Et si on parlait héritage ?

L’héritage est un mode relativement important de transmission et de constitution des patrimoines au fil des générations.

Et pourtant, nous répugnions bien souvent à évoquer cette question ; notamment parce qu’elle tourne autour de la mort et que celle-ci est plus ou moins consciemment évincée de nos sociétés.

Or, il faut savoir que c’est une matière technique et complexe, essentiellement dominée par les notaires ; même si bien souvent l’intervention du notaire n’est pas obligatoire (notamment lorsqu’il n’y a pas d’immeuble dans le patrimoine du décédé).

Mais savez-vous que les règles sont très différentes d’un pays européen à l’autre ?

Une petite comparaison entre deux systèmes, l’un sévèrement encadré (système français) et l’autre beaucoup plus libéral (système anglais), va vous permettre d’apprécier la situation des héritiers en fonction du système selon lequel on se situe.

EN FRANCE

Les règles sont issues de la révolution française et sont basées essentiellement sur la réserve héréditaire.

Avant 1789, primait le droit d’ainesse ; c’est à dire que le premier né des enfants males héritait de tout le patrimoine du De Cujus (décédé) ; cette rège ayant été adoptée de manière pragmatique au cours du moyen âge pour éviter le morcellement des propriétés foncières. En effet, jusqu’à la révolution industrielle, l’essentiel des revenus étaient de nature foncière et était basé sur l’exploitation agricole par le biais de serfs puis de métayers. L’application du droit d’ainesse empêchait donc une division ou un démembrement des propriétés foncières qui aurait entrainé la chute de la rente foncière et la disparition des domaines seigneuriaux.

Par réaction, les révolutionnaires ont institué un système très égalitaire, mais aussi très contraignant et dirigiste, qui obéit à un ordre successoral prédéfini et non modifiable :

1º les enfants et leurs descendants ;

2º les père et mère ; les frères et sœurs et leurs descendants ;

3º les ascendants autres que les père et mère;

4º les collatéraux autres que les frères et sœurs et leurs descendants.

Il faut néanmoins distinguer selon que le « De Cujus » est mort « ab intestat » (c’est à dire sans avoir fait de testament) ou non.

I-La dévolution légale – en l’absence de testament (ab intestat)

En l’absence de conjoint :

  1. Les enfants succèdent par parts égales.
  2. Les père et mère reçoivent un quart chacun (le prédécès de l’un n’accroît pas la part de l’autre), le reliquat se répartit par parts égales entre les frères et sœurs. S’il ne reste que des frères et sœurs, ceux-ci succèdent par parts égales. S’il ne reste que les parents, ceux-ci reçoivent chacun la moitié de la succession.
  3. Les ascendants autres que père et mère succèdent par parts égales.
  4. Les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers succèdent par parts égales.

Lorsque la succession est vacante ou en déshérence, elle est transmise à l’État (Trésor Public).

La règle de la représentation s’applique c’est à dire que les enfants d’un enfant prédécédé viennent à la succession de leurs grands-parents dans les mêmes droits que si leur père ou mère était encore en vie.

En présence d’un conjoint survivant

En concours avec les enfants :

Si les enfants sont communs avec le défunt, le conjoint survivant dispose d’une option :

– soit un quart en pleine propriété,

– soit l’usufruit universel

Si les enfants ne sont pas communs, le conjoint est dépourvu d’option : il a droit

à un quart en pleine propriété. Le reliquat revient aux enfants par parts égales.

En concours avec les parents :

Les parents ont droit chacun à un quart en pleine propriété. Le prédécès de l’un n’accroît pas la part de l’autre. Le reliquat revient au conjoint survivant.

Dans les autres cas :

En l’absence d’enfants et de parents, le conjoint survivant recueille la totalité de la succession.

Le constat :

Finalement, on s’aperçoit que, et cette règle semble être grandement ignorée (alors qu’on est toujours à un moment ou à un autre intéressé par cette question), dans la plupart des cas, l’époux (se) du conjoint décédé, sauf cas rarissime d’absence d’enfants et de parents, n’hérite pas de son conjoint prédécédé.

Dans la plupart des cas, dans le cadre d’un mariage opéré sans contrat, c’est à dire sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts (réduite aux acquisitions faites pendant le mariage), le conjoint survivant récupère la moitié du patrimoine commun (qui est à lui) et seulement une part en usufruit sur la part de son conjoint.

La seule possibilité, pour corriger plus ou moins ces règles rigides, est d’agir, en amont, par le biais du régime matrimonial qui, il faut le savoir, permet une grande liberté d’action des futurs époux. Ainsi la communauté universelle permet ainsi d’avantager l’époux survivant sans formalité ni frais et de le protéger des revendications des enfants ; notamment d’une demande de partage.

La conséquence évidente de ces situations est, qu’en présence de droits réduits du conjoint et de la nécessité de respecter les droits égaux des enfants, on se trouve souvent en présence d’une indivision (les enfants ont la nue-propriété tandis que le conjoint survivant a l’usufruit) avec à la clé des conflits potentiels qui trouvent souvent leur solution dans le cadre d’une action judiciaire (le plus souvent à la requête des enfants qui « veulent leur part ») visant à en provoquer la dissolution sur la base des articles 815 et s du Code Civil selon lesquels « nul n’est tenu de rester dans l’indivision ».

On pourrait penser que la rédaction d’un testament permettrait de corriger ces dispositions strictes. Ce n’est malheureusement pas le cas.

II-La dévolution testamentaire :

Elle est basée sur deux notions de base et incontournables :

La quotité disponible est la part du patrimoine dont il est possible de disposer librement par libéralité à cause de mort.

La réserve héréditaire est la part du patrimoine que le défunt réservée à certains héritiers à condition qu’ils acceptent la succession.

La règle de base est donc que vous ne pouvez pas disposer librement de votre patrimoine au moment (ou après) de votre décès car vous ne pouvez pas choisir librement les personnes que vous voulez avantager et surtout que vous ne pouvez pas déshériter vos enfants. En effet, en cas de non-respect de la réserve héréditaire, la règle incontournable est que les libéralités (dons et legs) excessives sont réduites, en commençant par les legs, puis les donations, de la plus récente à la plus ancienne.

Le legs est une libéralité faite entre un mort et une personne vivante.

Une donation est une libéralité faite entre deux personnes vivantes.

En outre, la réserve héréditaire varie en fonction du nombre d’enfants.

En présence d’un seul enfant

– La réserve de l’enfant est de la moitié de la succession.

– Le reliquat constitue la quotité disponible, et représente la moitié de la succession.

En présence de deux enfants

– La réserve est des deux tiers de la succession c’est à dire que la réserve individuelle de chaque enfant est d’un tiers de la succession.

– La quotité disponible est d’un tiers de la succession.

 En présence de trois enfants ou plus

– La réserve est des trois quarts de la succession.

– La quotité disponible se réduit à un quart de la succession.

La situation du conjoint survivant :

Le conjoint successible est exclusivement le conjoint non divorcé. C’est à dire que si le décès a lieu pendant une action en divorce, le divorce ne doit pas être devenu définitif ; ce qui est le cas notamment si le conjoint décède pendant la procédure d’appel (avant l’arrêt de la cour d’appel).

En l’absence d’enfants, le conjoint survivant est réservataire d’un quart de la succession. Le reliquat, soit les trois quarts de la succession, constitue la quotité disponible libre d’usage par le testateur.

Au niveau fiscal, les successions sont exonérées à hauteur de 100.000 € par part en ligne directe mais il faut savoir que l’imposition des successions est l’une des plus lourdes d’Europe. En outre, les droits sont progressifs et augmentent non seulement avec la valeur du patrimoine du De Cujus mais aussi lorsque la succession s’éloigne de la ligne directe (parents à enfants). Dans le cas d’une succession par voie collatérale (de frère à sœur ou oncle à nièce), les droits fiscaux représentent 60% du montant de la succession.

Autant dire que, dans le cadre d’une ligne collatérale, le premier héritier de la succession est l’Etat ou plus exactement le fisc !

EN ANGLETERRE

Attention les règles exposées sont celles en vigueur en Angleterre. Elles peuvent être différentes dans les autres pays membres du Royaume Uni (Pays de Galles, Ecosse, Irlande du nord).

I-La dévolution légale (en l’absence de testament).

Pour hériter, il faut être majeur ou marié. Les héritiers mineurs n’ont que des droits conditionnels appelés à se consolider.

L’ordre successoral est le suivant :

En l’absence de conjoint survivant :

1º les descendants sans distinction des modes de filiation;

2º les père et mère;

3º les frères et sœurs germains et leurs descendants ;

4º les frères et sœurs consanguins ou utérins et leurs descendants ;

5º les grands-parents ;

6º les oncles et tantes germains et leurs descendants ;

7º les oncles et tantes consanguins ou utérins et leurs descendants.

Quand la succession est vacante ou en déshérence, elle est remise à l’État.

Comme en France, chacune de ces catégories constitue un ordre d’héritiers qui exclut les suivants. Au sein d’un même ordre, la répartition se fait systématiquement par égale portion et par tête.

Néanmoins, au sein du 5e ordre (grands-parents), la répartition se divise par branche lorsqu’il existe au moins un représentant de chaque branche.

– La branche paternelle et la branche maternelle recueillent chacune une moitié de la succession.

– Si les deux représentants de l’une des branches sont prédécédés, l’intégralité de la succession est dévolue à l’autre branche.

En présence d’un conjoint survivant :

Le Civil Partner, équivalent du partenaire pacsé, a la qualité d’héritier au même titre que le conjoint survivant.

Le conjoint ou partenaire survivant est le premier héritier, même en présence d’enfants ou de descendants. Il entre en concurrence avec les héritiers jusqu’au 3e ordre.

Au-delà, il récupère la totalité de la succession. Les biens communs des époux sont hors succession et reviennent intégralement au survivant.

Droits du conjoint ou du partenaire survivant en concours avec des descendants :

– biens meubles et objets personnels du défunt, à l’exclusion des biens professionnels, des liquidités et des valeurs boursières ;

– les premières 125.000 £ de la succession, auxquelles s’ajoutent des intérêts produits entre la date du décès et celle du versement ;

– usufruit de la moitié restante de la succession.

Droits des descendants

Partage à part égale du patrimoine restant.

Droits du conjoint ou du partenaire survivant en concours avec des frères et sœurs :

– biens meubles et objets personnels du défunt, à l’exclusion des biens professionnels, des liquidités et des valeurs boursières ;

– les premières 200.000 £ de la succession, auxquelles s’ajoutent des intérêts produits entre la date du décès et celle du versement ;

– pleine propriété de la moitié restante de la succession.

 Droits des frères et sœurs

Partage à part égale du patrimoine restant.

Dans les autres cas :

Au-delà du 3e ordre, le conjoint survivant recueille la totalité de la succession.

Si le logement était la propriété du défunt, le conjoint survivant peut le racheter dans un délai de 12 mois. Son prix s’impute alors sur les 125.000 £ (+ 75.000 £, selon les cas) du conjoint survivant et, le cas échéant, sur l’usufruit complémentaire qui peut être converti en capital à cette fin.

Le constat :

On s’aperçoit donc, qu’à la grande différence du droit français, les droits du conjoint survivant priment tous les autres héritiers ou successibles.

II-La dévolution testamentaire (en présence d’un testament) :

Il n’existe aucune réserve héréditaire et c’est le principe de la volonté individuelle qui prévaut. Le testateur peut avantager qui il veut, dans les proportions qu’il souhaite.

Seule demeure une action ouverte à certains proches en état de dépendance financière qui peuvent demander au tribunal une part de la succession correspondant à une provision financière nécessaire au maintien de leur train de vie.

 On voit donc qu’ici, la règle est la liberté. Le testateur a le droit de rédiger son testament et de favoriser qui bon lui semble dans les proportions qu’il souhaite, sans aucune limitation.

Il n’y a pas de réserve héréditaire, il peut transmettre son patrimoine à une fondation, un trust, son époux (se), un tiers (ami, maitresse, parent éloigné) !

En conclusion :

Nous voyons que nous sommes en présence de deux conceptions totalement opposées en matière de transmission du patrimoine pour cause de mort.

L’une continentale, et plus spécifiquement française, qui contraint le testateur à respecter des règles auxquelles il ne peut pratiquement pas déroger dans le but essentiel de protéger les intérêts des enfants et l’autre, anglo-saxonne, selon laquelle le testateur est libre de transmettre son patrimoine à qui il veut et qui, en outre, permet une plus grande protection des droits du conjoint survivant.

La France justifie donc pleinement, conformément à une habitude ancienne et désormais bien ancrée, son côté dirigiste.

Peut-on néanmoins affirmer que l’une des deux solutions est meilleure que l’autre ?

Non évidemment, et chaque solution aura ses partisans.

Les uns affirmeront que la protection des intérêts de la famille et des enfants (droit français) doit passer par la loi pour éviter que ces derniers ne soient spoliés comme cela peut être le cas en Angleterre par une jeune épouse d’un second mariage tandis que les autres affirmeront qu’il s’agit d’une atteinte intolérable à la liberté de disposer de ses biens personnels … même si c’est à cause de mort !

Mais, rassurez-vous, nous n’avons pas le monopole de la complexité et du dirigisme car des règles complexes existent aussi en Espagne et en Allemagne.

Je n’ai pas évoqué l’assurance-vie dont le statut, typiquement français, est spécifique et se trouve hors succession.

Bien cordialement à tous !

Απο την Ελλαδα ! (De la Grèce) – Patmos

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A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

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