VIVE LES ÉNARQUES…
À tout seigneur, tout honneur. Commençons par Paris et l’Île-de-France. On a beaucoup entendu parler ces derniers jours des notes de frais excessives de l’ancien président du Grand Palais, Jean-Paul Cluzel, mais on est passé à côté du véritable scandale : l’explosion du budget affecté à la rénovation de ce bâtiment historique, dont la construction date de l’Exposition universelle de 1900.
Entre 2010 et 2017, le budget de cette rénovation de luxe avait été doublé et une nouvelle rallonge de 75 millions d’euros vient encore d’être accordée, ce qui nous amène à un total, sans doute encore provisoire, de 541 millions. Les travaux prévus pour commencer en 2020 doivent impérativement être terminés en 2024 pour les Jeux olympiques, le Grand Palais devant abriter les épreuves d’escrime et de taekwondo.
Le chantier de la Maison de la radio, dans le genre, n’est pas mal non plus : la rénovation de cette tour des beaux quartiers, qui abrite l’information radiophonique officielle et l’auditorium de l’orchestre philharmonique de Radio France, aurait dû se terminer en 2013. Finalement, ce sera, en principe, en 2023, quatorze ans après le début des travaux. Et, comme d’habitude, c’est le budget qui aura explosé : il s’élevait au départ à 262 millions d’euros, ce qui est déjà considérable pour une rénovation. Il atteint aujourd’hui 736 millions, près de trois fois plus.
L’enveloppe de la philharmonie a été multipliée par quatre
Pourquoi une pareille dérive ? Il faudrait demander à Mathieu Gallet, l’ancien président de Radio France, qui semble s’y connaître en matière de dépenses importantes : c’est essentiellement sous son règne que les prévisions budgétaires de cette rénovation ont dérapé. Mais ce sera toujours moins que le réaménagement des Halles, lancé en 2002 par le maire de Paris Bertrand Delanoë, qui a fini par coûter un gros milliard d’euros, dont 500 millions à la charge de la mairie. Pour la seule Canopée, cette treille de métal jaunâtre qui coiffe le centre commercial, il aura fallu débourser 300 millions d’euros, le double du budget initial.
Restons à Paris et voici la nouvelle salle philharmonique de la Villette, réalisée par le « starchitecte » Jean Nouvel : l’enveloppe de départ avait été estimée à 100 millions d’euros. Une somme rondelette. Puis on est très vite passé à 170 millions pour terminer finalement à 386 millions, près de trois fois plus ! Quand on aime la grande musique, on ne compte pas !
Aux Batignolles, pour la nouvelle cité judiciaire, on a développé un nouveau système, celui du partenariat public-privé. Résultat : 90 millions d’euros de loyer annuel à payer jusqu’en 2043, ce qui va représenter une addition finale de 2,7 milliards d’euros en tenant compte des intérêts. Le confort du judiciaire parisien n’a pas de prix, mais on est encore loin du record.
Avec le « supermétro » du Grand Paris Express, cette fois, c’est une catastrophe nationale qui est annoncée. En 2010, le projet était évalué à 19 milliards d’euros. En 2017, selon la Cour des comptes, on atteignait 38,5 milliards ! Comme il faut absolument que l’essentiel des travaux soit terminé pour les JO de 2024, on peut prévoir sans grand risque un triplement du budget. Le montant faramineux de la dette de la SNCF (60 milliards) sera sans doute dépassé !
Le musée des Confluences a pris un retard de dix ans et son budget a été multiplié par cinq
Si l’on quitte la région parisienne pour aller fureter dans nos belles provinces et dans nos îles lointaines, on peut y observer un certain nombre d’extravagances ruineuses, à commencer par nos 40 000 ronds-points : à 1 million d’euros en moyenne, cela nous fait une addition de 40 milliards. À Rennes, on a trouvé le moyen de budgéter 1,3 milliard d’euros la construction d’une deuxième ligne de métro qui devrait être ouverte dans les deux ou trois ans qui viennent. Il nous étonnerait que ce budget soit tenu. Ce serait un exploit à inscrire dans les annales.
À Lyon, à peu près dans les mêmes conditions organisationnelles et budgétaires qu’à Rennes, le musée des Confluences a pris un retard de dix ans et son budget a été multiplié par cinq, passant de 61 à 330 millions d’euros. Un beau scandale chez les Gones ! On a aussi entendu parler cet été de la deuxième gare TGV de Montpellier qui a coûté 135 millions d’euros, une gare édifiée au milieu de nulle part, au bord d’un immense terrain vague, sans guichets ni distributeurs de boissons ou de snacks. Une gare « fantôme et inutile », selon ses premiers usagers ! Une gare perdue qui ne sert à rien et qui n’est même pas reliée normalement à la ville de Montpellier… Tout cela pour quelques trains quotidiens qu’on peut compter sur les doigts d’une main.
À La Réunion, « la route la plus chère du monde »
Enfin, le morceau d’anthologie annoncé par les experts en gabegies nationales : « la route la plus chère du monde », en cours de construction à La Réunion. Là, on est dans le pharaonique, car il s’agit d’un chantier de 1,6 milliard d’euros pour 12,5 kilomètres d’une route côtière entre Saint-Denis et La Possession, soit 133 millions du kilomètre, c’est-à-dire 22 fois plus qu’une autoroute normale ! Malgré tous nos efforts ruineux et tous nos exploits hexagonaux hors de prix, on n’avait encore jamais vu ça…
Pour ce chantier hors norme, selon Capital, « il a fallu construire des usines qui fabriquent les différentes parties du chantier, une méga-barge qui achemine et pose les piles du viaduc – le plus long de France avec 5,4 kilomètres – a été réalisée sur mesure et acheminée de Pologne, 19 millions de tonnes de roche seront nécessaires pour consolider et fabriquer l’ouvrage, 230 000 tonnes de galets ont été importées de Madagascar »… Le chantier avance lentement et devrait être terminé, si tout va bien, en 2020. Une rallonge de 250 millions d’euros a été votée dernièrement par le conseil général de La Réunion et, chez les professionnels, les paris sont ouverts sur le coût final de cette gigantesque, irresponsable et invraisemblable bêtise.