TROISIEME CONFINEMENT : UNE BELLE DEMONSTRATION DE COHERENCE ET DE MAITRISE

Nombreux sont les observateurs qui ont moqué l’absurdité des mesures sanitaires décrétées par le préfet Castex, actuellement Premier ministre. En réalité, après un tâtonnement initial, les mesures annoncées depuis des mois révèlent une belle maitrise des règles d’exercice du pouvoir. Mais pour en saisir la logique, il faut se mettre à la place de ceux qui nous gouvernent et comprendre leurs objectifs.

Le petit manuel du dictateur

Dans leur excellent ouvrage « The Dictator’s Handbook, why bad behavior is almost always good politics », (« Manuel du dictateur : pourquoi les mauvais comportements sont presque toujours de bonne politique ») publié en 2011 aux éditions Public affairs, les chercheurs en science politique Bruce Bueno de Mesquita et Alastair Smyth (ci-après B&A) nous proposent une grille d’analyse qui me semble particulièrement éclairante, et qui n’est pas sans parenté avec l’ouvrage, non cité, de Bertrand de Jouvenel « Du pouvoir » (1945).

L’axiome de base posé par B&A est que l’objectif de tout aspirant à une position de leadership est de prendre le pouvoir, puis de le conserver aussi longtemps que possible. La politique est donc l’art de conquérir le pouvoir et surtout de le conserver. Je pense que personne ne les contredira, mais il faut aller au bout de la logique et la comprendre intimement.

Car, c’est l’objet de leurs travaux, il y a des « règles d’exercice du pouvoir » (« rules to rule by ») et ces règles sont les mêmes partout et tout le temps, quel que soit le régime politique, que ce soit une autocratie ou une démocratie, que l’on soit dans le privé ou le public. Les bons leaders connaissent ces règles et savent les appliquer. Je vous donne un indice : agir « pour le bien » du peuple ou « l’intérêt général » ne fait pas partie de ces règles, sauf si le leader ne peut pas faire autrement !

Une fois au pouvoir, la motivation la plus profonde du leader est donc de maintenir son pouvoir. Pour ce faire, tout leader a besoin d’une coalition de supporters qui le soutiennent. Personne n’a un pouvoir absolu qu’il assume seul. Pour démontrer ce point, B&A prennent l’exemple de Louis XIV : même le plus puissant des rois avait besoin de supporters.

Pour conserver sa place, le leader doit procurer des faveurs à ceux qui le soutiennent, que B&A nomment les « essentiels ». En clair, il faut les payer afin de s’assurer de leur soutien et de leur loyauté. Par conséquent, tout le travail du leader est de trouver l’argent pour payer les essentiels. Dans une autocratie, faire de « bonnes actions politiques » est totalement inutile : pas besoin de s’occuper du peuple pour conserver le pouvoir, il suffit de payer les essentiels. Tout le travail de l’autocrate est donc d’organiser la dépossession du peuple à leur profit pour s’assurer de leur fidélité.

La limite du système évidemment est la révolte du peuple qui peut en avoir assez de se faire piller et se révolte. Pour gérer ce point-là, il faut s’assurer du soutien de la police et l’armée. Les auteurs démontrent que les leaders tombent en général parce qu’ils ont perdu le soutien des forces de l’ordre (Mubarak, le Tsar en 1917, etc.).

Deux exemples parmi d’autres illustrent l’analyse: Robert Mugabe, dictateur du Zimbabwe, probablement le pire leader pour son peuple de ce dernier demi-siècle, est mort dans son lit à un âge très avancé parce qu’il a toujours su payer les « essentiels » (la police et l’armée notamment).

Un autre exemple est constitué par les dictatures communistes : le leader se repose sur une coalition d’essentiels, sélectionnés au sein du parti communiste. Vient ensuite le peuple qui est privé de ses droits et dépossédé de son travail pour payer la coalition au pouvoir.

Le Manuel du dictateur propose une analyse détaillée et passionnante des stratégies mises en place par les autocrates à travers le monde et l’histoire  pour se maintenir : mettre les « essentiels » sous pression, trouver l’argent dont ils ont besoin, pervertir le système électoral, etc.

Les mêmes règles d’exercice du pouvoir s’appliquent en démocratie

Or, ces « règles d’exercice du pouvoir » sont les mêmes dans les démocraties (et dans les entreprises, notamment celles qui sont cotées en bourse). La principale différence est le nombre « d’essentiels ». Les autocrates se reposent sur une petite coalition, tandis que les leaders démocrates ont besoin d’obtenir les suffrages d’une grande partie de la population : il leur faut créer une large coalition, ce qui change tout.

Voici la principale raison pour laquelle les démocraties donnent plus de satisfaction à leurs peuples que les autocraties : il y a un très grand nombre « d’essentiels », les électeurs. Dès lors, pas besoin de payer des faiseurs de rois, il vaut mieux répartir l’argent entre un maximum de personnes, le donner directement au peuple, sous forme de service ou de faible imposition. C’est pourquoi  les démocraties ont des taux d’imposition bien inférieurs aux autocraties et prodiguent beaucoup plus de services qu’elles.

Il y a une forte corrélation entre le bien-être du peuple et la taille de la coalition au pouvoir : plus elle est grande, plus la démocratie est aboutie, mieux les ressources sont réparties à travers la population et donc mieux elle se porte. En France, nous avons un des taux d’imposition les plus élevés du monde, ce qui donne un indice quant au degré de démocratie dans notre pays, comme nous le verrons ci-dessous.

Où trouver l’argent ?

Il y a trois grandes catégories de revenus pour un leader : 1/ l’argent des impôts, ce qui nécessite que le peuple travaille et accepte de payer les impôts, 2/ l’emprunt et 3/ la vente de ressources naturelles.

Le mieux, ce qui pose le moins de difficultés, c’est évidemment les ressources naturelles. Le leader doit s’en assurer la maitrise. Il peut ensuite les piller à sa guise et acheter ses soutiens (cf Poutine et les oligarques) ou il peut les confier à des tiers sans avoir besoin de taxer la population ou de payer les forces de l’ordre (cf les compagnies pétrolières internationales au Nigéria qui ont leur propres services de sécurité).

Vient ensuite la dette, très prisée du leader parce qu’elle produit tout de suite des revenus et qu’il n’aura pas à la rembourser : ses successeurs s’en chargeront.

Enfin le plus compliqué et le plus cher est la taxation du peuple : c’est impopulaire et ça nécessite d’entretenir une administration onéreuse qui est elle-même tentée d’abuser de son pouvoir de collecte. Pour que ça marche, il faut que le peuple soit motivé à travailler et accepte de se faire « spolier légalement », comme l’écrivait Frédéric Bastiat. Pas toujours simple.

Le cas de la France : une petite coalition au pouvoir depuis 40 ans

 Je l’ai exposé dans « Vendons les Parisiens ! », la France est tenue par une petite coalition de hauts fonctionnaires et d’apparatchiks qui contrôlent tous les pouvoirs : exécutif, administratif, législatif et judiciaire ainsi que les contre-pouvoirs statutaires que sont les partis politiques, les syndicats et la presse. Elle appuie son pouvoir sur la caste des fonctionnaires qui en constitue le réservoir. Ainsi, la coalition détient  les finances publiques, tous les rouages de la contrainte d’Etat et de nombreux actifs économiques grâce au capitalisme de connivence. Elle est au pouvoir depuis l’arrivée du premier d’entre eux à la mandature suprême, Valéry Giscard d’Estaing. Depuis la présidence de François Mitterrand, elle a constamment augmenté son étreinte sur le pays.

En application des règles d’exercice du pouvoir, pour conserver son pouvoir, le leader doit acheter le soutien de sa coalition de fonctionnaires et de quelques autres, et ça, ça coute cher aux contribuables que nous sommes, comme je l’ai exposé dans nos colonnes.

D’où vient l’argent en France ?

En France, nous n’avons pas de ressources naturelles à vendre. Par conséquent, traditionnellement, la plus grande part des ressources servant à payer la coalition provient des impôts et des charges sociales. Ce n’est donc pas une coïncidence si nous avons l’une des meilleures administrations fiscale du monde en terme de % de recouvrement : c’est son cœur de métier !

Le dispositif a été utilement complété par un recours massif à l’endettement qui est passé de 20% en 1980 à 100% du PIB en 2019, avant la crise sanitaire. Ceci est rendu possible par la qualité de notre administration fiscale (du point de vue de nos créanciers) et par le fait que les actifs des Français ont été mis en première garantie par la loi Sapin II, entre autres.

Jusqu’ici tout va bien.

Le problème inédit de la pandémie : payer la coalition et …

La pandémie a posé à tout ce petit monde un problème radicalement nouveau et totalement imprévisible : du fait que plus personne ne pouvait travailler, la collecte d’impôts dégringolait, ce qui en cascade mettait en danger les capacités d’emprunt de la coalition. Or comment faire pour payer tout ceux qui protègent le pouvoir sans rentrée d’impôts. Panique à Bercy et à l’Elysée.

Après quelques tâtonnements malheureux lors du premier confinement, la coalition a affiné le dispositif avec un seul et unique objectif : faire rentrer un maximum d’impôts. Mais pour ça, il fallait que les gens travaillent !

La première erreur lors du 1° confinement, la fermeture des écoles, a donc été corrigée. Si les gens doivent garder leurs enfants, ils ne peuvent pas payer leurs impôts. Donc on garde les écoles ouvertes. Par contre, pas besoin d’ouvrir les universités : les étudiants ne rapportent rien au fisc.

Deuxième décision : si les gens doivent aller travailler, on arrête de les confiner chez eux pendant le temps de travail (6h-19h). Il n’y a aucun problème sanitaire à ce que les gens s’agglutinent dans le métro puisqu’il s’agit de payer les impôts !

Par contre, les restaurants, avec leur TVA à 5,5% ou 10% ne rapportent pas grand-chose, la culture non plus, pas besoin de les ouvrir. On explique donc que, contrairement au métro, la proximité dans les bistrots, pose un problème sanitaire.

Les enfermer chez eux le soir et le week-end permet de mieux contrôler les Français, surtout maintenant que tout est enregistré par la NSA américaine et son équivalent national. Et puis quand ils sont chez eux, les Français ne font pas de bêtises. Certes, les violences conjugales augmentent et l’enfermement déprime les Français, mais en quoi ces détails collatéraux concernent-t-il la coalition ?

Donc la plupart des mesures prises par le gouvernement s’expliquent par le besoin de payer la coalition qui dépend d’abord du travail des Français. L’objectif sanitaire, même s’il occupe les discours et les ondes, est totalement subordonné à la règle d’exercice du pouvoir exposée dans le Manuel du dictateur.

… éviter l’insurrection populaire

La limite de l’exercice est bien entendu la réaction du peuple. Une autre série de mesures s’explique par la crainte du pouvoir, en particulier du Président Macron sérieusement échaudé par les Gilets jaunes, d’avoir sur les bras une nouvelle insurrection populaire.

Une fois que la coalition a été payée à 100% (pas d’abattement pour chômage technique pour ses membres, bien entendu), la coalition a alloué des ressources à la population à qui l’on interdisait de travailler (restaurateurs, intermittents du spectacle, indépendants, etc.).

Puis, pour ce 3° confinement, le gouvernement a innové en proposant une série de mesures apparemment incohérentes (ouverture des librairies et des coiffeurs, relaxation de la contrainte géographique à 10 km, activités sportives pour les enfants, etc.) mais qui répondent à la logique de préservation du pouvoir : éviter l’insurrection populaire.

Une vraie maitrise des règles d’exercice du pouvoir

L’analyse ainsi proposée à la lumière du Manuel du dictateur révèle que loin d’être un bricolage de mesures incohérentes, l’action, en lien avec cette crise, de la coalition de fonctionnaires au pouvoir depuis 40 ans démontre une vraie maitrise des règles d’exercice du pouvoir.

Du point de vue du peuple, maltraité par la coalition, il faut se rappeler que l’objectif de la démocratie n’est pas d’être efficace, mais d’éviter qu’un petit nombre n’opprime le peuple, ne le ruine et ne l’asservisse. Plus la coalition est grande, plus grand est le nombre d’électeurs que le leader doit satisfaire, mieux le peuple se porte. C’est vrai partout et toujours.

En France, le pouvoir a été usurpé par une petite coalition, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour ceux qui n’en font pas partie.

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