Solidarité fiscale et démocratie sous influence : la marionnette des élites

Pour débuter cet article, il semble essentiel de rappeler ce qu’est, en théorie, la démocratie française. Une définition formelle, telle qu’enseignée dans les manuels, permet d’éclairer la manière dont notre système politique est censé fonctionner avant d’analyser comment, dans la réalité, il est perverti par les intérêts d’une caste bureaucratique.

La démocratie française : un idéal théorique contredit par la pratique

La démocratie française repose officiellement sur un régime représentatif et républicain, dans lequel le pouvoir émane du peuple, mais est exercé par des représentants élus. Ce système s’appuie sur le principe de la séparation des pouvoirs, censé garantir un équilibre institutionnel et prévenir toute concentration abusive des décisions entre les mains d’un seul organe. Cette répartition repose sur trois piliers :

  1. Le pouvoir législatif, chargé de voter les lois et réparti entre deux chambres :
    • L’Assemblée nationale, dont les députés sont élus au suffrage universel direct pour cinq ans. Elle joue un rôle clé dans l’élaboration des lois et détient la faculté théorique de renverser le gouvernement par une motion de censure.
    • Le Sénat, élu par un collège de grands électeurs (essentiellement des élus locaux), qui représente les collectivités territoriales. Il examine les lois après l’Assemblée, mais ne peut pas renverser le gouvernement.
  2. Le pouvoir exécutif, responsable de l’application des lois et de la direction du pays :
    • Le Président de la République, élu pour cinq ans, incarne le chef de l’État. Il nomme le Premier ministre, préside le Conseil des ministres et peut dissoudre l’Assemblée nationale.
    • Le Gouvernement, dirigé par le Premier ministre, applique les lois et conduit la politique du pays. Il est censé être responsable devant l’Assemblée nationale.
  3. Le pouvoir judiciaire, garant du respect des lois et de l’indépendance de la justice :
    • Il est exercé par les tribunaux et cours, avec le Conseil constitutionnel au sommet, qui vérifie la conformité des lois à la Constitution.

Dans cet agencement théorique, les administrations françaises ne sont censées être que des exécutantes, appliquant la loi dans un cadre strictement défini. L’administration fiscale, en particulier Bercy, ne saurait donc, en principe, agir en dehors de ce cadre légal. Puisque les lois sont votées par le Parlement, il suffirait en théorie que les citoyens alertent leurs élus, députés et sénateurs des abus constatés afin qu’ils corrigent les dérives du système.

Or, face à l’absurdité criante des situations engendrées par la solidarité fiscale, une telle démarche devrait aboutir sans la moindre difficulté. Tel un éléphant dans un corridor exigu, l’injustice est si flagrante qu’elle ne peut être ignorée.

Quand le pouvoir législatif est neutralisé par l’exécutif et la technocratie

Grâce à une association de victimes de la solidarité fiscale, j’ai pu participer à un travail de sensibilisation auprès des élus. Cette démarche a suscité un large soutien, dépassant les clivages politiques, tant le problème transcende les idéologies. En effet, nul n’est à l’abri de ce mécanisme inique, rendant potentiellement chaque citoyen redevable des impôts d’un conjoint indélicat, même après séparation.

La solution la plus évidente consistait à modifier le Code des procédures fiscales en intégrant des amendements au Projet de loi de finances (PLF). Cette approche a été suivie pour le PLF 2024, avec plusieurs amendements visant à assouplir la solidarité fiscale. Mais, comme il est désormais d’usage en France, le Gouvernement a dégainé l’article 49.3, une arme législative qui permet de faire adopter un texte sans vote. Ce coup de force efface d’un revers de main des mois de travail parlementaire, annulant toutes les modifications portées au PLF.

Face à ce verrouillage antidémocratique, une autre stratégie a été envisagée : déposer une proposition de loi spécifique. Grâce à la mobilisation de l’association et au soutien des parlementaires, une proposition reprenant les amendements rejetés a suivi le parcours législatif traditionnel. Après plusieurs allers-retours entre l’Assemblée nationale et le Sénat, un texte finalisé voyait le jour, instaurant un encadrement clair et légal des pratiques administratives. L’administration fiscale ne pourrait plus agir à sa guise, mais serait contrainte par des critères objectifs pour accorder la décharge de solidarité fiscale.

Jusqu’ici, le processus démocratique semblait suivre son cours. Mais c’était sans compter sur l’étape la plus obscure et opaque du système législatif français : la commission mixte paritaire.

La commission mixte paritaire : l’ombre où la démocratie s’éteint

Avant d’être soumis à promulgation, le texte final devait passer par la commission mixte paritaire, composée de députés et de sénateurs, chargée d’harmoniser les versions des deux chambres. C’est là que tout a basculé.

Dans le plus grand secret, sans débat public et avec un compte rendu réduit à quelques lignes, la commission a profondément modifié le texte. Au lieu d’un cadre légal contraignant, l’administration fiscale se voyait redonner la liberté totale de décider « à titre gracieux » si elle accordait ou non la décharge de solidarité fiscale. Une farce cynique. Autrement dit, au lieu d’être encadrée, Bercy redevenait seul maître à bord, sans obligation de justifier ses décisions.

C’est une trahison pure et simple. Ce simulacre de justice, qui consacre la toute-puissance discrétionnaire d’une administration hors de contrôle, révèle une véritable captation du pouvoir législatif par les hauts fonctionnaires.

Le maigre argument avancé par la commission pour justifier ce retournement ? Une soi-disant question de constitutionnalité, car la modification initiale aurait porté atteinte au « sens » de la solidarité fiscale. Une ironie sinistre, quand on sait que cette même solidarité viole déjà la Déclaration des droits de l’Homme et la Convention d’Istanbul. De qui se moque-t-on ?

Un État dans l’État : la main invisible de Bercy sur la démocratie

Il faut bien comprendre l’ampleur du pouvoir de l’administration fiscale. Son influence s’infiltre dans toutes les strates du système de manière insidieuse et silencieuse. Dans l’esprit collectif, Bercy contrôle les finances, détient les clés du Trésor, et nul n’ignore que dans notre système, l’argent dicte les règles du jeu.

Contrairement aux responsables politiques, qui ne font que passer, les hauts fonctionnaires sont les véritables maîtres du pays, imposant leur vision à l’ombre des institutions démocratiques. Investis d’une mission qu’ils considèrent supérieure à l’intérêt du peuple, ils n’hésitent pas à déformer, manipuler et corrompre l’esprit même de la démocratie. Ils laissent aux politiques juste assez de latitude pour maintenir l’illusion d’un régime démocratique.

Le constat que j’expose ici repose sur un fait d’une évidence troublante : comment expliquer qu’un texte de loi voté à l’unanimité par l’Assemblée et le Sénat (événement rarissime) ait pu être aussi brutalement vidé de son contenu par une poignée de technocrates lors d’une commission confidentielle ?

La réponse est limpide : la démocratie n’existe que dans les discours. Dans les faits, elle est confisquée par une élite bureaucratique qui impose ses propres règles sous couvert de légitimité républicaine. Le pire, j’en suis convaincu, est que cette élite prétendument démocratique se sent investie d’une mission supérieure d’intérêt général. Et je n’ai aucun doute qu’ils sont persuadés d’agir pour le bien commun, sans même percevoir qu’ils déforment et bafouent gravement les principes fondamentaux de la démocratie.

Le tableau que je viens de dresser est certes inquiétant, mais il me semble refléter une réalité bien plus vaste que la seule question de la fiscalité. Ce dysfonctionnement systémique est le symptôme d’une dérive plus profonde, qui gangrène nos institutions et sape progressivement les fondements mêmes de notre démocratie.

Pour autant, je demeure convaincu que cette machine peut encore être ramenée à un fonctionnement sain et légitime. Il est impératif de rappeler une évidence trop souvent oubliée : l’État et ses institutions sont censés être au service du peuple, et non l’inverse. Ce renversement des priorités n’est pas une fatalité, mais il exige un sursaut collectif, une réappropriation citoyenne du pouvoir démocratique.

Je ne sombre pas pour autant dans un catastrophisme stérile : la France, malgré ses dérives, reste un pays où il fait encore relativement bon vivre. Mais la question cruciale demeure : vers quelle direction allons-nous ? Jusqu’où tolérerons-nous cette confiscation rampante de la souveraineté populaire ?

Pour conclure, permettez-moi de partager un fait passé sous les radars médiatiques mais qui devrait pourtant faire l’effet d’un électrochoc. Je cite :

« La publication de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) 2024 par Transparency International révèle une dégradation alarmante et inédite de la situation française. La France perd cinq places dans le classement mondial, tombant à la 25ᵉ position, dix rangs derrière l’Allemagne, avec un score de 67. Cette chute, inédite depuis la création de l’indice en 1995, met en lumière des failles structurelles majeures dans la lutte contre la corruption, exacerbées par des scandales récents et une défiance croissante envers les institutions démocratiques. Le constat de Transparency International est sans équivoque : la France est en passe de perdre le contrôle face à la corruption. Un signal d’alarme pour la démocratie. »

Ce constat extérieur, objectif et documenté, vient tristement corroborer l’analyse que je viens de livrer. Il appartient désormais à chacun d’ouvrir les yeux et d’agir, avant que l’érosion de nos principes démocratiques ne devienne irréversible.

Note de l’auteur : Conformément à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les propos tenus dans cet article relèvent pleinement de l’exercice de la liberté d’expression et de la critique des institutions publiques. Ils s’inscrivent dans un débat d’intérêt général portant sur le fonctionnement de la démocratie et les dérives possibles de l’action administrative. En aucun cas ces observations ne visent des personnes physiques ou morales de manière nominative et ne sauraient être interprétées comme des propos diffamatoires ou injurieux au sens des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. L’objectif de cet article est exclusivement d’ouvrir un débat citoyen et de questionner les mécanismes institutionnels, dans le respect du droit et des personnes.

Mots clefs : Démocratie française, Solidarité fiscale, Fiscalité française, Commission mixte paritaire, Pouvoir législatif, Pouvoir exécutif, Bercy, Administration fiscale, Captation du pouvoir, Haute fonction publique, Amendements PLF, Article 49.3, Dérive technocratique, Oligarchie administrative, Corruption institutionnelle, Transparency International, Indice de perception de la corruption, Droits fondamentaux, Liberté démocratique, Déséquilibre institutionnel, Parlement français, Droit fiscal, Injustice fiscale, Responsabilité solidaire, Système représentatif, Crise de la démocratie, Souveraineté populaire, Pouvoir discrétionnaire, État de droit, Critique institutionnelle

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A propos Maxime MICHEL

Je m'appelle Maxime, j'ai une trentaine d'années. Ayant vécu une expérience personnelle marquée par les injustices du système fiscal, notamment à travers le dispositif de solidarité fiscale, j'ai décidé de partager mon histoire pour alerter sur les dangers et les dérives de ce mécanisme. À travers mes articles, je souhaite sensibiliser les lecteurs et engager un dialogue sur la nécessité de repenser un système fiscal plus juste et respectueux de l'humain.

4 réflexions sur « Solidarité fiscale et démocratie sous influence : la marionnette des élites »

  1. il faudrait ajouter le terme dévoyée à “démocratie” pour que cela puisse être crédible .
    d’où la maxime : une démocratie sans contrôle n’est qu’un leurre.

  2. Cher Henri DUMAS,
    Vous et moi sommes de la génération des “boomers” (comme nous appellent les jeunes souvent avec mépris), et malheureusement nous ne changerons pas la situation actuelle. Rappelons nous qu’elle est l’aboutissement de choix électoraux désastreux faits par les générations de l’après-guerre, et qu’aujourd’hui, on ne voit pas qui, dans le paysage électoral quel homme politique aura le courage ( et le pouvoir) de donner un coup de pied dans la fourmilière administrative et politique pour enfin remettre les choses à plat et repartir du bon pied.
    Pour nous, notre avenir est connu, pour nos enfants et petits enfants, je serais plutôt de l’avis de Richard, qu’ils votent avec leurs pieds car la situation, si elle doit changer, cela prendra beaucoup de temps et n’interviendra que lorsque le pays aura touché le fond ( comme la Grèce?). Qu’ils fuient ce pays malade tant qu’il est encore temps s’ils ne veulent pas gâcher leurs vies et leurs chances de réussite. La démocratie y est morte.

  3. Un très bon billet qui résume une situation ou nos élus ne cherchent pas ç être utile mais important pour des raisons de clan ou personnelles. Je vous invite a dire adieu à la France démocratique, c’est fini, l’a technostructure a le pouvoir totale au détriment du peuple et Emmanuel Todd nous l’explique écoutez cette interview – France : la chute finale ?
    Un entretien du 18 mars 2023, événement avec Emmanuel Todd sur l’effondrement silencieux du pays. Diane Lagrange, journaliste-intervieweuse e l’œuvre de E. Todd. Française enracinée et polyglotte, ancienne expatriée en Angleterre et au Japon, écoutons= Cliquez sur le lien : https://www.youtube.com/watch?v=YAJ0LT-pD-w

  4. C’est un très bon billet, à la foi crédule et lucide. Lucide car tout ce qui est soupçonné est la réalité. Crédule parce les conséquences à tirer sont timorées, mais c’est normal pour cette génération qui fait face au précipice qui s’ouvre inexorablement sous ses pas. Que faire ? Être violent avant la violence qui arrive ?
    Ce n’est pas un bon plan. Attendre que cette violence arrive pour lui répondre violemment ? Ce n’est pas non plus un bon plan.
    Le bon plan c’est d’organiser une majorité politique pour changer d’abord la perception populaire de ce qu’est un pays et de ce que sont les responsabilités de chacun, puis de gagner les élections….et pour ça il faut du temps, beaucoup de temps.
    Vous êtes jeune Maxime, allez-y, courage.

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