J’aime beaucoup René Girard. En même temps sa trouvaille du “désir mimétique” me fait largement sourire. J’ai tendance à l’apprécier comme une découverte purement sémantique. En ce qui me concerne je ne vois pas trop la différence entre le “désir mimétique” et la “jalousie, l’envie”.
Sur ce thème, le livre “L’envie : une histoire du mal” de Helmut SCHOECK, me parait beaucoup plus complet, plus franc, plus efficace, moins convenu, moins faux-cul.
Par contre, la théorie du bouc émissaire de René Girard me séduit totalement. Nous, les “redressés fiscaux”, sommes particulièrement bien placés pour comprendre les mécanismes de cette théorie, nous la vivons dans notre chair.
Dans ce cadre, je crois qu’effectivement le christianisme a été un apport déterminant. Il me parait probable que sa légende du sacrifié, qui est en fait Dieu s’étant projeté en homme pour subir le sacrifice en lieu et place des boucs émissaires habituels, est un vrai progrès, un progrès fondamental.
A partir de cette hypothèse, tout homme, tout bouc émissaire, étant une part de Dieu fait homme, devient objectivement intouchable. Là est le progrès.
Mais là est aussi la limite du système.
Revenons à la “jalousie” ou au “désir mimétique”, il s’agit d’un sentiment lié à l’animalité de l’homme qu’il faut accepter — sans elle l’homme n’est plus, il devient un objet –, qui est pour partie le moteur de l’humanité, mais aussi son démon mortifère.
Au départ, l’envie de posséder autant que celui qui possède plus est un moteur sain d’émulation, de progrès. En fait, c’est même la base de l’évolution de l’humanité, du moins dans ce que cette évolution a de conscient, de volontaire.
Mais il se trouve que passé un certain cap d’intensité, ce moteur devient terriblement négatif, il se transforme en un frein redoutable.
Car, de moteur l’envie se change soudain en arme de destruction massive. Il n’est plus question de posséder – matériellement, affectivement, intellectuellement… — autant que celui qui a plus, mais tout simplement de l’empêcher d’avoir plus, de lui interdire de posséder ce que l’on ne peut pas posséder, voire de le lui voler, de l’en déposséder.
Sans exutoire physique, puisque la destruction aveugle du bouc émissaire n’est plus possible, la société judéo-chrétienne découvre “l’égalité” qui va lui permettre de sacrifier ses boucs émissaires.
Cette “égalité-sacrifice” se résume, in fine, à obtenir la destruction du bouc émissaire par la simple dépossession légale de ses biens, donc de lui-même puisque l’homme n’existe que par ses possessions. C’est la différence existant entre “l’homme-libre” qui possède et “l’esclave-objet” qui n’a pas le droit de posséder.
René Girard n’a pas perçu, ou du moins je ne l’ai pas analysé ainsi, que le rejet de sa disparition physique par sacrifice mortel n’a pas fait disparaître la fonction du bouc émissaire. Que la barbarie générée par les dérives de la jalousie ou du “désir mimétique” ne s’est pas éteinte avec l’astucieux avènement du sacrifice divin, mais s’est transformée en une forme de sacrifice du bouc émissaire plus sophistiquée, moins visible, mais tout aussi redoutable : l’égalité, qui permet la destruction des biens du jalousé, ou du bouc émissaire, en lieu et place de sa vie.
Quel rapport me direz-vous avec le terrorisme ?
Mais tout, tout. Ce n’est qu’un problème d’échelle. Le monde occidental est plus riche que le reste de la planète. Est-ce mérité ou usurpé ? Je ne saurais le dire, mais le fait est là.
A ce titre, il éveille la jalousie ou le désir mimétique de peuples moins bien lotis. Il se trouve que ces derniers, n’étant pas passés par la case judéo-chrétienne, ont encore une idée du bouc émissaire classique, physique.
Pour des raisons vraies ou fausses mais existantes, notamment parce qu’ils ont eu l’impression que payer leur pétrole à une poignée de nomades en laissant le reste des populations dans la misère était une faute qu’il y avait lieu de nous imputer, nous sommes devenus leurs boucs émissaires.
Notre sacrifice est leur salut. Ils n’ont pas découverts la notion d’égalité comme régulateur de leur désir mimétique. Ils tuent, tout bêtement, comme le veut leur tradition, leur religion. Leur Dieu ne s’est pas sacrifié en devenant homme.
Nous avons beaucoup de mal à concevoir leur vision, peuvent-ils en changer ?
Rien n’est moins sûr.
Il nous a fallu presque deux mille ans après la légende de Jésus-Christ pour qu’un homme, René Girard, échafaude la théorie du bouc émissaire, sans même percevoir que ce dernier n’est pas éradiqué mais simplement transféré hors la vue du sang.
Il est peu probable que ceux que nous nommons terroristes puissent comprendre qu’ils ne sont que les victimes d’un dérapage de leur “envie collective”.
Dans le même temps, notre incompréhension nous fait imaginer que la discussion serait possible alors qu’elle ne l’est pas, et nous fait largement sous-estimer le problème, nous envoyant même vers des solutions utopiques.
L’avenir est le plus sombre possible, d’autant que l’ont peut imaginer une alliance des deux types de sacrifices : violence et égalité, au détriment des boucs émissaires, dont la vie sera alors impossible. Qui seront-ils ces boucs émissaires ? La question reste posée.
Bien cordialement. H. Dumas