peur, afin qu’il respecte le confinement », explique Éric Singler, créateur de la BVA Nudge Unit. Mais il y a eu des ratés… Notamment sur les masques. « Face à la pénurie, il fallait dire clairement aux Français qu’on devait les réserver au personnel médical », estime le chercheur en sciences comportementales Samuel Bendahan. « Or les autorités ont préféré des demi-vérités. » Ou morigéner les Français, comme Édouard Philippe le 28 mai : « Nous voyons encore un certain nombre de nos concitoyens avec le masque descendu. On sait que, si l’on fait cela, on ruine l’intérêt du port du masque. » Or, si le geste est à éviter, l’intérêt du masque n’est en rien ruiné. « Il reste parfaitement efficace », tranche le Dr Pierre Parneix, médecin hygiéniste au CHU de Bordeaux. « Le problème, c’est que nos politiques ont une vision marketing du nudge : ils comprennent que les gens sont irrationnels et que, comme des enfants, il faut les guider, constate Samuel Bendahan. Mais c’est leur propre biais qui s’exprime : parce qu’ils se sentent supérieurs, ils ont du mal à axer leur communication sur la confiance. »§ GÉRALDINE WŒSSNER
Lire notre enquête sur lepoint.fr
en ce qui concerne la sécurité, le nudging est utile et efficace pour un faible coût : faire la promotion de la prévention en acquérant des réflexes dirigés par l’émotion beaucoup plus forts que le fait de prendre des décisions appuyées sur le rationnel : « Rationalité limitée et sécurité » : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/conseils/rationalite-limitee-et-securite-au-travail
Lorsqu’un homme politique vous fait une promesse, fuyez le comme la peste !
Le problème c’est que tous en font et ceci explique plus que probablement l’abstention qui n’a jamais atteint des niveaux aussi hauts !
Coluche disait: « si un homme politique te serre la main, t’as intérêt à compter tes doigts! »