Première guerre mondiale –  Nous aurait-on menti ?  (déjà ?)

Je viens de terminer un livre paru récemment sur le déclenchement de la première guerre mondiale intitulé LES SOMNANBULES. (réf en fin d’article).

Ce livre, assez ardu à lire compte tenu de la complexité du sujet abordé mais aussi de la pagination (en version epub) qui manque d’aération, revient sur les causes de cette guerre avec une description très complète de la situation géopolitique.

Et que lit-on ?

Une thèse totalement différente de celle qui nous a été enseignée à l’école de la République ; laquelle nous avait expliqué que le responsable du déclenchement de cette guerre, en aout 1914, était le militarisme allemand !

Et d’ailleurs, le traité de Versailles de 1919, réglant les conséquences de la guerre, a effectivement déclaré que l’Allemagne était responsable et qu’elle allait payer (ce qu’elle n’a pas fait puisqu’elle s’est retrouvée en faillite en 1923) !

Fatalement, l’histoire est écrite par les vainqueurs qui, comme par hasard, se donnent toujours le beau rôle ; c’est à dire celui de la victime vertueuse.

Au-delà du fait que ce traité, particulièrement dur, à l’instigation des français en raison des pertes subies (aussi bien humaines que matérielles), a provoqué indirectement, par esprit de revanche, la deuxième guerre mondiale, il s’avère que l’auteur s’écarte de cette thèse !

Non, ce ne sont pas les allemands qui sont les responsables mais les serbes, les russes et … les français !

On pourrait supposer un parti pris nationaliste mais l’auteur est un historien australien !

Négationnisme, thèse farfelue ?

Je vous laisserai le soin d’en juger par vous-même mais il s’avère que cet ouvrage est extrêmement documenté et que son auteur a eu accès à des sources britanniques, françaises, russes, allemandes, autrichiennes et serbes qu’il n’était pas possible de consulter auparavant du fait du secret des archives.

Rappelons, néanmoins, le point uniformément admis et non contesté : le fait générateur est bien l’assassinat, le 28 juin 1914, à Sarajevo, de l’archiduc d’Autriche François Ferdinand, héritier de la couronne, et de son épouse Sophia, par un serbe de Bosnie dénommé Gavrilo Princip.

Sarajevo, capitale de la Bosnie, faisait alors partie de l’empire austro hongrois qui était par ailleurs un empire multi-ethnique sans que cela lui ait posé des problèmes particuliers alors que je me souviens bien qu’on nous avait enseigné que la première guerre mondiale constituait le déclencheur de l’essor des nationalités.

Mais, cela n’est pas vraiment une surprise puisque, déjà à l’époque, on parlait de la poudrière des Balkans !

La Serbie était un état extrêmement turbulent qui avait déjà déclenché deux guerres en 1912 et 1913 et s’était agrandie notablement après avoir chassé les ottomans des Balkans ; ce que l’on peut appeler un mouvement pan-serbe qui avait pour but de constituer la « grande Serbie ».

En outre, cette même Serbie pratiquait déjà (comme en 1990) le nettoyage ethnique de la manière la plus violente notamment vis-à-vis des populations musulmanes (les serbes sont des chrétiens orthodoxes) avec des crimes de masses ; ce dont évidemment tous les dirigeants occidentaux ont été informés.

En fait, pour l’auteur, les intérêts des pays impliqués ne sont pas nécessairement ceux que l’on a indiqués après-guerre.

On sait qu’il existait deux grands blocs constitués par d’un côté la triple alliance formée de l’Allemagne, l’Autriche Hongrie et l’Italie (qui fera défection) et de l’autre la triple entente formée de la France, la Russie (tsariste) et du Royaume Uni.

En fait, pas si simple, les alliances n’étaient pas vraiment ce qu’elles semblaient être ; surtout que l’époque était à la concurrence entre les impérialismes colonialistes essentiellement du Royaume Uni, de la France, qui possédaient de gigantesques empires, mais aussi de la Russie qui colonisait essentiellement son étranger proche.

Rappelons qu’à l’époque la Pologne, la Finlande et les pays baltes n’existaient pas en tant que tels et qu’ils faisaient partie de l’empire russe.

L’auteur nous apprend que le Royaume Uni ne s’est « allié » à la Russie que pour mieux la contrôler ; afin surtout d’éviter des conflits sur les zones indienne, Perse et moyen orientale où la Russie se montrait particulièrement agressive, alors que, parallèlement, il ne considérait pas l’Allemagne comme un ennemi. Précédemment, le Royaume Uni s’était aussi allié au Japon, dans le même but, afin de protéger ses possessions d’extrême orient.

La triple entente était en fait une double alliance Royaume Uni/Russie et France/Russie qui n’est devenue une alliance militaire qu’une fois la guerre déclenchée.

Il nous apprend aussi que la France s’est alliée à la Russie essentiellement parce qu’elle craignait la puissance militaire allemande ; surtout qu’au niveau démographie, elle atteignait péniblement 39 millions d’habitants contre 70. En outre, la guerre de 1870 avait passablement douché les esprits !

Par contre, il estime que le revanchisme français à propos de l’Alsace-Lorraine, annexée par la Prusse en 1871, n’est pas entré en ligne de compte.

Il fait aussi état d’un certain nombre de points essentiels quant à la compréhension du déroulé des faits :

L’attentat contre l’archiduc n’était pas l’œuvre d’un isolé mais d’un commando comportant au moins 7 acteurs sur place, divisés en 2 groupes, qui devaient jeter des bombes, tirer au pistolet et …se suicider ensuite avec des capsules de cyanure pour qu’on ne puisse pas remonter sur les commanditaires. Il s’agissait donc bien d’un complot et il est avéré que ce complot trouvait sa source directement dans les cercles du pouvoir serbe puisque les bombes et les armes ont été fournies par les autorités serbes et que le premier ministre serbe était au minimum au courant de l’action ; aucune preuve n’ayant pu néanmoins être rapportée qu’il l’eut organisé ou seulement suscité.

La Serbie faisait donc en l’espèce figure d’Etat terroriste et l’Autriche Hongrie, qui a très vite collecté des informations, notamment du fait des aveux des terroristes interpellés divulguant les détails du complot, apparaissait tout à fait fondée à obtenir réparation ; ce qui l’a amené à délivrer un ultimatum en dix points qui a été presque accepté par la Serbie.

Il s’agissait notamment d’obtenir l’extradition de membres de la main noire, organisation serbe, dont il était avéré qu’ils avaient participé à l’opération. Toutefois, les autorités serbes ont fait disparaître ces individus et refusé de communiquer quelque renseignement que ce soit ; échaudées par le fait que les auteurs arrêtés sur place à Sarajevo n’avaient finalement pas gardé le silence puisque leurs capsules de cyanure destinées à les « suicider » n’avaient pas fonctionné !

Il fallait évidemment faire disparaître toutes les preuves menant au gouvernement serbe dont il est avéré qu’il était dirigé par des acteurs de l’irrédentisme serbe persuadés que la construction d’une grande Serbie ne pouvait passer que par la guerre.

La Russie, qui s’était instituée protectrice de la Serbie et qui entretenait avec elle des relations très étroites, a immédiatement contesté la position autrichienne et n’a rien voulu entendre des doléances de celle-ci ; elle a en outre poussé la Serbie à adopter une position dure et intransigeante (à se battre comme des lions) et a immédiatement menacé tout en ordonnant, la première, très rapidement une mobilisation partielle ; ce qui constituait évidemment un premier pas vers la guerre.

Or, à cette époque, les grandes puissances de l’époque, considéraient que ce conflit devait rester ce qu’il était ; à savoir un conflit isolé entre l’Autriche Hongrie et la Serbie et qu’il n’y avait aucune raison de s’en mêler … d’autant que les informations établissaient sans doute possible l’implication des autorités serbes !

A l’époque de l’attentat, la France était dirigée de facto par Raymond Poincaré, figure tutélaire de la troisième république qui, après avoir été président du conseil (chef du gouvernement), avait été élu président de la République.

L’auteur s’intéresse longuement à la France car normalement, sous la 3ème république, le président ne gouverne pas. Il a essentiellement une fonction honorifique et on disait du président qu’il inaugurait les chrysanthèmes.

Seulement, élu président, Poincaré a intrigué pour conserver le pouvoir dans la mesure où il a fait désigner par l’assemblée nationale un président du conseil qui n’était en fait qu’un homme de paille (Viviani) qu’il manipulait à sa guise !

Or, au moment de l’attentat, accompagné du falot et craintif Viviani, Poincaré, qui était très anti allemand, rendait visite au tsar Nicolas II du 13 au 23 juillet 1914 et l’a assuré du soutien inconditionnel de la France tout en incitant la Russie à faire « preuve de fermeté » ; ce qui était pour le moins audacieux de sa part … et outrepassait ses fonctions !

Et cela a eu une influence déterminante sur la suite des évènements.

En effet, la Russie, qui, il faut le dire, sortait du moyen âge, était à l’époque en plein développement économique et se réarmait à grande vitesse ; ce qui ne manquait d’ailleurs pas d’inquiéter à la fois les allemands et les anglais !

En outre, la Russie, qui n’avait nullement renoncé à ses ambitions impériales, visait à s’approprier d’une manière ou d’une autre les détroits de méditerranée orientale (Bosphore et Dardanelles) appartenant à l’empire ottoman afin de pouvoir s’extraire de la Mer Noire. N’oublions pas que la guerre de Crimée de 1853 avait déjà eu pour objet ces détroits et que la France, l’Angleterre et l’empire ottoman s’étaient violemment opposés à la Russie.

Cette situation conflictuelle entre la Russie et la Turquie a d’ailleurs perduré du temps de l’URSS ; ce qui explique notamment que la Turquie soit devenue membre de l’Otan.

La Russie considérait à l’époque que les Balkans constituaient sa zone d’influence et que rien ne pouvait s’y passer sans qu’elle y donne son accord. En outre, elle s’était instituée « protectrice » des serbes qui sont aussi des slaves (du sud).

De ce fait, il existait une source potentielle de conflit entre la Russie et l’Autriche Hongrie, cette dernière agrégeant diverses nationalités dont … des serbes, et la Russie a refusé que le conflit se limite aux seuls pays concernés en engageant le mécanisme de déclenchement des alliances.

Ainsi donc, l’auteur nous désigne clairement deux responsables : la Russie et la Serbie … même si l’Allemagne mobilisé assez rapidement et a attaqué la France en passant par la Belgique selon le plan Schlieffen de l’état-major afin d’éviter une guerre sur 2 fronts ; l’invasion de la Belgique ayant entrainé l’engagement du Royaume Uni.

Mais, en tout état de cause, il faut être conscient qu’en nous engageant dans ce conflit, aux côtés de la Russie, nous avons pris parti pour un Etat terroriste même si les français ont eu très peur que les britanniques, au dernier moment, refusent d’y entrer parce qu’ils estimaient n’avoir aucun litige avec l’Allemagne et n’avaient aucun intérêt dans la zone des Balkans.

Enfin, personne ne se faisait d’illusion ; tout le monde savait que ce conflit allait être extrêmement meurtrier … et il l’a été !

Pour l’auteur, il n’y a pas vraiment eu d’intention mais un enchainement de circonstances qui ont entrainé les nations européennes dans la guerre, quelquefois malgré la volonté de leurs dirigeants surtout qu’à bien y regarder, lorsque la France s’est engagée dans le conflit elle n’avait aucun intérêt à défendre ; à tel point qu’à un moment, tant les allemands que les français ont envisagé de se faire face mais sans s’affronter (une sorte de drôle de guerre avant l’heure).

Evidemment, toutes ces explications ne correspondent pas tout à fait à la version officielle qui nous a été distillée ; avec une complication supplémentaire …

Il semblerait que nous ayons été abreuvés d’images qui n’auraient été que pure propagande en nous montrant des hommes tous sourires et enthousiastes d’aller à la bataille (notamment dans des trains en partance pour l’est) avec la certitude que cette guerre serait rapidement terminée.

De là à penser qu’il s’agissait d’une manipulation du pouvoir pour obtenir l’assentiment des populations …

En fait, il ne s’agirait au mieux que de cas très isolés et, pire, carrément d’une mise en scène réalisée pour les actualités cinématographiques de l’époque alors que, dans leur immense majorité, les populations ont été profondément accablées par la mobilisation ; personne n’étant dupe de ce qui allait se passer !

Et ce qui était prévisible s’est effectivement réalisé avec pour conséquences le remodelage de l’Europe, un véritable effondrement (on a parlé de suicide de la civilisation européenne) et enfin la disparition des grands empires centraux (Allemagne, Autriche Hongrie, Russie et empire ottoman) dirigés par des monarchies plus ou moins autoritaires !

La Serbie n’a encouru aucune conséquence de ses actes, bien au contraire, puisque la guerre lui a permis de concrétiser ses ambitions irrédentistes avec la constitution d’une grande Yougoslavie sous domination … serbe.

Sic transit gloria mundi !

Bonne lecture.

LES SOMNANBULES Christopher Clark Editions Flammarion

 

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles 5,00 sur 5 (1 avis)
Loading...

A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

Une réflexion sur « Première guerre mondiale –  Nous aurait-on menti ?  (déjà ?) »

  1. Je n’ai pas lu votre article jusqu’au bout parce que je suis en train de lire cet ouvrage passionnant, bien écrit et surtout très bien informé.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *