Fusion Renault/FCA : attention danger !

L’information n’a pas pu vous échapper, Fiat a proposé une fusion à Renault et, à en croire certains commentateurs, ce serait l’opération du siècle car elle permettrait à Renault de devenir le numéro I mondial et d’atteindre des volumes de production énormes permettant de réduire considérablement les coûts de fabrication ; dans le cadre de ce qu’on appelle les économies d’échelle.

Ca, évidemment, c’est la version officielle … car tout n’est pas si simple et il s’agit en fait d’une partie de billard à 5 bandes dans laquelle les intérêts ne sont pas forcément ceux que l’on croit ni concordants entre Fiat, Renault, l’Etat français, l’Etat italien et Nissan.

Et vous remarquerez que dans cette partie, l’intérêt du consommateur n’apparaît … nulle part !

Il s’agit évidemment d’une opération industrielle et capitalistique de très grande ampleur et cela pourrait donner lieu à des restructurations industrielles relativement importantes dans un secteur en pleine mutation !

Giovanni Agnelli, alors président de Fiat, avait déjà prophétisé, il y a plus de 30 ans, qu’il ne resterait que 4 ou 5 constructeurs sur la planète. ..Il semblerait bien qu’on s’oriente vers cette phase de concentration ; sauf que tout n’est pas si simple …

Ce qui parait tout à fait surprenant, quand vous lisez la presse, c’est que personne n’a compris qu’en fait il s’agit d’une tentative de sauvetage de Fiat au moyen du rachat de Renault ; et nous allons voir pourquoi !

En effet, comment appeler autrement une opération au terme de laquelle le capital serait principalement détenu par la famille Agnelli, actuel propriétaire de Fiat ?

On peut imaginer que les administrateurs de Renault ne seront pas aussi crédules que les « spécialistes » de la presse, vite emballés par une opération qui sent, à la réflexion, le coup fourré !

– l’intérêt de Fiat

Fiat a fusionné avec Jeep-Chrysler en 2014 après que le constructeur américain ait fait faillite en 2009 et avoir racheté progressivement son capital.

Une précédente opération de fusion avait déjà été tentée en 1998 entre Chrysler et Daimler Benz (Mercedes) mais ce dernier avait fini par jeter l’éponge en estimant que les cultures d’entreprises étaient trop différentes mais aussi et surtout que le redressement de Chrysler coûterait beaucoup trop cher !

Ces opérations entre constructeurs sont d’ailleurs souvent à haut risque et les échecs nombreux. PSA avec Simca devenue Talbot, BMW avec la BMC (Rover) abandonnée pour ne garder que Mini créée ex nihilo, Ford avec Jaguar-Land Rover, Ford avec Volvo, GM avec Saab, GM avec Fiat.

On ne peut comprendre la stratégie américaine de Fiat sans connaître l’histoire de Fiat.

Fiat a été pendant longtemps le premier groupe industriel privé italien, propriété de la famille Agnelli. Seulement, sa situation s’est lentement dégradée avec des volumes de ventes de plus en plus faibles alors qu’elle possède un catalogue de marques important après avoir racheté toutes les marques italiennes !

Alfa Roméo, Fiat, Lancia, Ferrari, Maserati … Que des noms qui font rêver les amateurs de belles voitures.

Or, si l’on s’intéresse de près à ce groupe on s’aperçoit qu’il va mal … et depuis longtemps !

Ferrari, seule véritable pépite technologique, a été extournée et ne fait plus partie du groupe Fiat. Maserati n’a qu’une diffusion confidentielle et Ferrari refuse désormais de leur livrer des moteurs ; Lancia est en état de mort cérébrale ; Fiat ne survit en Italie que grâce à ses petites voitures (Fiat 500 et Fiat Punto) dont les modèles n’ont pas été renouvelés. Alfa Roméo produit à nouveau de belles voitures mais sa diffusion est désormais confidentielle.

A cela s’ajoute des problèmes de fiabilité qui deviennent désormais inquiétants et qui tendent à détourner la clientèle de voitures, bon marché, mais coûteuses voire problématiques en entretien !

Pendant des années, Fiat a dû aussi composer avec le gouvernement italien qui a masqué les difficultés de l’industrie italienne en la subventionnant indirectement par l’intermédiaire de la cassa integrazione. Celle-ci permettait de masquer les difficultés de l’économie italienne en empêchant les licenciements de salariés qui se retrouvaient être payés …sans avoir aucune espèce d’activité pendant des années !

En fait, Fiat a racheté Chrysler quand cette dernière ne valait plus rien et a déplacé fort astucieusement son centre de gravité économique de l’Italie, qu’elle estimait sans avenir, vers les USA et ce calcul s’est avéré gagnant car Fiat, devenue FCA (Fiat Chrysler automobiles) génère l’essentiel de ses profits aux USA grâce essentiellement aux marques Jeep et RAM et ses gros 4×4 !

On aura donc compris que Fiat ne gagne pas d’argent en Europe, que ses voitures se vendent mal et ne sont pas fiables !

Alors, pourquoi Fiat a-t-il proposé cette opération à Renault ?

En fait, Fiat a approché plusieurs constructeurs, dont PSA (Peugeot) mais Carlos Tavares, son président, n’est pas quelqu’un de crédule ni de facile et il n’a probablement pas accepté le deal surtout que PSA vient déjà de racheter Opel-Vauxhall.

L’opération de rapprochement avec Renault est en fait « dans les tuyaux » depuis certainement un certain temps et les négociations étaient déjà bien avancées au moment de leur annonce. Fiat a probablement fait preuve de beaucoup d’opportunité en profitant d’une situation fragilisée au niveau de Renault en raison des déboires judiciaires de son ancien président (Carlos Ghosn).

Pourquoi cette démarche ?

Parce que FCA va mal et qu’en dehors des USA et de l’Amérique du sud, elle voit sa situation se dégrader dangereusement ; surtout que, depuis l’édiction des nouvelles normes anti pollution et d’émission de CO2, elle n’est absolument pas conforme. Elle s’est même vue contrainte de s’entendre avec Tesla, producteur de voitures exclusivement électriques qui ne demandait pas mieux eu égard à sa situation fragile, pour lui racheter des quotas de carbone et éviter des amendes colossales à partir de 2020 (se chiffrant en milliards €) !

Par ailleurs, Fiat n’a pas du tout investi dans le véhicule électrique et n’y a en fait aucune compétence alors qu’il s’agit, pour les constructeurs, de la meilleure opération de green washing du moment pour entrer dans les quotas d’émission de carbone ! Il n’est qu’à voir le développement de l’électrique chez VW et Daimler-Benz pourtant adeptes forcenés du diesel !

Fiat tente donc tout simplement de mettre la main sur un constructeur susceptible de lui apporter ces technologies et de la sortir du pétrin ; sans en payer le prix ce qui se voit clairement quand on sait qu’il valorise Renault au minimum de sa valeur boursière !

Vu sous cet angle, la mariée fait évidemment beaucoup moins envie …

– l’intérêt de Renault

La question de l’intérêt de l’opération pour Renault n’est pas claire !

Renault, avec son groupe comprenant Renault, Dacia, Avtovaz (Lada), Alpine, Samsung motors (en Corée), a constitué avec Nissan et Mitsubishi le premier groupe automobile mondial. Il est plutôt en phase ascendante et possède une bonne expérience en matière de production de voitures électriques via Nissan.

En fait, il n’a aucun besoin de Fiat qui n’a rien à lui apporter hormis un hypothétique accès au marché américain qui n’a jamais réussi à Renault et des possibles économies d’échelle en augmentant la production des plates formes et des moteurs !

Par ailleurs, il semblerait qu’il soit dans les intentions de la famille Agnelli de prendre le pouvoir au sein du nouveau groupe et là on peut se demander ce que peuvent bien rechercher les dirigeants de Renault dans une opération de ce type en apportant savoir faire et technologie tout en perdant le leadership ?

– l’intérêt de l’Etat italien,

Il voit depuis déjà plusieurs années le groupe Fiat prendre le large et craint évidemment que ce dernier ne lâche prise tout à fait et abandonne ses usines européennes et principalement italiennes qui sont peu rentables (salariés trop chers et peu productifs). Il a déjà vendu sa prestigieuse filiale Magnetti-Marelli au printemps 2019.

A la clé, cela aurait pour effet de provoquer une augmentation du chômage dans une Italie déjà en pleine crise et qui, alors que sa situation est franchement mauvaise et en récession, n’a pas besoin de ça d’un point de vue politique !

Il n’est donc pas sur que l’Etat italien voit cette opération d’un bon œil … et il pourrait bien mettre quelques bâtons dans les roues !

 – l’intérêt de l’Etat français,

Le problème pour l’Etat français est la dilution du capital qui résulterait de la fusion ; puisque premier actionnaire de Renault, il verrait sa part dans le capital passer de 15 à 7.50% alors qu’il a beaucoup intrigué en 2015 pour obtenir la majorité de blocage avec des droits de vote double malgré l’opposition de carlos Ghosn !

De plus, l’Etat français a toujours aimé mélanger les genres dans le cadre de ce qu’on appelle, de manière pompeuse et tout à fait usurpée, « l’Etat stratège » surtout que Renault est un fleuron du capitalisme public français ; en oubliant au passage que l’entreprise était au bord de la faillite dans les années 1980, avant sa privatisation en 1990, du fait des influences syndicales et politiques. Renault était la « vitrine sociale » de la France quitte à perdre des milliards de francs !

Il est évident que les dirigeants politiques français regardent cette opération avec un oeil critique, sans pour autant le déclarer clairement, car la fusion lui ferait perdre sa place de premier actionnaire au profit de la famille Agnelli ; sans aucun bénéfice politique visible !

On n’a probablement pas fini d’en discuter dans les ministères (Bercy en particulier) qui ne vont pas manquer de convoquer les dirigeants de Renault ; car en France les entreprises privées doivent rendre des comptes au gouvernement et à l’administration avant d’en rendre à leurs actionnaires …

– l’intérêt de Nissan

Nissan joue ici une carte tout à fait personnelle car le but de ses dirigeants est en fait de faire un Nissanexit c’est à dire se retirer de l’organisation que l’on présente comme l’alliance entre Renault et Nissan !

Il est vrai que Nissan a des raisons pour cela : il est deux fois plus gros que Renault et occupe particulièrement les marchés asiatiques (japonais, chinois) mais aussi américain puisqu’il produit aux USA alors que Renault n’y produit ni n’y vend rien !

C’est aussi celui qui réalisait les bénéfices du groupe ; quoique cela se soit un peu amoindri ces derniers temps !

Seulement, il faut aussi connaître la culture japonaise qui est faite d’un mépris absolu pour tout ce qui n’est pas nippon et principalement pour les européens considérés comme des gens primaires, vulgaires et mal élevés !

Il faut aussi se souvenir que les dirigeants de Nissan n’ont accepté l’entrée de Renault dans le capital en 1999 que parce qu’ils n’avaient pas le choix ! C’était ça ou la faillite ; c’est à dire la honte absolue !

Alors, maintenant on nous parle aujourd’hui d’alliance et des états d’âme (bien réels au demeurant) des dirigeants de Nissan … qui n’ont en fait jamais admis l’irruption de Renault et l’ont pris pour une humiliation !

Ils ont subi la domination impérieuse de Carlos Ghosn mais les évènements récents ont prouvé qu’ils cherchaient les moyens de s’en débarrasser ; prélude sans aucun doute au Nissanexit !

En plus, il se trouve que les japonais n’aiment pas le mélange des genres et se posent beaucoup de questions à propos de l’irruption de l’Etat français dans le capital de Renault ; alors que l’on sait qu’un Etat obéit d’abord à des considérations politiques qui peuvent nuire au bon fonctionnement d’une entreprise !

Néanmoins, il faut quand même rappeler la réalité capitalistique : Nissan est la filiale de Renault à hauteur de 45% de son capital et si elle détient, dans le cadre d’une participation croisée, 15% du capital de Renault, ces 15% ne sont assortis d’aucun droit de vote ; c’est à dire qu’ils ne confèrent aucune espèce de pouvoir au sein du groupe et c’est ça qui dérange les japonais !

Cela veut dire que pour l’instant Renault essaie de ménager la susceptibilité des japonais mais, qu’à la fin, les dirigeants de Nissan devront se soumettre, que cela leur plaise ou non car le propriétaire est Renault !

Conclusion :

Tout bien considéré, Renault n’a absolument aucun intérêt à procéder à cette fusion qui a été présentée dans des termes qui seraient, selon la famille Agnelli, non négociables !?!

Renault n’aurait-il donc pas d’autre choix que de se soumettre !?!

Par ailleurs, la course au gigantisme n’est par forcément rentable et Toyota (3ème mondial) a refusé clairement de se lancer dans cette voie !

L’histoire est d’ailleurs pleine de ces groupes industriels qui se sont démesurément agrandis à force d’acquisitions avant de … s’écrouler ; le dernier en date étant le conglomérat américain General Electric !

En outre, la taille rend la gestion plus complexe et il ne faudrait pas que le résultat soit une sorte de Titanic industriel ; compte non tenu des inévitables restructurations qui seront nécessaires pour rationaliser la production du groupe. On peut imaginer l’opposition évidente des syndicats et des politiciens, alors que le secteur automobile est actuellement en phase de déclin et doit anticiper des difficultés considérables du fait de l’édiction de normes environnementales pour l’instant absolument impossibles à respecter !

En fait, plusieurs constructeurs sont intéressés par les marques du groupe Fiat mais pas du tout dans les termes proposés par ses dirigeants !

Ils attendent en embuscade que Fiat s’effondre pour mettre la main sur ses pépites industrielles au demeurant peu nombreuses : Jeep, RAM et Alfa Roméo ; le reste ne vaut rien !

On a donc compris que, pour la famille Agnelli, il s’agit essentiellement d’une opération de sauvetage de la dernière chance avant l’écroulement final car les investissements pour rattraper le retard accumulé se chiffrent en dizaines de milliards € et il n’est pas sûr qu’ils en aient les moyens !

Espérons que les dirigeants de Renault sauront échapper à la tentation du gigantisme improductif et ne pas tomber dans ce qui ressemble bien à un piège !

Bien cordialement à tous !

Απο την Ελλαδα ! (De la Grèce)

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A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

5 réflexions sur « Fusion Renault/FCA : attention danger ! »

  1. Et renault, dans les année 80, n’avait il pas racheté CHRISLER, « déjà »; et avait couté une petite fortune aux contribuables français, sans que renault ai pu s’implanter au EU?

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