Respirons à nouveau l’air de la France !
« J’ai des principes dans la vie, mais si vous ne les aimez pas, j’en ai d’autres. » Groucho Marx, l’auteur de cette belle maxime, n’était pas français mais il aurait mérité de l’être, d’autant que son père était originaire d’Alsace. Son cynisme grinçant faisait merveille dans le spectacle américain. Le spectateur riait d’autant plus qu’il se disait qu’un tel comportement était impossible dans la vie courante. Il se trompait. Groucho existe. En France.
Il existe même à quelques dizaines d’exemplaires. Il s’agit des participants aux débats politiques des radios et des télévisions. Peu d’entre eux ont la moustache de Groucho, mais presque tous, à l’exception des femmes, sont hirsutes et plus ou moins barbus. Et à longueur de temps ils tiennent des propos confus et péremptoires dont il ne ressort vraiment rien, sauf qu’ils sont contents d’eux. Quant aux femmes, elles sont de vraies harpies et vous déchireraient à crocs raccourcis si vous aviez la mauvaise idée de les croiser au coin d’un bois.
Bref, la démocratie se porte bien en France. En fait, c’est le music-hall qui se porte bien. Car ces émissions de débat ne participent pas de la vie politique, mais du spectacle. Ils sont montés comme de véritables shows, avec une distribution garantissant de divertissantes altercations et faisant craindre à intervalles réguliers des menaces de quitter le plateau ou d’en être exclu. Heureusement, cela n’arrive jamais. La dernière sortie de ce genre fut celle de Maurice Clavel le 13 décembre 1971, agrémentée de la célèbre formule « Messieurs les censeurs, bonsoir ! ».
Nous venons de vivre en France un long épisode de manifestations à propos de la réforme des retraites. On aurait aussi bien pu en inverser l’intitulé en adoptant celui de la retraite des réformes. Puisqu’il est acquis que sous le règne de Macron plus aucune réforme sérieuse ne pourra avoir lieu en raison du rejet du président et de son absence de majorité au parlement. Mais la cause principale de cette paralysie est l’impossibilité d’ouvrir un vrai débat en France. L’opinion ne peut donc pas se former et la confusion des idées finit par provoquer une fuite dans la violence.
Prenons l’exemple des retraites. Il est impossible de poser dans un débat médiatique la seule question qui vaille : le régime français est-il viable ? Toute question à ce sujet est impitoyablement chassée des plateaux où l’on n’a le droit de dire que ce que l’on vous a demandé de dire. En cas de refus de votre part, vous n’êtes plus invité, et condamné à aller ruminer vos arguments tout seul dans votre coin. Le spectacle public n’est pas écrit pour de mauvais acteurs comme vous, qui ne songez qu’à gâcher la représentation.
« Et ainsi de suite », aimait à dire Anton Tchékhov, parfait illustrateur de l’âme russe perdue dans l’immuabilité des temps. Et ainsi de suite, peut gémir le citoyen français d’aujourd’hui, qui ne voit jamais venir l’ombre d’une réforme, ni le chuchotement d’un espoir. Seule la morne plaine conduisant à l’abîme s’offre à son regard noyé dans le vide et prêt à se révulser. Le spectacle politique et médiatique ne vaut plus la peine d’être regardé, ni même qu’on s’en moque. L’ennui gagne peu à peu les esprits, en même temps que l’envie d’agir les quitte. Est-ce grave, docteur ?
Oui, c’est grave. Un certain général de Gaulle avait une formule pour qualifier cet état d’esprit. Il disait : « Le peuple s’abandonne. » C’était bien vu. Mais si De Gaulle était marqué par la défaite de 1940, les Français d’aujourd’hui le sont par une déroute qui n’a rien de militaire. Il s’agit de celle que subit la France jour après jour dans la compétition internationale. Et que les dirigeants successifs du pays s’efforcent de masquer sans y parvenir, car tous les canaux d’information sont ouverts, au contraire des débats. Il suffit de lire un journal occidental pour apprendre que l’avenir se fait sans nous. Dans tous les classements mondiaux, nous ne cessons de reculer. Il ne nous reste plus que le football et le rugby pour nous réjouir un peu. Mais le sélectionneur du foot, Didier Deschamps, se met à parler comme un premier ministre, et celui du rugby, Fabien Galthié, comme un philosophe à l’esprit embrumé. Bref, tout va mal, rien ne s’arrange, et ainsi de suite …
Pourtant il va se passer quelque chose qui est de l’ordre de l’imprévu. Un beau matin, nous tous, Français, attendant le grand soir du redressement national, allons nous réveiller dans la stupéfaction. Nous nous étions endormis dans l’attente du grand soir, et il avait eu lieu sans nous, pendant notre sommeil. Il va falloir que nous le découvrions, sous toutes ses facettes. Il y aura du bon, il y aura du mauvais, mais il y aura quelque chose. Enfin.
Dans une autre vie, le Français était courageux et entreprenant. Voilà que de lointains souvenirs, de lointains réflexes remontent en lui. Et cet air qu’il hume ? Mais oui, c’est l’air de la France. Quel bonheur de le respirer à nouveau !
Claude Reichman
Quel beau billet Claude…
Si drôle et si vrai.
Amicalement. H. Dumas