Afghanistan, ne pas tomber dans le simplisme émotionnel

Les images nous montrent de manière insistante la panique générale et la fuite éperdue à Kaboul devant le retour des talibans après l’effondrement extrêmement rapide des forces gouvernementales.

Les superlatifs s’enchainent, on nous parle de pire déroute de l’histoire américaine tout en faisant d’ores et déjà la comparaison avec la chute de Saigon en 1975 avec les ballets d’hélicoptères évacuant en catastrophe des populations terrorisées.

Fatalité ou échec occidental ?

Les talibans, qui avaient été chassés du pouvoir à la suite de l’intervention américaine en 2001, reviennent 20 ans plus tard et on sait que c’est l’image de l’islam le plus intolérant et le plus rétrograde avec l’interdiction de l’éducation pour les femmes qui sont couvertes d’une burqa grillagée ; le seul livre autorisé est le Coran …

La structure mise en place par les Etats Unis et les occidentaux s’est écroulée. Le président élu s’est enfui à l’étranger, c’est le sauve qui peut ; ce qui prouve surtout que cet Etat afghan mis en place par les occidentaux n’avait aucune consistance réelle.

C’est, d’une certaine manière, l’histoire de l’Irak qui se répète avec l’irruption de l’Etat islamique après la déconfiture de l’armée irakienne pourtant bien mieux équipée.

On nous affirme que c’est l’échec de la démocratie, certaines voix nous parlent de trahison du monde occidental vis-à-vis des afghans qui sont abandonnés à leur sort …

Pas si simple …

L’Afghanistan est un pays tribal sans structure telle que nous la connaissons en Europe. C’est un pays sans Etat composé de différentes ethnies qui ne sont pas toujours en relations amicales (pachtouns, kirghizes, tadjiks, ouzbeks, turkmènes, baloutches, arabes et autres) coincé entre l’Iran à l’ouest et le Pakistan à l’est et ces ethnies existent de manière totalement autonome sans soumission à un Etat central.

Il y a des pachtounes des deux côtés de la frontière pakistano-afghane à la suite d’un tracé de frontière opéré par les britanniques à la fin du 19° s ; à une époque où l’empire britannique « possédait » les Indes c’est à dire à la fois le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh.

Dans une certaine mesure, on peut comparer l’Afghanistan à la Somalie qui est aussi un pays sans Etat avec ses luttes de clans, ses ethnies diverses (on parle de zones tribales) avec ses seigneurs de la guerre souvent trafiquants de drogue (ils se financent avec le pavot).

Car, l’Afghanistan est un narco Etat, premier producteur mondial de pavot et d’opium et l’intervention occidentale avait ceci de particulier que les militaires ne pouvaient pas s’en prendre aux champs de pavot afin de « respecter les usages locaux ».

L’Afghanistan n’a jamais été une démocratie parce que cette notion est totalement étrangère à l’esprit d’une population qui se trouve, depuis des centaines d’années, sous la domination d’un islam rigoriste et rétrograde ; et, il faut être lucide, on ne change l’état d’esprit des populations en quelques années et surtout malgré elles.

Il faut plusieurs générations et, comme en Irak, le constat est qu’on ne peut pas imposer ce que les gens ne veulent pas parce que cela heurte leurs croyances les plus intimes et leurs habitudes sociales séculaires !

Les Etats Unis ont déversé des tombereaux de dollars (on parle de 1.000 Md$) sans résultat tangible dans un pays où les liens tribaux et les relations personnelles de soumission au chef sont prépondérants dans le cadre d’une structure sociale archaïque ; seulement, on ne construit pas un Etat avec de l’argent distribué à profusion et une corruption généralisée.

Il faut savoir que l’armée américaine versait des quantités énormes d’argent à des potentats locaux pour pouvoir seulement obtenir leur autorisation d’y faire circuler leurs troupes …

En fait, c’était l’échec obligatoire de l’implantation d’un régime politique sans aucune base politique, ni sociale, ni démographique dans un pays qui n’a jamais conquis !

Même l’URSS, qui avait envahi le pays en 1979 pour « aider » un régime politique fantoche installé à Kaboul, s’y est cassé les dents.

Expliquer l’échec

Des tombereaux d’argent ont été déversés sans résultat tangible par les Etats Unis mais aussi par l’Union Européenne et la France ; seulement, ce n’est pas en déversant plus d’argent qu’on changera une situation d’échec flagrant parce qu’on n’endigue pas une religion même avec des milliards de dollars ou d’€ !

On reproche désormais aux Etats Unis de quitter l’Afghanistan alors qu’on leur reprochait avant de se maintenir au Vietnam ou en Irak !

Il faudrait savoir …

Alors oui, on peut dire que c’est l’échec ou la plutôt la fin de la politique américaine de gendarme du monde ; les Etats Unis préférant se recentrer sur leur zone directe d’influence surtout que l’ennemi désigné, et bien plus dangereux, est aujourd’hui la Chine située juste de l’autre côté de l’Océan Pacifique !

Néanmoins, contrairement à une idée largement répandue, les Etats Unis, qui obéissent à leur propre logique stratégique, ne sont pas allés en Afghanistan pour imposer la démocratie mais seulement parce que l’Afghanistan était une base arrière d’al Qaeda et qu’il fallait punir bin Laden et al Qaeda à la suite de l’attentat des Twin Towers (11 sept 2001).

C’était une vision stratégique essentiellement d’éradication militaire (avec des bombardements opérés avec des B52) puis finalement d’endiguement de l’islam terroriste.

Peut-on pour autant parler de « pire déroute des Etats Unis » ?

Clairement non,  les Etats Unis ne se sont pas effondrés, ils se sont désengagés et ça se passe mal parce qu’il n’y a pas de bonne stratégie de retrait surtout lorsque l’Etat mis en place et son armée s’effondrent subitement.

Lorsque les soviétiques ont évacué l’Afghanistan en 1989, tout s’est écroulé de la même façon (les unités russes se sont débandées) et les talibans ont pris le pouvoir 3 ans plus tard après un long conflit inter ethnique.

Nous sommes, en outre, particulièrement mal placés à cet égard car il faut rappeler l’évacuation des français d’Algérie en 1962, après signature des accords d’Evian, qui s’est effectuée dans une pagaille indescriptible ; l’armée française abandonnant à leur sort des populations civiles prises pour cibles par des moudjahidines de la 25ème heure. La France, pays des droits de l’homme, a abandonné à leur sort des harkis (c’étaient les ordres du gouvernement et ils ont tous été liquidés par le FLN) alors que TOUS les hommes de pouvoir de l’époque, y compris le général De Gaulle, avaient promis et répété qu’on n’abandonnerait jamais l’Algérie française …

L’occident doit-il être considéré comme responsable de la situation de pays tels que l’Afghanistan  dont la déstabilisation a commencé avec son invasion par un pays communiste (URSS) en 1979 ?

Précisons aussi que la décision de quitter l’Afghanistan remonte à D Trump qui avait conclu un accord en ce sens avec les talibans et elle a été poursuivie par l’administration démocrate actuellement en place parce que ce sont des processus de long cours et que le président américain n’est pas seul à décider ; la plupart des décisions, surtout en matière militaire, sont prises de manière collégiale après avis des experts civils et militaires.

On peut toujours prétendre que ça se serait mieux passé avec Trump, mais rien ne permet d’en être sûr … et en outre il faut savoir que si la décision stratégique (et politique) revient à l’administration Biden, la mise en application en incombe aux seuls militaires sur place et eux n’ont pas changé.

Evidemment, ce processus décisionnaire n’a rien à voir avec le système français mis en place par le général De Gaulle dans lequel le président est, seul, chef des armées et peut pratiquement faire ce qu’il veut sans rendre compte à personne ; sauf à l’opinion publique si les choses se passent mal.

Les Etats Unis en ont eu assez de déverser des fortunes et de gaspiller des hommes et du matériel pour un résultat somme toute … complètement nul : ils en ont tiré les conséquences et ont conclu des accords avec les talibans car ils ne veulent plus d’une guerre interminable, telle que le Vietnam, qui finit toujours par révolter la population d’autant plus que les menaces terroristes se sont répandues en Syrie, Irak, Somalie et au Sahel.

Jo Biden, contrairement à ce qui a pu être affirmé, n’est pas dans la stratégie du « quoi qu’il en coûte », il est dans la suite logique du refus de poursuivre une expérience couteuse qui ne mène à rien et n’oublions pas non plus qu’il avait été, sous la mandature Obama, en tant que vice-président, l’un des plus virulents anti-interventionnistes

Quel avenir ?

La déroute de l’armée afghane pose la question de sa structure, de son recrutement et de sa formation par nombre de pays occidentaux (dont la France) mais il faut savoir que, bien souvent, les soldats ont de la famille dans le camp des talibans alors … nombre d’entre eux sont purement et simplement passés dans l’autre camp.

Il est prévu de leur « couper les vivres » mais les talibans n’ont nullement besoin de l’aide étrangère car leur mode de vie n’a rien à voir avec le mode de vie occidental et ils pourront toujours se financer avec la drogue.

Certains imaginent que le Pakistan va attaquer ; c’est très peu probable car c’est plus ou moins le même islam et les mêmes populations de chaque côté de la frontière et il a toujours joué un rôle très trouble vis-à-vis des talibans dont il a largement contribué à leur arrivée au pouvoir à Kaboul et s’est impliqué en Afghanistan plus que n’importe quel autre voisin du pays. Il a aussi souvent servi de base de repli (bin Laden se cachait au Pakistan le jour de son exécution) aux bandes armées chassées par les bombardements américains.

En outre, il a toujours entretenu des relations difficiles avec ses voisins afghans surtout que son intérêt stratégique est d’empêcher la formation d’un Etat qui pourrait s’allier avec l’ennemi iranien (chiite) ou pire chinois car l’intérêt stratégique du Pakistan est que l’Afghanistan reste un pays désorganisé, fermé sur ses problèmes intérieurs et les puissants services secrets pakistanais n’hésiteront donc pas à y intervenir, discrètement, à seule fin de le déstabiliser.

D’ailleurs, les attentats n’ont jamais cessé et le dernier en date, extrêmement meurtrier, démontre que la situation est très loin d’être stable…

Certains se demandent, avec raison, si la Chine ne va pas en tirer les marrons du feu notamment en ce qui concerne l’exploitation des ressources minières (il y a d’importants gisements de bauxite, de cuivre, de fer, de lithium et de terres rares telles que néodyme, praséodyme ou dysprosium) ; mais il est trop tôt pour le dire compte tenu de la nature très particulière du régime des talibans.

Il ne faut pas non plus oublier que les talibans, même s’ils sont très intolérants, sont loin d’être des naïfs et sont parfaitement informés de la situation internationale, et savent que les chinois oppriment les populations musulmanes turco mongoles de l’ouest (Ouighours).

Evidemment, reste la question des réfugiés car c’est toujours la même histoire qui se répète : accueillir les réfugiés ou maintenir, y compris par la force, des régimes politiques locaux sans réelle base qui finissent par être rejetés par la population locale.

Au-delà, c’est évidemment la question de l’action de la France au Sahel et plus particulièrement au Mali depuis plus de 8 ans sans aucun résultat tangible sur le terrain hormis des morts des deux côtés !

C’est évidemment l’application répétée du principe selon lequel les Etats n’ont pas d’amis mais que des intérêts. Les populations locales seront évidemment abandonnées à leur sort qui … aurait été le même d’ailleurs s’il n’y avait pas eu d’intervention occidentale (et par là il faut comprendre depuis l’intervention russe de 1979).

Les conflits interethniques et les rivalités entre potentats locaux continueront.

On a souvent reproché aux Etats Unis leur interventionnisme. Il faut leur laisser la possibilité de ne plus le faire et ne pas oublier les autres empires russes et chinois même si une certaine vision politique de gauche française tend à vouloir occulter l’occupation et l’annexion du Tibet par la Chine qui se montre extrêmement menaçante en mer de Chine (et de Taïwan) et l’annexion de la Crimée et, de fait, de la partie russophone de l’Ukraine par la Russie …

Bien cordialement à tous !

Απο την Ελλαδα – Σαμος (De la Grèce – Samos)

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A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

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