Un capitalisme d’Etat rien qu’à nous !

Vous en avez évidemment entendu parler : L’Etat néerlandais vient de rafler, en bourse, 14% du capital d’Air France-KLM ; se plaçant de facto à parité avec l’Etat français lui-même actionnaire à hauteur de 14% !

La réaction française

 Nos grands dirigeants ont fait savoir qu’ils n’étaient pas contents !

Spécialement, ont réagi vivement Bruno Le Maire, ce ministre de l’économie grand partisan du libéralisme sous la férule stricte de la haute administration et favorable au développement de l’impôt tous azimuts, et Michel Sapin, cet ancien ministre de l’économie de F Hollande, grand spécialiste du matraquage fiscal et du budget truqué !

Que du lourd, de l’efficace et du méchant !

Et ils sont scandalisés. L’Etat néerlandais n’a pas prévenu Paris au préalable et, cette action est considérée à Paris comme inamicale ; à tel point que même les services de Bercy ne comprennent pas car, selon eux, la stratégie du nouveau Pdg « ne remet pas en cause les intérêts néerlandais » !

C’est dire si l’heure est grave !

Il est vrai que cette méthode est plutôt inhabituelle de la part de l’Etat néerlandais ; les Pays Bas étant une nation de commerçants (Compagnie des Indes Orientales) depuis la fin du moyen age dont les pratiques sont à l’opposé du socialisme franchouillard et dirigiste pratiqué chez nous !

Selon Michel Sapin, « ce qui est frappant, choquant, violent, c’est la méthode. C’est une méthode hostile et boursière », entraînant « une détérioration très forte entre les autorités françaises et néerlandaises » et donnant une mauvaise image de l’Europe ! Car « l’Europe doit être en capacité de créer et de conforter de grandes entreprises mondiales ».

Bercy enfonce le clou et invoque une « forme de duplicité du gouvernement hollandais » et lui reproche de se comporter « comme un fond activiste».

 Dans le français tel qu’il est pratiqué par notre haute administration « méthode hostile et boursière » et « fond activiste » font référence aux Hedge funds américains « sans foi ni loi » qui ne respecteraient rien ni personne ! Vous savez, ces « fonds vautours anglo-saxons», la pire engeance de la planète financière qui agissent sous contrôle de la SEC (autorité des marchés financiers US) et qui ont gagné tous leurs procès à l’époque bénie de l’Argentine socialiste de Mme Kirchner qui a ruiné sa population avant d’essayer ensuite de tordre le bras à ses créanciers pour ne pas payer ses dettes !

En langage diplomatique, « inamicale » veut dire qu’on considère à Paris que l’Etat néerlandais s’est comporté comme un bandit !

C’est dire si à Paris on n’est pas content !

D’ailleurs, le ministre de l’Économie des Pays-Bas est fermement attendu à Paris pour venir s’expliquer car il est en effet à la fois inconcevable et incongru qu’un État étranger puisse ainsi faire intrusion  dans le capital d’un « groupe privé français» fleuron du capitalisme d’Etat !

L’Etat français dispose-t-il d’une sorte de propriété morale inattaquable, peut-on parler d’un crime de lèse-majesté ?

Le capitalisme d’Etat à la française

 On savait la haute administration française capable de toutes les arrogances mais on restera quand même surpris par cette réaction car il apparaît un peu surprenant que l’Etat français puisse s’indigner que d’autres Etats puissent utiliser les mêmes méthodes que lui !

Il dispose pourtant d’une certaine expérience en la matière puisqu’il est actionnaire, majoritaire ou non, d’environ 1800 sociétés au nombre desquelles EDF,  la SNCF,  PSA, Renault, ADP (aéroport de Paris), Engie, Areva, Thales ; et il n’hésite d’ailleurs pas à brandir régulièrement l’arme de la nationalisation ou encore la désormais fameuse loi Florange de 2014 qui lui permet de faire irruption dans le capital des entreprises par le biais du droit de vote double !

Il faut se rappeler que l’attribution de droits de vote double lui conférant le contrôle au sein du capital de Renault, a été obtenue de force en 2015, malgré l’opposition de Carlos Ghosn ; et que cette façon d’agir inquiète beaucoup Nissan, l’entreprise japonaise détenue par Renault à hauteur de 45% de son capital. De facto, Nissan se trouve être la propriété de l’Etat français !

En effet, dans certains pays, on n’aime pas le mélange des genres … surtout que l’Etat français, eu égard à l’interventionnisme forcené qu’il a toujours pratiqué, est bien loin d’être un parangon de vertu :

– Comme tous les Etats, il obéit à des considérations politiques qui interfèrent nécessairement avec la bonne gestion de toute entreprise détenue par lui ; que ce soit au niveau de ses dirigeants (on nomme les copains … énarques forcément) ou au niveau de la politique industrielle (on oblige l’entreprise sous contrôle à se lancer dans des opérations rentables politiquement, pour le pouvoir, mais ruineuses pour elle),

– Particulièrement désargenté, il a aussi la détestable manie de pomper les entreprises dont il est actionnaire par le biais de la distribution de dividendes ; au détriment bien entendu des investissements ! En fait, l’Etat français a tendance à se comporter avec les sociétés dont il est actionnaire, comme en matière fiscale, tel un vampire !

La situation d’Air francce-KLM

 La création d’Air France-KLM remonte à 2004, lorsque Air France a pris le contrôle de KLM.

Les principaux actionnaires sont l’Etat français (qui, en tant qu’actionnaire historique d’Air France, dispose d’un droit de vote double), l’américain Delta Air lines (1ère compagnie mondiale) et le chinois China Eastern qui détiennent chacun 8,8% (et qui disposeront aussi à compter de septembre prochain, d’un droit de vote double comme le permet la réglementation pour les actions détenues nominativement depuis au moins deux ans).

Le reste du capital se répartit entre 3,9% pour le personnel et 50% de « flottant »  (petits actionnaires privés).

Avec cette acquisition, l’Etat hollandais vient en fait contester le contrôle qu’exerçait l’Etat français avec seulement 14% des actions sur une société au capital très dispersé et notre haute administration vient subitement de réaliser avec effroi que cela pourrait être l’opportunité pour un raid boursier.

En effet, une alliance capitalistique entre l’Etat néerlandais et l’américain Delta pourrait renverser le pouvoir au sein d’Air France-KLM dont le capital ne serait finalement peut-être pas aussi bien verrouillé que prévu  ! A eux deux, ils représenteraient 23% du capital, et pas loin du double en droit de vote le jour où, dans deux ans, les droits hollandais vaudront le double.

En fait, au-delà des déclarations ridicules appelant au patriotisme économique pour sauver un « fleuron des entreprises françaises », la réaction française trahit surtout la surprise d’une haute administration, pleine de morgue et de suffisance, qui se plait à penser que les raids boursiers ne sont qu’une perversion du capitalisme sauvage tel qu’il est pratiqué aux USA et qui n’imaginait pas qu’un autre Etat puisse utiliser les mêmes méthodes qu’elle.

Rappelons nous quand même :

– le raid infructueux lancé par l’Etat français en 1988 sur la Société Générale, privatisée sous Balladur, à l’initiative de F Mitterrand, fraîchement réélu, à travers et sous couvert d’un pool d’entreprises publiques et privées.

– le raid lancé par EDF, filiale à 85% de l’Etat français, sur le producteur italien d’électricité Edison.

Autrement dit, la haute administration française est prise à son propre jeu ; celui qu’elle aime jouer avec ses règles à elle ; celles du capitalisme de connivence avec les copains et de la prédation avec les autres !

Or, il faut rappeler qu’Air France-KLM va mal et perd des parts de marché. Il y a aussi de grosses tensions entre Air-France et sa filiale KLM pour au moins trois raisons :

– la situation d’origine s’est retournée puisque, aujourd’hui, le pole de bénéfices se situe désormais chez KLM. Air France a bien du mal à faire face à la fois à la concurrence des compagnies low cost et à l’opposition des syndicats maison qui ont bloqué le développement des filiales Hop et Joon ! En 2018, le bénéfice d’exploitation de 1 milliard € a été réalisé près de 80% par KLM.

– Ben Smith, le PDG canadien (qui, exceptionnellement, n’est pas un énarque parce que les énarques se sont montrés …bien incapables de redresser la situation) a été nommé par l’Etat français ; apparemment sans concertation ni avec les salariés d’Air France ni avec les dirigeants de KLM !

– le personnel et les dirigeants de KLM ont été scandalisés par les grèves à répétition qui ont fragilisé Air France alors qu’il s’agit d’un personnel aux salaires … plus que confortables. On évoque aussi l’existence de féodalités sociales rendant le groupe difficilement gouvernable.

L’Etat hollandais a donc décidé de se mêler des affaires de sa compagnie aérienne nationale parce qu’il ne voudrait pas que KLM fasse les frais des errances d’Air France.

Evidemment, l’affaire n’en n’est qu’à ses débuts car, au-delà du conflit de personnes qui existerait entre le Pdg du groupe et Pieter Elbers, le Pdg de KLM, cette intrusion de l’Etat hollandais n’a pas été faite juste pour faire de la figuration mais bien pour défendre des vues qui ne seront pas nécessairement en accord avec celles de Paris !

Il y a donc bien des désaccords entre la gouvernance d’Air France et l’Etat hollandais ; désaccords qu’il faudra éclaircir même s’ils sont niés par notre haute administration.

Les aspects politiques

 A ces considérations purement économiques, s’ajoutent des considérations politiques. E Macron est très affaibli en France mais tout aussi faible en Europe dans la mesure où, du fait de ses attitudes et ses déclarations pas toujours très heureuses, il s’est brouillé avec quasiment tout le monde (les allemands, les britanniques, les hollandais, les baltes, les hongrois, les italiens, les polonais, les USA,  …) !

Et, bien qu’E Macron se perçoive encore comme le leader de l’Europe ( !?!), plus personne n’a confiance en la France dont la situation économique et financière se dégrade à grande vitesse ; alors même que notre haute administration, rançon inévitable de sa mainmise sur tous les secteurs du pays, se trouve sur tous les fronts et ne sait plus où donner de la tête !

On ne peut donc pas s’étonner que les néerlandais n’aient pas confiance non plus !

En conclusion

Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Etat français, qui ère entre naïveté et arrogance, et qui demande aujourd’hui à l’Etat hollandais de faire marche arrière, veut bien des actionnaires mais seulement des sleeping partners, des actionnaires dormants et passifs pour que nos élites puissent n’en faire qu’à leur tête !

Pour nos hauts fonctionnaires, le capitalisme d’Etat ne peut être rien que français …et, pour faire quoique ce soit, il faut leur demander leur autorisation préalable !?! Car, comme l’a si bien dit Michel Sapin : « l’Europe doit être en capacité de créer et de conforter de grandes entreprises mondiales »  mais … sous la direction de la France !

On peut toujours rêver !

Bien cordialement à tous !

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A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

4 réflexions sur « Un capitalisme d’Etat rien qu’à nous ! »

  1. Comme toujours, excellent; mais sur un détail industriel certes important et cependant mal connu, mais une partie importantes quand même. Merci !

    On aimerait bien savoir de D. philos ce que vous voyez dans votre boule de cristal concernant notre Pays.

    En effet, les revendications sont ces jours-ci diverses et variées.

    Comment calmer les injustices et les inégalités les plus criantes ?

    Et proposer de réformer la fiscalité une discussion à l’intérieur de Témoignage fiscal, en oubliant les vexations qui sont à l’origine de sa création.

  2. Comme le souligne évidence, il faut torpiller l’Etat, car dans la situation actuelle de la France, c’est la seule solution qui reste avant que la gangrène généralisée ne tue le malade.

    Sinon CPEF!

  3. oui , il faut bien torpiller l etat et le SNPL qui plombent cette boite car ils se reposent confortablememt sur KLM pour la croissance et l ebitda du groupe

    Il faut appliquer cette doctrine a tous les rouages de l etat ou de l administration
    on prends part au debat on s invite au banquet et les piques assiettes, les boulets , les assistes et les improductifs > ceux qui vivent sur leur acquis ON LES VIRES !!

    bien mal acquis ne profite jamais – on ne peux eternellement tirer parti d’affaires mal gérées ou malhonnêtes c est la selection darwinienne .

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