Uber et les taxis, ou le libéralisme et le capitalisme de connivence

 

Je ne pensais pas vivre deux fois dans ma vie une modification totale des paradigmes de l’économie et constater que, in fine, rien ne change.

La première fois

C’était au début des années 1970. Anciennement l’économie, tout particulièrement la distribution, était morcelée, hiérarchisée, en strates gourmandes de commissions.

Des Etats-Unis — déjà eux — nous est venu l’idée révolutionnaire des circuits courts.

Dans la distribution cela se traduisit par la suppression des grossistes et demi-grossistes, l’avènement de ce que l’on a appelé la grande distribution qui généra une baisse immédiate de 30% du prix de vente des produits de grande consommation.

A cette époque, l’ouverture d’un supermarché était un évènement social qui déplaçait les populations de façon stupéfiante.

Petits commerçants, grossistes, demi-grossistes et industriels partageaient alors le pouvoir avec les syndicats. Il n’y avait pas d’oligarchie technocratique. Tout ce petit monde se leva vent debout contre ce bouleversement, ignorant totalement les millions de clients demandeurs.

Un homme au cerveau équipé d’un zoom peu performant, Jean Louis FROT, eut, à Rochefort-sur-mer, l’idée saugrenue de refuser un permis de construire et de faire emprisonner le demandeur ayant construit sans permis qui se trouvait être le propriétaire du centre Leclerc local, dont j’étais l’architecte. La chose fit grand bruit et porta la lutte globale à son paroxysme. Sur le parking de ce magasin, un beau matin, les troupes du CIDUNATI et d’Edouard Leclerc s’étripèrent, cela fit la une de Paris-Match.

A cette époque, je m’étais engagé sincèrement pour cette révolution économique qui, pensais-je, allait profondément modifier la société, en mieux évidemment.

Edouard Leclerc plaçait alors son combat sous le signe de la suppression des « rentes de situation », je l’ai suivi avec énergie.

Soudain patatras. La loi Royer organisa un monopole encore plus terrible que celui dont disposaient précédemment les acteurs de la distribution. Ainsi, les pourfendeurs des « rentes de situation » devinrent les bénéficiaires de rentes bien plus puissantes que les précédentes, puisqu’entre les mains de beaucoup moins d’acteurs.

Le vent de libéralisme qui avait cru se lever sur la France avec énergie et ambition, s’est alors vautré dans la compromission.

Ce fut d’abord le scandale des pots de vin entre élus et grandes surfaces pour la conquête du graal que représentait l’autorisation d’ouvrir un supermarché. Mitterrand et sa garde rapprochée auraient dû en mourir, mais ils étaient tenaces et leurs sujets peu regardants.

Ainsi, les combattants de la liberté de commercer – Leclerc et consorts — n’étaient que des « tigres de papier », bien vite ils échangèrent leur foi contre le fric. Ils sont aujourd’hui devenus les notables qu’ils chassèrent.

Le Frot dont je vous ai parlé plus haut a mis sa boutique — il était évidemment boutiquier — dans la galerie marchande de l’hyper-marché qu’il avait combattu. Après avoir ruiné son patelin dont il était le maire, il coule, à nos frais, des jours heureux sous les ors de la république, en bonne intelligence avec ceux qu’il a combattu, c’est un notable.

La grande distribution est actuellement un des éléments clef du capitalisme de connivence. Trop fort.

Et les millions de clients dans tout ça ? Rien, nada, ils n’ont aucune conscience sociale. Il fut facile de transformer leurs économies de distribution en folie d’achats complémentaires inutiles. Eux aussi se sont fait acheter par le monstre.

Aujourd’hui, Internet et les taxis

A Paris il y a une longue histoire d’amour « gainsbourgienne » entre les taxis et les politiques, du type « je t’aime, moi non plus ».

Incapables de prendre les décisions titanesques qui permettraient de se déplacer normalement à Paris, les acteurs politiques, de façon compensatoire, ont tenté de favoriser les transports collectifs, dont les taxis.

Ce qui, au passage, explique la note salée de la mère Agnès Saal, qui n’a rien d’extraordinaire, c’est ça ou la voiture de fonction avec gyrophare pour le gratin qui doit impérativement se déplacer rapidement dans Paris.

Privilégiés pendant des années, les taxis se sont transformés en seigneurs, nous transformant du même coup en serfs. Cette transformation s’accompagnant évidemment de combines économiques alliant monopoles, pots de vin et petits arrangements entre amis partageant le pouvoir. L’ensemble au détriment du client, bien entendu.

S’ils sont aujourd’hui emblématiques, les taxis sont loin d’être les seuls à participer aux délices du capitalisme de connivence qui s’est installé partout, depuis donc la grande distribution, à celle de l’eau, de l’électricité, à l’enlèvement des ordures ménagères, la construction immobilière et automobile,  etc… enfin tout quoi.

Tel Zorro, internet est arrivé…

Prenant tout le monde par surprise, internet a, soudainement, raccourci une nouvelle fois les circuits de l’économie.

Il n’est pas d’activité où producteurs et consommateurs ne peuvent plus directement se rencontrer, clouant au sol tous les intermédiaires.

Les jeunes d’aujourd’hui, tout comme le jeune homme que j’étais en 1970, croient que la vraie liberté est en marche, que le libéralisme économique va enfin vouloir dire quelque chose.

Oui mais, ils oublient le syndrome des taxis.

D’un côté les nouveaux acteurs de l’économie du net, déjà triés à ce jour, gigantesquement puissants pour les survivants, de l’autre les fantômes du passé dont les taxis sont un exemple « exemplaire ».

Il n’y a pas de troisième coté. Les clients, pas plus cette fois que par le passé, ne peuvent être considérés comme une force sociale qui adhèrerait à une économie libérale.

Donc, les deux cotés vont se rapprocher et partager la soupe, consciemment ou inconsciemment, immédiatement ou dans un temps plus indéterminé mais inévitable.

Taxis et Uber vont, sous l’apparence de la contrainte, enfanter avec les politiques une loi d’encadrement de l’économie du net qui s’imposera à tous les autres intervenants.

Ainsi l’aventure économique libérale du net approche de son terme.

L’agonie de l’ancien système va être longue — mais indolore du fait de cette longueur — pour les taxis et apparentés.

Quant aux vainqueurs du net, ils vont mettre les pieds sous la table du grand banquet du capitalisme de connivence, à eux les prochains monopoles, les prochaines rentes de situation.

Et l’économie libérale dans tout ça et, plus globalement, le libéralisme ? C’est une vue de l’esprit.

Aux jeunes gens qui s’en éprendraient, je vais donner un tuyau : faites simple et sans obligation de résultat, soyez « Romantiques », c’est le seul vrai espace de liberté en périodes d’invasion de l’Etat dans nos libertés fondamentales, périodes dont la durée se compte en siècles.

Bien cordialement. H. Dumas

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A propos Henri Dumas

Je suis né le 2 Août 1944. Autant dire que je ne suis pas un gamin, je ne suis porteur d'aucun conseil, d'aucune directive, votre vie vous appartient je ne me risquerai pas à en franchir le seuil. Par contre, à ceux qui pensent que l'expérience des ainés, donc leur vision de la vie et de son déroulement, peut être un apport, je garantis que ce qu'ils peuvent lire de ma plume est sincère, désintéressé, et porté par une expérience multiple à tous les niveaux de notre société. Amicalement à vous. H. Dumas

3 réflexions sur « Uber et les taxis, ou le libéralisme et le capitalisme de connivence »

  1. Bsr,
    Ils me font rire ironiquement ces taxis puisqu’ils volent le travail des coursiers et des livreurs de fleurs puisqu’ils cumulent ces jobs!
    Sans compter avec les VSL le monopole avec la Sécurité Sociale pour le transport des malades assis.
    @+

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