Comme il marche bien, notre nouveau Président ! Dans la France d’Emmanuel Macron, les grands événements se succèdent, tous plus magnifiques les uns que les autres. Le Président parcourt les esplanades, les avenues et les allées du pouvoir avec une solennité merveilleuse qui captive les objectifs des photographes et le cœur des Français en manque de pourpre. La Garde républicaine élégamment chamarrée n’est jamais loin, qui l’accompagne et le met en valeur alors qu’il marche, marche et marche encore sur un éternel tapis rouge qui n’en finit pas de se dérouler.
• Soirée d’élection (7 mai), investiture (14 mai), rencontres internationales (Otan et G7 fin mai), discours devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles (3 juillet), autant d’occasions de se mettre en scène dans les attributs visibles du pouvoir, comme si la légitimité conférée par l’élection présidentielle et renouvelée aux législatives ne suffisait pas, comme s’il fallait la renforcer de tous les artifices du protocole républicain pour bien établir aux yeux de « toutes et tous » : « Je suis le Président. »
Et comme il aime parler ! A Versailles lundi dernier, dans un (trop) long discours d’une heure et demi où les considérations de haute philosophie le disputaient au lyrisme historique et à la poésie des terroirs de France au point d’en être parfois sévèrement ennuyeux, Emmanuel Macron s’est prévalu de l’article 18 de notre Constitution qui lui permet depuis 2008 de s’exprimer devant les parlementaires. Selon lui,
« il est des heures qui de cette possibilité font une nécessité, les heures que nous vivons sont de celles-là. »
De quelle « nécessité » parle-t-il ? Quelles « heures » particulières sommes-nous en train de vivre ? Il ne le précise pas directement, mais il semblerait que son accession au pouvoir soit ce grand événement qui motive la tenue du Congrès.
Non pas que je veuille minimiser de telles circonstances, mais disons qu’elles résultent des échéances électorales normales de notre vie politique, alors que ses deux prédécesseurs avaient usé de cette possibilité dans des occasions beaucoup plus exceptionnelles, voire dramatiques : les attentats de Paris pour Hollande en décembre 2015 et les conséquences de la crise de 2008 pour Sarkozy en juillet 2009.
Prenant la parole à la veille du traditionnel discours de politique générale de son Premier ministre (hier, 4 juillet 2017), il nous donne la forte impression qu’il ne se résout pas à s’effacer devant les prérogatives du chef du gouvernement. Il se comporte comme s’il souhaitait exister en tant que Président, se placer définitivement en surplomb de tout et montrer combien toute action entreprise ne sera jamais que l’expression de sa volonté et la conséquence du cap que lui, le Président, ambitionne de donner à la France.
Il lui suffit donc de constater que les Français viennent de lui confier un mandat clair et qu’ils ont confié un mandat également clair aux députés et sénateurs. Dès lors, pour l’exécutif comme pour le législatif, il en résulte une obligation impérieuse :
« Celle d’une transformation résolue, et profonde, tranchant avec les années immobiles ou avec les années agitées, toutes aux résultats également décevants. »
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• J’ai assez expliqué dans ce blog combien les résultats étaient en effet décevants pour donner totalement raison à Emmanuel Macron sur ce point crucial. J’ai assez expliqué combien la France perdait du terrain par rapport à ses voisins comparables, empêtrée qu’elle est dans le triple carcan de l’Etat-providence, de l’Etat stratège et de l’Etat dirigiste. C’est bien une transformation résolue et profonde qu’il va falloir mener, c’est bien une « Révolution » qu’il nous faut, pour reprendre le titre de son livre-programme.
On réalise cependant combien il est facile aux hommes politiques et à Emmanuel Macron en l’occurrence, de vendre la peau de l’ours prématurément, de promettre de ne jamais boire l’eau de la proverbiale fontaine, de plastronner sans raison et se moquer de l’immobilisme des uns et l’agitation des autres, alors même que bon nombre des « changements profonds », largement promis et répétés pendant la campagne électorale et pompeusement mis en perspective philosophico-politique pas plus tard qu’avant-hier à Versailles, se sont trouvés retardés, évidés ou oubliés dès le lendemain, comme nous l’a annoncé le Premier ministre hier dans son discours de politique générale.
Si de bonnes réformes demeurent – sélection à l’entrée des universités, diminution d’un tiers du nombre de parlementaires, meilleure séparation de l’exécutif et du judiciaire dans la nomination des juges du parquet, construction de 15 000 places de prison, suppression de la Cour de justice de la République par exemple – les réformes fiscales, qui devaient provoquer une relance pour l’emploi, sont repoussées ou modifiées (ISF, transformation du CICE en baisse de charges, exonération de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages) et les dépenses ponctuelles en direction de telle ou telle catégorie sont à nouveau à l’ordre du jour (fonds pour l’innovation, fonds pour le Sahel, pass culture pour les jeunes…).
Dans ces conditions, l’ambition de faire diminuer les dépenses publiques de 3 points par rapport au PIB et de revenir à un déficit public inférieur à 3 % dès 2017 relève de la quadrature du cercle, dont on pressent que les impôts risquent d’être la variable d’ajustement.
Compte tenu de ce qu’on sait sur l’état dégradé et bidonné de nos comptes publics, situation qui n’a rien de bien nouveau pour quiconque suit un peu l’actualité française, mais qui plonge opportunément notre exécutif dans une stupeur comique, il semble clair que si le bulldozer fou des dépenses n’est pas pris par les cornes, on n’arrivera à rien d’ici 2022. On parviendra peut-être à maintenir la situation actuelle, surtout si un peu de croissance mondiale nous vient en aide, mais c’est bien le maximum qu’on puisse espérer.
Finalement, quand Edouard Philippe écrivait dans Libération, à l’époque où il était encore l’opposant de son patron actuel : « Macron (…) n’assume rien mais promet tout, avec la fougue d’un conquérant juvénile et le cynisme d’un vieux routier », il n’était peut-être pas si loin du compte, à ceci près qu’ils sont désormais embarqués sur le même radeau.
• Aussi, j’aimerais d’abord rappeler à M. Macron que s’il peut s’exprimer devant le Parlement comme il le souhaite et quand il le souhaite, même sans nécessité, même si les heures que nous vivons n’ont rien d’exceptionnel, c’est parce qu’un « agité », ou un « immobile », a cru bon dans les années antérieures de faire évoluer la Constitution de la Vème République (Sarkozy en 2008). Preuve s’il en est que l’Histoire de France n’est certainement pas en train de commencer avec Emmanuel Macron comme il se plaît à le croire.
J’aimerais lui dire ensuite que si les différences de point de vue sont parfois stériles parce qu’elles ne reflètent que des ambitions personnelles contrariées, elles ont aussi du sens dans la mesure où personne ne peut prétendre qu’en matière de « chose publique » il n’y aurait qu’une façon de procéder, la sienne, ou plus généralement celle de l’homme du moment. Ajouter comme il le fait que ces oppositions « garantissent de beaux succès de tribune (mais) n’apportent rien » est d’une part faux car un texte peut être utilement amendé par le croisement d’opinions variées et c’est d’autre part se moquer du monde quand on voit à quel point il monopolise lui même la tribune et les postures colorées, filmées et photographiées afférentes.
Plus profondément, j’aimerais lui dire enfin que la « Révolution » à laquelle il nous convie, celle qui consiste à regarder notre pays avec les yeux de la solidarité et « en même temps » avec les yeux du réel, celle qui consiste à réaliser la cohabitation harmonieuse de la liberté et de la protection, celle qui consiste à conjuguer les exigences de l’excellence et de l’esprit de justice – cette « Révolution », loin d’être inédite, est précisément celle qu’on poursuit dans notre pays depuis la fin de la guerre, à la notable exception du programme commun de la gauche entre 1981 et 1983.
En 1945, l’ambition s’appelait reconstruction sous l’égide de l’Etat stratège et la protection s’appelait Etat providence. Par la suite, il a toujours été question de retrouver la fougue de l’esprit de conquête sans renoncer pour autant ni à notre modèle social ni au primat des politiques publiques. Je pense notamment à Jacques Chaban-Delmas et à Michel Rocard, Premiers ministres qui furent justement cités* en exemple par Edouard Philippe au début de son discours de politique générale dans une continuité très révélatrice.
Déjà en 1969, Chaban faisait le constat d’une société bloquée :
« De cette société bloquée, je retiens trois éléments essentiels : la fragilité de notre économie, le fonctionnement souvent défectueux de l’Etat, enfin l’archaïsme et le conservatisme de nos structures sociales. » (1969)
Ceci l’amena à proposer un vaste programme de « Nouvelle société » plus autonome, mais toujours sous l’égide de l’Etat.
Quant à Rocard, lui aussi souhaitait « dépasser les clivages ». Il incarnait une « deuxième gauche » qui se voulait réaliste et pragmatique. Elle rejetait les nationalisations du Programme commun et plaidait pour plus de décentralisation. Il n’était plus exclu de reconnaître que la production et l’emploi était le fait des entreprises.
Ce sont précisément ces politiques, typiques de la social-démocratie bien encadrée qu’on ne connaît que trop en France, qui nous ont conduits aux « résultats décevants » où nous sommes aujourd’hui et qui nous laissent dans la situation finalement décrite par Emmanuel Macron, après une heure et demi d’envolées littéraires sur l’humain, la France et l’Histoire :
« Nos équilibres financiers sont dégradés, notre dette considérable. L’investissement productif encore faible et le chômage toujours insupportable. La dureté de la vie est là pour tant et tant de nos concitoyens. »
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A ce point de notre histoire, il ne peut plus être question de se dire une fois de plus, comme semblent hélas se le dire Emmanuel Macron et Edouard Philippe, deux rocardiens de coeur, que la « deuxième voie », celle qui réalise le mariage bancal de la protection et de la libéralisation, est la bonne. A la suivre, on ne pourra que retomber dans les même erreurs avec les mêmes résultats décevants dénoncés par le Président en début de discours.
C’est plus qu’une transformation profonde qui devient nécessaire, c’est un changement radical de paradigme. Et si l’idée qu’il faut libérer tout en protégeant était un contresens ? Et si la protection venait non pas de la conservation, même réformée, de notre modèle social, mais au contraire de sa totale remise en cause ? Et si c’étaient les emplois qui protégeaient, pas les indemnités chômage ou les privilèges de quelques syndicats ? Et si la protection venait de la libéralisation ?
Je souhaite, selon la formule désormais consacrée, « que Macron réussisse », mais j’espère avant cela qu’il va se poser les bonnes questions jusqu’au bout en dépassant les soins qu’il apporte à la forme du pouvoir pour entrer dans le vif des besoins urgents de notre pays.
Vidéo intégrale du discours d’Emmanuel Macron devant le Parlement le 3 juillet 2017 :
* Je signale, car ce n’est pas anodin, qu’Edouard Philippe a commencé son discours avec un hommage appuyé aux bienfaits des politiques publiques et que l’Assemblée nationale a chaleureusement applaudi le souvenir de Michel Rocard.