ORWELL ET BELLAMY

Je reproduis ici plus bas le texte intégral de la tribune que François-Xavier Bellamy a signée il y a une semaine dans Le Figaro, et qui n’est apparemment toujours pas en accès libre.
Je n’ai pas voté pour lui aux dernières élections européennes, mais je considère que c’est l’un des très rares élus, au sein de ce qui reste de la droite parlementaire (avec Henri Guaino, mais ce dernier n’a pas de mandat électif), qui aura su sauver l’honneur à l’occasion de cette crise.
L’abaissement ou l’attentisme de la plupart de ses amis, notamment les sénateurs LR et UDI du palais du Luxembourg, est tellement honteux et révélateur de ce que sont devenus les anciens partisans du libéralisme conservateur (ne parlons même pas du gaullisme) qu’il ne fait que confirmer ce que l’on sait d’eux depuis longtemps.
Partout, ces derniers jours, on vient l’air sévère nous expliquer que nous ne sommes pas en dictature ni à l’époque du IIIe Reich, ce qui est l’évidence même, commodément ressassée par tous les ânes du conformisme ambiant.
Mais il n’empêche que la pandémie de covid-19 et le quinquennat d’Emmanuel Macron nous auront quand même permis de donner une certaine actualité aux slogans imaginés par George Orwell dans sa peinture romanesque des mondes totalitaires du XXe siècle, notamment : “La liberté, c’est la servitude, et la servitude c’est la liberté.”
C’est du moins le sentiment que j’ai lorsque je vois les réactions qu’adoptent pas mal d’élites – et même certains de mes amis que j’aurais cru moins influençables – depuis huit jours.
Merci donc à François-Xavier Bellamy d’avoir eu le courage de l’exposer publiquement.
“Depuis l’apparition du coronavirus, nous sommes passés par bien des expériences inédites, et nous avons vu vaciller, de confinement en couvre-feu, la rassurante et illusoire évidence de nos libertés publiques. Mais il ne faut pas se méprendre: la vraie rupture historique pour notre modèle de société date de lundi dernier, avec les mesures annoncées par le président de la République. Si nous nous sommes opposés, il y a plusieurs mois déjà, à la création du pass sanitaire par le Parlement européen et le Parlement français, c’est parce que nous refusons absolument le monde qui se dessine sous nos yeux.
Une précision d’abord, dans la confusion et les caricatures du moment: s’opposer au pass sanitaire n’est pas être antivaccins. La vaccination est un progrès scientifique prodigieux, et l’une des plus belles pages de l’histoire de notre pays est sans doute d’y avoir largement contribué à travers l’œuvre de Pasteur. Mais comment comprendre que cette tradition scientifique aboutisse à la déraison que nous constatons aujourd’hui? Avec dix-huit mois de recul, nous connaissons désormais le coronavirus: nous savons chez quels sujets il provoque des formes graves. 93 % des victimes du coronavirus en France avaient plus de 65 ans; 65 % avaient un facteur de comorbidité. En dessous de 40 ans, sans facteur de comorbidité, le risque de mourir du coronavirus est quasi inexistant.
Pourquoi alors ne pas adopter la même stratégie de vaccination que celle qui a lieu chaque année face à la grippe saisonnière? Rappelons que, sans susciter aucune opposition, plus de 10 millions de vaccins ont été administrés l’an dernier contre cette épidémie, majoritairement pour les personnes vulnérables, âgées ou présentant une fragilité particulière. Le nombre de morts est ainsi contenu chaque année, sans qu’il soit jamais question de vacciner toute la population tous les ans au motif qu’il faudrait éviter la circulation du virus. On ne traite pas les plus jeunes d’irresponsables égoïstes parce qu’ils ne se font pas vacciner contre la grippe! Ce débat doit être mené sans simplisme et sans leçons de morale: oui, on peut être favorable aux vaccins, y compris à une campagne très large pour vacciner les personnes vulnérables face à cette épidémie, et affirmer que la stratégie de masse actuellement choisie semble hors de toute mesure: pourquoi faudrait-il vacciner un adolescent, qui ne risque absolument rien du coronavirus, au motif qu’il faut protéger les personnes âgées, si celles-ci sont vaccinées? C’est faire complètement l’impasse sur le nécessaire arbitrage entre bénéfice et risque, y compris du point de vue collectif.
L’accès à un espace public sera différencié selon nos données de santé. Comment une telle révolution peut-elle s’opérer avec une justification si faible, sans vrai débat parlementaire, et en caricaturant tous ceux qui osent s’en inquiéter ?
Mais là n’est même pas le problème essentiel, en un sens. Ce que nous n’acceptons pas, et n’accepterons jamais, c’est la transformation de nos vies quotidiennes, de nos relations humaines, de notre modèle de société, qui s’accomplira de manière certaine et potentiellement irréversible par la mise en œuvre du pass sanitaire. Pour la première fois dans notre histoire, il faudra présenter un document de santé pour effectuer les actes les plus simples du quotidien – prendre un train, entrer dans un magasin, aller au théâtre… L’accès à un espace public sera différencié selon nos données de santé. Comment une telle révolution peut-elle s’opérer avec une justification si faible, sans vrai débat parlementaire, et en caricaturant tous ceux qui osent s’en inquiéter? Rappelons pourtant combien ces contraintes inédites paraissaient inimaginables il y a encore quelques mois: quand certains redoutaient que le vaccin puisse devenir le critère d’une existence à deux vitesses, on les traitait de complotistes. Lorsque le pass sanitaire a été créé, le gouvernement jurait que jamais il ne conditionnerait l’accès à des actes quotidiens – seulement à des événements exceptionnels réunissant des milliers de personnes. C’est d’ailleurs à cette condition explicite qu’un tel dispositif avait été accepté par les autorités administratives compétentes pour la protection des libertés ou des données privées. Le fait que l’État méprise à ce point la parole donnée, sur des sujets aussi graves et en un temps aussi court, a de quoi inquiéter n’importe quel Français sur l’avenir de la liberté.
Car c’est bien tout notre modèle de société qui est aujourd’hui menacé. Si le gouvernement a la certitude que la vaccination générale est absolument indispensable, alors il devrait en tirer toutes les conséquences, et la rendre obligatoire. Nous ne pensons pas cela; mais ce serait au moins, du point de vue démocratique, une décision plus loyale que l’hypocrisie de cette contrainte déguisée. Ce serait surtout éviter de basculer dans ce nouveau monde où l’État contraindra chaque citoyen à contrôler son prochain pour déterminer ses droits. Le serveur d’un bistrot sera sommé de vérifier la vaccination et la pièce d’identité d’un client pour pouvoir servir un café; les mariés devront demander un QR Code à leurs invités avant de les laisser entrer… Et la police viendra sanctionner ceux qui n’auront pas participé efficacement à ce contrôle permanent. Qui peut prétendre qu’un tel dispositif permet de «retrouver la liberté»? Il constitue au contraire un précédent redoutable en matière de contrôle permanent et de droits différenciés, en particulier au regard des enjeux majeurs touchant la santé et la bioéthique dans les années qui viendront. Ne pensez surtout pas que, parce que vous êtes vacciné, vous aurez «une vie normale»: quand on doit présenter dix fois par jour un document de santé et sa carte d’identité, pour acheter une baguette ou faire du sport, on n’a pas retrouvé la liberté. Quand chacun doit devenir le surveillant de tous les autres, on n’a pas «une vie normale».
On nous dira qu’il faut choisir entre le pass sanitaire et le confinement généralisé: mais ce chantage est absurde. Dès lors que les plus vulnérables sont vaccinés, il n’y a aucune raison de revenir au confinement, aucune raison en particulier de fermer les amphis et d’enfermer les adolescents. Nous n’avons pas à choisir entre deux manières inutiles et dangereuses d’abandonner la liberté. Ce combat n’est pas individualiste, au contraire: c’est se sentir vraiment responsables d’un bien commun essentiel que de défendre cette liberté aujourd’hui gravement menacée. Il y a là un défi de civilisation: face aux modèles autoritaires qui triomphent ailleurs dans le monde, l’Europe et la France doivent montrer qu’une action publique efficace, même en période de crise, n’impliquera jamais d’abandonner les règles intangibles qui fondent nos démocraties. Les libertés fondamentales, l’égalité des droits, l’amitié civique, ne sont pas des privilèges pour temps calmes, mais des principes qui nous obligent.”
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3 réflexions sur « ORWELL ET BELLAMY »

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