Etre debout est le souci de l’homme. Tout commence par un coup de pied au cul pour le plus grand nombre, qui se présente tête première, les autres écopent d’une magistrale gifle. Propulsé en force sur la terre par une dernière contraction de sa mère, le petit homme est écrasé par la pesanteur. Il va rester couché pendant plusieurs mois.
A force de volonté, le voilà qui s’assoit. Longtemps il ne dépassera pas cette position.
Puis, astucieusement, il va glisser une jambe sous son corps, se laisser tomber en avant et découvrir les plaisirs de la circulation à quatre pattes.
Enfin, il se redresse. Sa joie est alors intense, largement supérieure aux résultats, car la moindre perte de concentration va le ramener assis sur ses fesses.
Au final, au prix d’une énergie farouche, le voilà qui franchit son premier pas. A cette occasion, la souffrance d’abord, la délivrance ensuite, se lisent directement sur son visage, il exulte. Il reste cependant lié à son équilibre, ses pas ne le dirigent que vers son inclinaison, dans le seul but de lui éviter de retomber.
Plusieurs années de bosses et de petites plaies lui seront nécessaires pour maîtriser, dans le même temps, son élévation et son déplacement.
Disons que, vers quinze ans, il sera un homme debout, capable de marcher et de courir librement.
Ici commence la deuxième conquête de l’élévation.
Il va falloir qu’il se dresse intellectuellement, qu’il mette son esprit debout.
Ce n’est pas une mince affaire, c’est « son affaire », l’unique objectif qui vaille la peine pendant les soixante dix ans qui l’attendent.
Il aura trois adversaires : lui, les autres et le temps.
Lui
Si souvent, sa conscience lui conseillera de ne pas se battre pour si peu. En quoi serait-il mieux debout que couché ? C’est ce qu’elle lui susurrera dans le creux de l’oreille.
Voit-il une différence entre la facilité de rester couché et l’immense difficulté d’être debout ? Non, pas vraiment.
Et puis, comment sait-on que son esprit est couché ou debout ? N’est ce pas de l’orgueil cette idée de verticalité de l’esprit ?
Ce sentiment d’élévation est si fugace, si fragile, qu’il n’est même pas certain de pouvoir en prendre conscience. D’autant plus qu’en cette matière il y a un grand danger de se mentir, de prendre pour une élévation de l’esprit une simple bouffée de prétention.
Chutes et rechutes seront nombreuses, pour aboutir, peut-être, à l’indifférence apaisée qui règne dans les hauteurs de l’esprit en compagnie de la curiosité.
Saura-t-il reconnaître cet espace ou se racontera-t-il des histoires ? Il n’aura jamais la réponse, il doit savoir cela avant même de commencer à tenter d’élever son esprit, à tenter de le mettre debout : pas de preuve possible du résultat, la quête sera perpétuelle.
Les autres
Qu’il n’aille pas croire que les autres pourront lui être d’une aide quelconque. Tous tendront à le convaincre de rester couché avec eux. Car, la plus grande partie des autres restera couchée pour toujours.
Epuisés ou au contraire ravis d’être simplement debout physiquement, ils n’imaginent pas accomplir les mêmes efforts pour élever leur esprit.
Par contre, ils sont très nombreux à croire y être arrivé et à penser pouvoir contraindre ceux qui restent naïvement couchés, en imaginant la facilité de les exploiter. Ceux-là, non seulement se trompent, mais ils s’enfoncent au lieu de s’élever.
Donc, autour du petit homme, les esprits sont soit définitivement couchés, soit convaincus de s’élever en profitant de lui. Deux gouffres qu’il devra éviter.
En fait, très vite, il comprendra que pareillement à l’effort qu’il a fait pour marcher, c’est seul qu’il devra mettre son esprit debout.
Les plaies et les bosses qu’il se fera seront comparables à celles qu’il a connues en se mettant debout, mais plus violentes, plus profondes et incessantes. Evidemment, au bout, la joie sera immense, l’apaisement sera « divin », probablement….
Le temps
Rien ne sert de lutter avec lui, il s’impose. Il est inconcevable de marcher à deux mois, pareillement il est inconcevable d’élever son esprit en moins d’une vie.
Tout le problème est là, il faut une vie pour mettre son esprit debout, quelque soit la durée de cette vie inutile d’imaginer y arriver avant son terme.
C’est là tout le mystère de l’élévation de l’esprit, sa noblesse, son inaccessibilité, un graal incomparable qui se mérite….
Trois adversaires, un objectif uniquement final, si final qu’il n’est atteint qu’à l’ultime minute, quel pied. Allons-y…debout.
Bien cordialement. H. Dumas