LA FABRIQUE DE PAUVRES par Bertrand Nouel.

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Cri de colère ou cri du cœur, La fabrique de pauvres entend d’abord nous faire comprendre les mécanismes de l’engrenage conduisant à ce que de plus en plus de personnes dépendent de la solidarité (c’est la définition que l’auteur retient pour la pauvreté), en « préférant protéger ceux qui étaient dans le système et qui ne supportaient pas la remise en cause de leurs avantages acquis ».  L’ouvrage s’ouvre donc sur deux chapitres didactiques et violemment (mais toujours plaisamment) critiques de l’idéologie égalitariste qui domine l’État et « éradique la richesse ».

La thèse est celle du nivellement par le bas auquel conduit un clientélisme généralisé : « il est de l’intérêt des politiciens de créer la dépendance », et « la fabrique de pauvres est donc voulue et assumée par la classe politique quel que soit le bord dont elle se réclame ». Toujours plus d’État et de subventions avec « l’argent des autres, celui des contribuables et des générations futures ». On apprécie particulièrement que le second chapitre commence par la citation de François Hollande « ça ne coûte rien, c’est l’État qui paye », phrase prononcée à propos des contrats aidés, façon de promouvoir un « travail qui ne correspond à aucune demande ». D’où suit une critique virulente du keynésianisme et du monétarisme, qui induisent la distribution clientéliste d’ « argent gratuit » et un capitalisme de connivence. Au passage, on éreinte la thèse de Thomas Piketty en citant l’économiste Daniel Stelter, pour qui les inégalités trouvent leur vraie cause dans l’augmentation des dettes depuis trente ans.

Suivent alors plusieurs chapitres consacrés à des thèmes bien connus : l’Éducation nationale, fabrique de chômeurs, la règlementation (24.000 pages par an de Journal Officiel), véritable machine à broyer l’initiative, et un assez (trop) bref chapitre où se mêlent à toute allure la critique du modèle social, du système des retraites, de l’exception culturelle, des 35 heures, du racket des impôts

La dernière partie du livre correspond à son sous-titre : « Comment ne pas vous faire prendre dans l’engrenage ». Il s’agit alors, et assez curieusement, d’un guide personnel de (sur)vie ou vademecum pour l’honnête homo economicus du XXIème siècle : comment échapper à la fatalité du chômage, comment épargner sans vous faire tondre, comment organiser sa propre prévoyance. L’ouvrage se termine par un hymne à la liberté individuelle et à la limitation du rôle de l’État, avec l’expression d’un vœu, celui de trouver rapidement un remède au chômage de masse – remède dont la formule reste, si l’on comprend bien, à trouver.

Ce livre de 260 pages contient en réalité la matière de trois livres : l’un général sur l’économie, l’autre sur les sujets qui méritent le plus la critique, et le dernier sur comment ne pas être victime de l’ambiance générale. Le lecteur pourra se retrouver un peu dérouté par cette multiplicité d’angles de  réflexion, et quelquefois frustré de devoir sauter trop rapidement d’un sujet à l’autre.

On l’aura compris, ce livre n’est évidemment pas un traité d’économie, mais avant tout une critique virulente du recours à la dette utilisée pour combler ce que l’auteur décrit comme des « envies » par opposition à de simples « besoins ». On apprécie les développements initiaux, qui ont le mérite d’exposer pour tous (mais quand même pas pour les nuls !) le problème soulevé par l’idéologie qui guide les gouvernements qui se sont succédé depuis plusieurs décennies. Lorsque la théorie économique est mise à contribution, on aurait certes aimé davantage de développements sur les sujets essentiels : ainsi du renvoi dos à dos du keynésianisme et du monétarisme, ce dernier limité à l’expérience de John Law.  Un demi-siècle après la disparition de Milton Friedmann et en plein « quantitative easing », on aurait pu attendre plus du sujet. Dans le même ordre d’idées, on trouvera un chapitre de théorie économique consacré à la croissance, où le lecteur est un peu étourdi d’avoir à passer aussi rapidement de la problématique de la productivité à l’exposé de la théorie des cycles et de la stagnation séculaire en passant par la mondialisation et la robotisation.  Enfin, il ne faut pas chercher l’exposé d’un programme de gouvernement (ceci n’est pas une critique), dans la mesure où la fin de l’ouvrage se tourne plutôt vers un vademecum individuel : façon de dire que rectifier le tir au niveau de l’État serait peine perdue ? On voudrait quand même espérer le contraire.

Le livre est surtout un pamphlet extrêmement réjouissant. Très bien écrit, d’une plume très alerte, et fourmillant d’exemples concrets et de citations, il est de toute évidence l’œuvre  d’un auteur qui est familier des sujets qu’il aborde. Nous avons particulièrement aimé le chapitre consacré à l’éducation nationale, vingt-deux pages bien documentées et passant bien en revue les différents problèmes, sans oublier celui des programmes (celui de terminale ES est savoureux). Sans oublier non plus la démonstration prémonitoire se terminant par un « exit donc le latin ». Bonne lecture par conséquent.

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