La répartition est condamnée

Interview Kernews, mars 2023

Le spécialiste des questions de sécurité sociale estime que le système par répartition est condamné

Le docteur Claude Reichman est sans doute celui qui connaît le mieux l’économie de la Sécurité sociale et des retraites. Ancien conseiller de Raymond Barre, ce militant libéral a été très médiatisé dans les années 2000 pour avoir organisé la fronde des indépendants contre le monopole de la Sécurité sociale, entraînant ainsi des dizaines de milliers d’artisans et de commerçants à quitter le RSI pour rejoindre des assurances privées en Angleterre ou en Belgique. Un combat perdu devant les tribunaux. Cependant, cette affaire a entraîné la disparition du RSI… Aujourd’hui, à 85 ans, le docteur Reichman continue de se battre pour faire appliquer les directives européennes sur la libre concurrence à la protection sociale et à la retraite. Il estime que les jeunes qui manifestent pour la retraite à 60 ans, ou à 62 ans, perdent leur temps car, peu importe l’âge de la retraite, le système par répartition est condamné en raison de la démographie française.

 Kernews : Vous avez combattu pendant des décennies le monopole de la Sécurité sociale et vous avez été condamnés il y a quelques années pour avoir incité des milliers de personnes à se désaffilier de la Sécurité sociale. Où en êtes-vous ?

Claude Reichman : C’est la justice qui a été saisie par la Sécurité sociale pour nous faire taire. En réalité, elle nous a condamnés pour un motif assez extravagant : celui d’avoir dit fortement que les lois françaises disaient ce qu’elles disent. Ce n’est pas un acte d’extrême violence que de dire que la loi dit quelque chose. C’était un procès assez comique. J’ai demandé aux juges ce qu’ils pensaient du monopole de la Sécurité sociale et si, dans leur esprit, ce monopole existe ou n’existe plus. Ils sont restés muets de stupéfaction, car c’était visiblement la première fois qu’un justiciable demandait aux juges de se justifier. Nous avons hérité d’une condamnation pas très sévère et qui restera dans l’histoire, car chaque fois qu’un monopole est tombé, ou qu’une injustice a été réparée, les citoyens ont toujours été condamnés par la justice dans les dernières heures de leur combat. Cela se vérifie partout. Depuis, j’ai pu observer, avec la disparition du RSI, que le besoin se faisait moins sentir parmi tous ceux qui étaient décidés à quitter la Sécurité sociale. D’ailleurs, le RSI a admis que plus de 500 000 personnes l’avait quitté en utilisant nos arguments ! Donc, plus de 500 000 personnes ont pu sauver leur entreprise et c’est quand même une immense victoire.

On peut dire que vous êtes celui qui a eu la peau du RSI…

Il faut aussi saluer notre ami et ancien ministre Frédéric Lefebvre, qui avait pris fait et cause à l’Assemblée nationale contre le monopole de la Sécurité sociale et sur le fait qu’il fallait arrêter de martyriser les commerçants et les artisans.

Aujourd’hui, on doit attendre des semaines avant de voir un médecin, les urgences sont débordées, c’est une mécanique infernale que l’on observe dans toute la France : malgré le professionnalisme et le dévouement du personnel de santé, le système semble saturé…

Tout cela est le fruit d’une décision qui a été prise le 12 mai 1967, avec la publication d’un décret qui a mis les médecins aux mains de la Sécurité sociale, parce qu’à l’époque le gouvernement s’était aperçu qu’il était difficile de passer des conventions avec les médecins qui n’obéissaient pas au doigt et à l’œil. Comme d’habitude, le gouvernement pensait qu’il serait le mieux placé pour mettre de l’ordre. Cet ordre, c’est la situation que vous décrivez. L’hôpital est en plein effondrement. Il y a 35 % de fonctionnaires à l’hôpital : c’est un chiffre ahurissant. Il nous faut des soignants, pas des fonctionnaires. Un chef de service en radiologie m’a expliqué récemment qu’il fallait installer un nouveau scanner à l’hôpital. On avait convoqué une réunion pour décider du type de scanner et de son équipement, le chef de service et son adjoint sont arrivés et il y avait dix fonctionnaires… Finalement, ils étaient isolés au sein d’une commission qui était chargée de dire ce qui était la bonne conduite en matière de médecine. Tout cela est bel et bien le fruit du monopole de la Sécurité sociale. Je continue de dire que ce monopole a été abrogé en 1986, au moment du traité de l’Acte unique européen, qui a été signé par la France et par tous les États de la Communauté européenne de l’époque. Ce traité dit une chose extrêmement simple : le marché intérieur européen est constitué par un espace unique dans lequel les marchandises, les services et l’ensemble de ce qui fait la vie d’un pays circulent librement. À partir de là, il y a eu en 1992 des directives européennes qui ont tout simplement repris les impératifs de ce traité international. Il se trouve que l’article 55 de la Constitution française indique que les traités internationaux ont une valeur supérieure aux lois. J’estime que la France viole allègrement sa Constitution dans ce domaine.

Ce qui est intéressant, c’est que vous n’avez pas été condamnés pour avoir dit cela. Vous avez été condamnés pour avoir incité des dizaines de milliers d’entrepreneurs à quitter le système de la Sécurité sociale pour aller s’affilier dans le privé. Faisons le parallèle avec la question de l’énergie : le marché européen de l’énergie s’exerce au détriment des Français car il augmente artificiellement le prix de l’électricité, mais on nous martèle que que ce n’est pas possible, car les lois européennes sont supérieures aux lois nationales. En revanche pour la Sécurité sociale, on allègue l’inverse…

C’est effectivement une contradiction comique, mais grave, puisque nous avons une capacité énergétique remarquable grâce à la décision prise par le général de Gaulle pour que la France dispose de l’énergie nucléaire. Nous n’avions aucune obligation de partager cette énergie avec d’autres pays. Malheureusement, nos gouvernants n’ont jamais rien compris. Ils expliquent que la concurrence est meilleure que le monopole et j’ai toujours pensé que c’était vrai. Mais en l’occurrence, il n’y avait pas de monopole en matière d’énergie, puisque tout le monde pouvait acheter librement de l’énergie. Or ils ont voulu créer artificiellement un marché de l’énergie pour justifier de leur bonne foi européenne. Ils ont obligé EDF à vendre son énergie à prix coûtant à de nouveaux concurrents, en laissant ces nouveaux concurrents lui faire concurrence, ce qui était ridicule, puisque ces concurrents n’apportaient rien. Un concurrent, c’est quelqu’un qui apporte quelque chose. En ce qui concerne la Sécurité sociale, c’est une vraie folie, puisque les choses tournent à la catastrophe en matière de santé. Il ne reste debout qu’un corps médical de grande qualité. Je précise que nous n’avons jamais incité les gens à quitter la Sécurité sociale : j’ai fait de l’information, en expliquant la loi et en expliquant que les entrepreneurs avaient la possibilité de quitter la Sécurité sociale en tant que citoyens et consommateurs. Finalement, il paraît que je n’avais pas le droit de dire cela…

Abordons maintenant la question des retraites : vous indiquez que, peu importe le débat, les jeunes ne toucheront aucune retraite !

Les choses sont assez simples et il y a toujours des gens qui viennent les compliquer. Quand le système par répartition a été créé, nous avions 15 cotisants pour un retraité. C’était juste après la guerre. Petit à petit, le nombre de cotisants a diminué et nous sommes arrivés à un chiffre qui est pratiquement le seul viable en matière de retraite par répartition : 4 cotisants pour un retraité. En 1989, Michel Rocard a fait un Livre blanc qui expliquait clairement que le système était fichu, évidemment en termes plus diplomatiques. Il a créé la CSG qui a permis de prélever 100 milliards aux Français et c’est ce qui a permis à la Sécurité sociale de tenir quelques années de plus. Mais cela a aussi permis de ruiner les Français. À partir de cette époque, tout le monde savait dans les milieux officiels que la Sécurité sociale n’avait plus aucune chance de subsister dans sa branche retraite. Or, il ne s’est rien passé. Si l’on voulait rester dans la répartition, il aurait fallu augmenter le nombre de cotisants, ou réduire les pensions. D’ailleurs, ils ont osé appeler cela la solidarité entre les générations. Elle est belle, la solidarité aujourd’hui, quand vous avez 1,4 cotisant pour un retraité !

Alors que faire ? Doit-on passer à la capitalisation ?

La capitalisation, c’est quelque chose qui n’est pas une invention des banquiers américains, contrairement à ce que certains disent. Cela a commencé quand les chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire mettaient un peu de gibier de côté pour les mauvais jours. Le peuple français a toujours été économe, c’est une mentalité agricole, les agriculteurs doivent épargner du grain. Donc, capitaliser, ce n’est pas seulement donner de l’argent à des banquiers américains ! Pourquoi une retraite ? Cela peut paraître bizarre comme question, mais en réalité la retraite est une conception relativement récente et la retraite est née à la fin du XIXe siècle en raison de l’industrialisation. À la ferme, quand on ne pouvait plus faire de travaux difficiles, c’étaient les jeunes qui prenaient la responsabilité de la ferme et les personnes âgées aidaient comme elles pouvaient. Ensuite, les ouvriers ne pouvant plus travailler, il fallait trouver de nouvelles ressources. Le chancelier Bismarck est à l’origine de la toute première allocation de retraite, car il était face à une forte opposition socialiste, et il a lancé un régime pour rassurer les ouvriers. Il a convoqué un universitaire de renom en lui demandant l’âge auquel il fallait fixer le départ à la retraite de façon à ce que les retraités ne perçoivent jamais cette retraite ! Déjà, il s’agissait de savoir comment ne pas payer les retraites… L’universitaire a fait des recherches et il lui a dit que les Prussiens décédaient en moyenne à 65 ans. C’est donc à 65 ans qu’il fallait fixer l’âge de la retraite. C’est de cette manière que l’on a fixé l’âge de la retraite. Ce système destiné à aider les retraités était en fait destiné à les faire taire. C’est quelque chose qui est dans le tréfonds même des gouvernants. Le gouvernement généreux et responsable travaille pour le bien de ses compatriotes. Mais vous avez aussi le gouvernement vicieux qui ne pense qu’à une chose : comment tromper l’électeur et le concitoyen. Aujourd’hui, les gens sont plus vieux, et les hommes décèdent en moyenne à 80 ans et les femmes à 85 ans. Donc, si vous fixez l’âge de la retraite à 60 ans, vous allez devoir payer pendant 20 ans. On a raconté des histoires aux gens en expliquant que les jeunes payent pour les retraités et que lorsqu’ils seront eux-mêmes retraités, d’autres jeunes paieront pour eux. Mais ce n’est qu’une histoire fausse, puisque ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons des décennies de mensonges. Aujourd’hui, la retraite par répartition est une pyramide de Ponzi, c’est-à-dire le système Madoff. Les premiers retraités ont été très contents, mais maintenant les choses sont devenues impossibles à gérer. Face à cela, j’estime que le régime de retraite est parfaitement inutile et nuisible, parce que la façon dont vous vivez, dont vous vous retirez, dont vous occupez votre temps et dont vous épargnez, vous appartient. Ce n’est pas à l’État de vous dire que vous allez devoir épargner pendant tant d’années, puis on vous prendra ceci pour payer cela. C’est dépassé. Il faut des impôts pour que l’État puisse vivre et vous protéger, mais certainement pas pour régler les retraites. Ensuite, il vous faut un système fiscal approprié. Vous avez différentes façons de capitaliser. Vous pouvez acheter un appartement, par exemple. À ce moment-là, il faut que l’État mette tous les placements sur un pied d’égalité. Si vous mettez 1 000 € chaque année dans une assurance, un appartement, ou un fonds de pension en vue de votre retraite, il faut que vous puissiez déduire fiscalement cette somme. Il faut une neutralité fiscale.

Vous connaissez bien ce sujet, vous avez 85 ans, vous avez consacré votre vie à combattre le monopole de la Sécurité sociale et vous avez réussi à avoir la peau du RSI…

Nous aurons la peau d’un système spoliateur. J’ai passé ma vie à me battre, non pas pour moi, mais pour autrui. C’est un bonheur. Ce que je fais ne m’apporte strictement rien de plus. Savoir que mon prochain peut être heureux et que j’ai pu lui apporter une aide, c’est une grande satisfaction. J’ai été vraiment choqué par l’intervention de Madame Macron. Je ne veux absolument pas l’attaquer, mais elle a pris la parole pour dire qu’elle voudrait que les jeunes comprennent que ce que le gouvernement fait, c’est pour eux, c’est pour qu’ils aient une retraite. Je suis persuadé qu’elle était sincère. Cette femme n’est pas une politique, elle ne peut pas mentir, mais elle a entendu une histoire et elle a cru à cela. En réalité, les retraites représentent 385 milliards de cotisations chaque année et ce sont les jeunes qui payent. Mais les jeunes sont les victimes de ce système. On les plume, c’est une honte. Les Français devraient se demander ce qu’ils font en massacrant l’avenir de leurs enfants. En plus, certains leur demandent de manifester pour le maintien de ce système. C’est criminel. Il faut que les jeunes soient libres.

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2 réflexions sur « La répartition est condamnée »

  1. Tout cela est si vrai et si simple.
    Mais que peut-on contre la séduction du mensonge et l’emprise de la propagande, si ce n’est patienter pour que la faillite du système l’élimine inexorablement ?
    Amicalement Claude.

  2. Mais la question pour moi, est le déclin de la France=
    Dans ce monde qui est le nôtre maintenant, lire, penser, rêver, rire, découvrir, c’est résister. Le Fascisme est rampant !
    Une majorité d’électeurs Français a voté pour rester dans l’OTAN donc pour les guerres que mènent et mèneront les USA et ils en paieront le prix fort dont les USA seront les seuls bénéficiaires.
    La France n’existe plus, c’est une simple zone commerciale touristique de l’Europe et des USA et soumise aux intérêts américains.
    Depuis 1970 il y a une désindustrialisation massive dans tous les secteurs.
    En 1970 Nous étions autonome a 95% pour nourrir le peuple français, maintenant nous importons 60% pour nourrir les français. Quant à l’industrie pure elle a été divisée par 3. Il y avait 4 millions de paysans en 1970, maintenant 300.000.
    La France disparaît peu à peu car rien ne change et devient un pays en total déclin, un pays de fonctionnaires, un pays de tourisme à + de 80%, car la france est devenue le Plus Grand restaurant du monde du tourisme, mais le service laisse à désirer et enfin avec une police armée pour maitriser les esclaves issus de l’immigration ou toutes manifestations. Les Taxes et les contrôles sont accrus. C’est aussi l’élargissement de l’Europe qui a permis de tirer les salaires vers le bas et précaires. Quand on réfléchit à l’Ukraine dont le salaire Moyen est très bas 200€/ mois on comprends pourquoi certains défendent l’Ukraine et sa pauvreté, des esclaves créés par l’Europe et exploités par l’Europe!

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