Henri DUMAS vérifié par…Alfred NEYMARCK ou « Au Capitaliste Inconnu » (encore un dépôt de gerbe !)

Henri DUMAS vérifié
par…Alfred NEYMARCK
ou
« Au Capitaliste Inconnu »
(encore un dépôt de gerbe !)
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TRIPLE QUESTION : Unique objet en France de tous les ressentiments, le capitaliste, que personne ne plaint ni ne célèbre, doit-il être considéré :
1-comme le défenseur d’une théorie bien précise (à savoir, celle du capitalisme) ?
2-comme celui qui revendique la suprématie de la chose économique sur toute autre considération philosophique ?
3-ou encore, comme celui qui applique et fait sienne, dans le domaine très circonscrit de l’économie, la notion universellement admise, car indispensable à la vie, de : « capital » ?
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AFFIRMATION :
Henri DUMAS. Affaire Dumas c/Fournel : Conclusions (Tribunal Judiciaire d’Arras, Chambre correctionnelle, audience du 27 juin 2023).
PAGES 18 et 19 : « Il reste à démontrer, au-delà du choc moral destructeur de cette violence fiscale sa stupidité économique. Elle doit pour s’épanouir et obtenir l’adhésion de la population, dévaloriser ceux sur qui elle va s’exercer.
Pour cela, elle va jouer sur la jalousie et dénoncer le capital, et ceux qui seraient réputés le posséder, le dissimuler ; ce qui donc, en réalité, représente toute personne qu’il suffit de montrer du doigt.
Mais cette haine du capital est sociologiquement mortelle.
La capitalisation est le moteur de tout progrès, puisqu’il s’agit d’accumuler et de transmettre. C’est ainsi que fonctionne la science, la technique, la philosophie ; en réalité, toutes les activités humaines donc, y compris l’économie.
Chacune de ces activités privée de son capital dépérit. C’est le résultat prometteur de la violence fiscale qui détruit non seulement la vie des hommes, mais aussi leur capital économique, donc : la société dans laquelle elle s’exerce. »
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ILLUSTRATION :
Alfred NEYMARCK. « Qu’est-ce qu’un capitaliste ? »
Exposé fait dans la séance de la Société d’Economie Politique de Paris du 5 avril 1903.
Recueilli au tome VI des Finances contemporaines, intitulé : L’Epargne française et les valeurs mobilières (1872-1910), 1er volume. (Paris, Félix Alcan, 1911), dans la première section (« Questions générales sur les placements de l’épargne »)
[LARGES EXTRAITS DES PAGES 3 à 16]
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[…]
QU’EST-CE QU’UN CAPITALISTE ? :
« Qu’est-ce donc, dans notre société moderne, qu’un capitaliste ? Quels sont les reproches qui lui sont adressés ?
Quel rôle remplit-il ? Quels sont les risques qu’il court ?
Est-il juste de l’accuser de timidité ? Et, à côté des capitalistes que l’on voit, n’en existe-t-il pas que l’on ne voit pas ?
Le sujet est très vaste ; il serait facile de l’étendre encore ; mais il est nécessaire de se limiter à quelques points principaux.
Un capitaliste, c’est un travailleur. C’est un produit du travail et de l’épargne ; il se reproduit lui-même en travaillant et en épargnant.
Le capital, disait Bastiat, c’est « le blé du travail ». Le capitaliste, a dit Michel Chevalier, est « celui qui fournit la substance de l’amélioration populaire. Sans doute, le capital rapporte, mais il ne rapporte que par le travail qu’il suscite et qui le reproduit lui-même. »
Rien de plus juste, au point de vue économique, que ces définitions. Un capitaliste est un producteur, bien qu’il ne paraisse rien produire. Sans lui, on manquerait de certains services nécessaires à la production, services de capitaux, services fonciers.
Supposons un instant que le capital et le capitaliste n’existent pas ou soient supprimés : immédiatement tout travail s’arrête.
Effrayez le capitaliste, disait M. Léon Say, tourmentez-le, faites comme les picadores qui agacent les taureaux qu’ils aiguillonnent de leurs banderilles, vous l’épuisez, il lutte et s’affaisse.
Laissez-lui, au contraire, la liberté d’agir : il féconde tout ce qu’il touche. « Plus il y a de capital, plus il y a de travail », a dit M. Levasseur, et, pendant que sa part se restreint d’autant plus que d’autres capitaux et capitalistes lui font concurrence, il éprouve souvent, pour ses peines et son intervention, de grosses déceptions et des ruines. Aussi, quand, au risque de les accabler et de les ruiner, on essaie de surcharger le capitaliste et le rentier, c’est sûrement le travail qu’on atteint, le salaire qu’on diminue.
Où SONT LES CAPITALISTES ?
Les capitalistes sont partout autour de nous.
Capitaliste, la Société d’économie politique qui annonce qu’elle est au-dessus de ses affaires, qu’elle a une réserve qui, lorsqu’elle sera réalisée, lui permettra de développer son oeuvre, son travail utile.
Capitalistes, ces créanciers de 20 milliards de rentes sur l’Etat, ces créanciers de 3 à 4 milliards d’emprunts de départements et de villes, qui ont fait confiance au pays tout entier et ont développé son crédit.
Capitalistes, ces détenteurs de valeurs mobilières dont la valeur totale nous appartenant en propre, atteint chez nous 87 à 90 milliards et tous ceux qui ont l’expérience des choses financières savent que ce ne sont pas, à beaucoup près, les millionnaires qui en ont le plus. C’est de la poussière de titres et de revenus. Il y a bien peu de maisons de villages, de hameaux, qui ne cachent quelques-uns de ces morceaux de papier blanc, bleu, jaune, gris ou vert, dont les coupons vont périodiquement s’échanger dans ces grands magasins que l’on appelle banques, institutions de crédit ou caisses publiques.
Capitalistes, eux aussi, ces détenteurs de la propriété foncière, possesseurs de la terre, de la belle terre française que le paysan préfère à tout.
Il existe 8 454 218 propriétaires du sol ; 61 746 120 îlots de propriétés ; 150 429 961 parcelles cadastrales.
Un coin de pré, un bout de vigne, un lot de terrain pour arrondir son champ, plaira toujours mieux à notre brave paysan qu’un bout de papier à vignettes dans son armoire. Et ces capitalistes dont le travail et l’économie ont fécondé le sol, quelle est donc leur grosse fortune ? Les domaines de moins de 6 hectares représentent chez nous, les 9/10e du nombre total des propriétés existantes.
Capitalistes, encore, ces propriétaires de palais, de châteaux, de maisons et de chaumières. C’est encore Jacques Bonhomme qui en possède la plus grande partie.
Il existait en France, à la fin de 1900, 9 060 560 maisons. Les cotes financières des propriétés bâties se chiffrent en nombre à 6 587 185.
Sur ces 6 587 185 cotes,
2 006 303 ont un revenu net de 20 fr. 01 à 50 fr.
1 394 879, de 50 fr.01 à 100
855 009, de 100 fr. 01 à 200
Où donc se trouvent les gros capitalistes ? Les propriétaires dont les maisons rapportent de 2 001 à 5000 francs sont au nombre de 107 075 ; et au-dessus de 5 000 francs, de 59 963.
Examinons les mêmes faits plus près de nous. A Paris, par exemple, un travail récent de M. Fontaine sur le Livre foncier de Paris montre combien sont nombreux les petits locaux, donc les petits loyers. On arrive à cette conclusion que ceux qu’on appelle les « capitalistes » sont en majorité des petits épargneurs et que ce sont eux que l’on attaque quand on s’en prend à ce qu’on appelle « le capitalisme ». C’est la bourse des petits qui est ainsi menacée.
LES CAPITALISTES QUE L’ON VOIT ET CEUX QUE L’ON NE VOIT PAS :
Il faut remarquer aussi qu’il y a les capitalistes que l’on voit et ceux que l’on ne voit pas.
Les capitalistes que l’on voit, ce sont ces milliers de personnes qui possèdent, qui un livret de la caisse d’épargne, qui un titre de rente ou une valeur mobilière, un champ, un bout de vigne ou une maison.
Ces capitalistes, nous l’avons montré, sont une véritable démocratie financière.
Il y a les capitalistes que l’on ne voit pas.
En première ligne, les grandes banques et sociétés privées, qui emploient les capitaux et leur fortune à leur guise, courent des risques, cherchent tout à la fois la sécurité et l’accroissement du capital et du revenu.
En seconde ligne, les établissements de crédit, les banques particulières aussi, qui groupent autour d’elles des millions de capitalistes, dont ils font valoir les capitaux.
LE CAPITALISTE EST SANS CESSE SUR LA SELLETTE :
Le capitaliste est, pour beaucoup de législateurs, un être indigne de pitié. C’est la « bête de somme du budget » ; la « bête noire » des travailleurs, des salariés ; l’être le plus exécré de ceux qui ne possèdent rien.
Il est le plus accablé et le plus attaqué tout à la fois par le fisc, qui a pour lui, suivant l’expression d’un rapporteur général d’un de nos budgets, une « sollicitude éclairée », et par ceux qui considèrent qu’être capitaliste c’est être un « repu », un « jouisseur », un « fainéant » qui n’a qu’à se laisser vivre, qui se gorge de plaisirs et roule sur l’or à côté de ses ouvriers mourant de faim ou des malheureux qui mendient leur pain quotidien.
Ces fausses idées, particulièrement en ce qui concerne les porteurs de valeurs mobilières qui représentent une grosse part de la fortune publique et privée, proviennent de trois causes.
1-LES PORTEURS DE VALEURS MOBILIERES N’ONT PAS DE LIEN ENTRE EUX :
Premièrement, les porteurs de valeurs mobilières ne se sont pas syndiqués et n’ont pas de liens entre eux. Ils n’ont pas de représentation officielle. Les salariés ont le droit de coalition ; les agriculteurs savent faire intervenir le pouvoir à leur profit. Les malheureux capitalistes et porteurs de valeurs mobilières, dispersés sur tous les points du territoire, sont des victimes tout indiquées aux législateurs à court d’argent pour les dépenses budgétaires.
2-DIFFUSION DES VALEURS MOBILIERES :
En second lieu, on considère que tout capitaliste est un « ploutocrate », un « riche ». Or, quels pauvres et maigres riches sont la plupart d’entre eux ! Examinez la diffusion des valeurs mobilières : partagez cette fortune entre tous : elle n’ajoutera pas une miette au pain du pauvre. La misère pour tous serait le produit net d’une semblable division. Ce que les capitalistes possèdent, c’est de la poussière de titres et de la poussière de revenus.
3-LA FISCALITE :
La troisième cause, enfin, c’est que le mécanisme fiscal par lequel l’Etat extrait des porteurs de valeurs mobilières une partie de leur substance est d’une extrême simplicité. Droits de timbre, droits de transmission, impôt sur les opérations de bourse, etc., tout cela n’est pas compliqué. Il a bien garde de s’adresser à chacun d’eux directement, sans quoi il serait obligé de reconnaître que parfois il frappe de malheureuses petites gens : il exige des administrations et des sociétés qu’elles retiennent, sur les coupons présentés au paiement par les porteurs, une part de leur revenu et qu’elles versent cette part aux agents de l’Etat.
Les détenteurs de valeurs immobilières ne sont pas moins atteints. Leur bien est au soleil et le fisc n’a garde de le laisser à l’ombre.
LA BAISSE DU TAUX DE L’INTERET :
Le rôle du capitaliste dans la société moderne n’est donc pas aussi brillant que se le figurent ceux qui l’attaquent ou l’envient.
Il doit tout à la fois se défendre contre les convoitises des uns, la fiscalité des autres et, de plus, rester constamment en éveil pour faire fructifier son capital.
Il a, en outre, un redoutable ennemi : la baisse du taux de l’intérêt.
[…]
Les capitalistes et les rentiers voient chaque jour diminuer leurs ressources précisément par suite de la multiplication des capitaux, de leur concurrence entre eux que produit la baisse du taux de l’intérêt. Cette baisse du taux de l’intérêt ronge, sans se lasser, les revenus de l’oisif, justifiant ainsi les paroles célèbres de Jacques Lafitte, en 1824 : « L’homme qui vit sur une oeuvre passée doit devenir continuellement plus pauvre. Il doit ou travailler ou se réduire. » En même temps, la part des travailleurs va en augmentant, les salaires s’élèvent ; l’accroissement de la richesse, l’abondance du capital, aboutissent à une rémunération de plus en plus large des classes laborieuses. Plus les capitalistes sont nombreux et plus le capital est à meilleur compte, moins reçoivent ceux qui possèdent ces capitaux ; mais grâce à eux, le crédit devient plus accessible, non seulement à l’artisan et au paysan, mais aussi au salarié économe et rangé.
Ainsi se trouve justifiée cette vérité économique que proclamait encore Bastiat, « à mesure que le capital augmente, sa part proportionnelle diminue au profit de celle du travail. »
ETRE CAPITALISTE, C’EST EXERCER UN METIER. ON NE LE PLAINT JAMAIS :
Aussi pouvons-nous dire que, de nos jours, être capitaliste c’est exercer un véritable métier. Ce capital qu’il possède, ne vaut qu’autant qu’il produit. Si le capitaliste ne fait rien, il s’appauvrit ; s’il travaille et s’enrichit, le fisc est là qui le guette et l’atteint ; s’il se ruine, s’il fait de mauvais placements, personne ne le plaint. On dit volontiers : « Tant pis pour lui ! »
ON LE CHANSONNE :
Bien souvent on le chansonne, comme on chansonne aussi ceux qui le défendent. Dans un vieux vaudeville, voici comme on le traitait, il y a une trentaine d’années :
Dans les champs couverts de genêts,
Sur les sols les plus réfractaires,
Semez de la graine de niais,
Il y pousse des actionnaires.
ON LE TAXE :
Si, au contraire, ses placements mobiliers ou immobiliers accroissent son capital et son revenu, le fisc se chargera bien de lui apprendre qu’il ne doit pas trop se réjouir.
Ainsi, d’une part, il a à souffrir de la multiplication des capitaux, de leur concurrence, de l’abaissement du taux de l’intérêt. D’autre part, il est atteint par les mauvais placements qu’il fait, bien souvent, avec une légèreté inouïe ; il souffre des crises et des évènements intérieurs et extérieurs, de l’hostilité ou de l’envie d’une partie des classes de la société, de la « sollicitude éclairée » du fisc. De tous côtés, ce capitaliste si envié est visé.
PRETENDUE TIMIDITE DES CAPITALISTES :
On reproche aux capitalistes français leur extrême timidité. Avouons que, dans une certaine mesure, elle serait justifiée. Tant de périls menacent le possesseur d’un capital que l’on comprend qu’il prenne toutes les précautions pour le conserver. On reproche à notre pays ses « bas de laine » ; on considère comme un mal son esprit d’épargne et d’économie ; on entend dire qu’il a bien tort de se cantonner dans les rentes et titres à revenu fixe et de n’en pas sortir.
PLACEMENTS EN TITRES DE PREMIER ORDRE :
Il est vrai que l’épargne française a un faible pour les titres de premier ordre, les rentes, les obligations de chemins de fer, de la ville de Paris et du Crédit foncier, les titres à revenu fixe. Quoi qu’en puissent dire ceux qui critiquent cette tendance, il est heureux que l’épargne soit aussi prudente. C’est une force pour un pays d’avoir une grosse armée de petits capitalistes divisant ses placements à l’infini, ayant le souci constant de donner une base solide à la plus forte partie de ses économies. Puis, à côté d’eux et même parmi eux, d’autres épargneurs qui ne se contentent pas d’un maigre revenu, cherchent des placements moins sûrs, plus aventureux, leur rapportant davantage.
UN MOT DE M. E. LEVASSEUR. ARMEE ACTIVE ET ARMEE TERRITORIALE :
On pourrait, sur les uns et les autres, faire cette spirituelle comparaison que donnait un jour M. Levasseur en parlant de notre stock argent et de notre stock monétaire-or. « Notre argent, disait-il, c’est notre armée territoriale qui garde nos forteresses à l’intérieur, tandis que notre or, c’est notre armée active qui se porte tantôt à l’intérieur, tantôt à l’extérieur pour y faire de fructueuses campagnes. » Nos capitalistes, eux aussi, détenteurs de rentes sur l’Etat, d’obligations de premier ordre, n’est-ce pas notre armée territoriale qui garde nos forteresses, c’est-à-dire notre crédit à l’intérieur ; ceux qui font d’autres placements, et nous rangeons parmi eux nos grandes banques et établissements de crédit qui ne représentent qu’une unité, mais qui sont, en somme, une grande collectivité par les nombreux clients dont ils reçoivent et font valoir les capitaux, n’est-ce pas l’armée active qui cherche à l’extérieur des entreprises donnant des résultats plus élevés, à revenu variable ?
[…]
LE CAPITALISTE français COMMANDITE LE MONDE ENTIER :
Le capitaliste français a, en effet, commandité le monde entier, en Europe et dans les cinq parties du monde. L’épargne, ce petit « bas de laine », a toujours été, au contraire, très hardie dans ses placements.
Elle a percé ou essayé de percer tous les isthmes. Elle a admirablement réussi dans celui de Suez ; elle a réussi matériellement et échoué financièrement dans celui de Corinthe ; elle a sacrifié des centaines de millions dans l’isthme de Panama. Elle s’est lancée à l’étourdie dans les mines d’or du Transvaal et y a enfoui près d’un milliard, sinon 1 milliard 500 millions. Elle a construit une grande partie des chemins de fer en Europe ; les chemins de fer russes, les chemins de fer autrichiens, les chemins de fer lombards, les Nord-Espagne, Saragosse, Andalous, les chemins de fer turcs, sont en grande partie son oeuvre. Elle a prêté des capitaux aux plus grands comme aux plus petits Etats du monde : on peut apprendre la géographie rien qu’en retenant les noms des Etats à qui elle a fait crédit. En Chine, au Tonkin, à Madagascar, dans nos colonies, aussi bien les particuliers que les sociétés de crédit qui ne sont, en somme, qu’une grande agglomération de petits capitalistes, se sont intéressés à toutes les grandes entreprises d’utilité publique ; l’épargne française possède une quantité d’actions industrielles, de gaz, d’eaux, de tramways, de houillères, non seulement en Europe, mais dans les autres parties du monde ; la plupart des mines métalliques du bassin méditerranéen lui appartiennent.
[…]
COMMENT RENDRE LES CAPITALISTES PLUS ENTREPRENANTS :
Admettons cependant que le reproche de timidité que l’on adresse à nos capitalistes, à nos « bas de laine », soit fondé, il y aurait vraiment un moyen bien simple de les décider à sortir de leur inaction. Ce serait de ne pas paralyser leur bonne volonté et de leur inspirer la plus grande confiance.
Depuis quelque temps, en effet, les capitalistes français ne sont pas précisément gâtés.
Un jour, on inquiète les porteurs de titres de rentes ; demain ceux des chemins de fer, des mines, des assurances. On ne sait plus au juste ce que peut valoir un traité signé par l’Etat et conclu avec lui. Les municipalités suivent l’exemple. Les détenteurs d’actions du gaz des omnibus, des tramways, en savent quelque chose. Pour peu que cela continue, on finira par dire que, traiter avec une municipalité, c’est le comble de l’imprudence et de la naïveté. Et nous ne parlons ni des projets d’impôts sur le ou les revenus, ni des bouleversements que rêvent des législateurs atteints par l’obsession fiscale, ni des projets de mainmise de l’Etat sur grand nombre d’industries : monopole de l’alcool, du pétrole, du sucre, monopole des chemins de fer, des assurances, etc. On veut annihiler l’initiative privée. L’Etat doit devenir le grand manitou. Il doit tout faire : acheter et vendre, être producteur et capitaliste ! On est mal venu vraiment à reprocher leur hésitation à ceux qui voudraient employer leurs capitaux comme bon leur semble !
[…]
PLUS DE CAPITAL NI DE CAPITALISTES. RESULTAT :
L’oeuvre de ce capitaliste si envié par les uns, si attaqué par les autres, en butte à l’obsession fiscale et à la haine de ceux dont il est le plus solide appui, a été grande et féconde. Plus grande et plus féconde encore elle aurait été, si ses progrès n’avaient pas été arrêtés, à chaque instant, par ceux qui l’attaquent : singulier moyen de se concilier leur concours et leur appui !
Bien souvent aussi, dans des assemblées parlementaires, dans des programmes électoraux, dans des journaux, on entend dire qu’il faut supprimer le capital et le capitaliste ! C’est bien vite dit. Mais par quoi, par qui et comment le remplacer ? Voilà ce que les réformateurs sociaux, qui rêvent une Jérusalem nouvelle, feraient bien d’indiquer et d’expliquer.
OPINION DE M. Frédéric PASSY :
Supprimer le capital ! Supprimer les capitalistes ! Ne serait-ce pas demander « de supprimer le champ qui porte les récoltes, la charrue qui ouvre le sein de la terre, le grain que le laboureur confie à cette terre pour qu’elle le lui rende l’année suivante avec accroissement », ainsi que le disait M. Frédéric Passy.
CONCLUSION :
En résumé, nous pouvons dire qu’un capitaliste est un travailleur et un producteur. Etre capitaliste, c’est exercer un métier. C’est là une vérité fondamentale qu’il ne faudrait pas oublier.
Plus nombreux sont les capitalistes et les capitaux, plus nombreux est le travail, plus élevés sont les salaires. « Le capital et le travail, les capitalistes et les salariés, disait un jour notre ami regretté Brelay, dans un petit ouvrage intitulé Le Malentendu social, sont comme les deux frères siamois que ne l’on ne pouvait séparer sans les tuer tous les deux…Ils vivent l’un pour l’autre. Ils sont une seule et même chose à des degrés différents et sous des formes différentes. »
Plus nombreux et abondants sont les capitaux, plus la part qui leur revient se réduit, car ils se font concurrence entre eux.
Ce qui fait concurrence au travail, c’est le travail ; ce qui fait concurrence au capital, c’est le capital ; mais le capital ne peut pas plus faire concurrence au travail que le travail ne peut faire concurrence au capital : la concurrence ne s’exerçant qu’entre facteurs du même ordre.
Le capital est un résultat ; le travail est un effort. Le capital est le produit de l’effort antérieur, tandis que le travail est l’effort actuel.
C’est grâce aux placements effectués par nos capitalistes français à l’étranger que nous avons les changes favorables, que nous sommes partout créditeurs. Nos placements de capitaux au dehors, sont, suivant l’expression de Léon Say, « l’équivalent d’un excédent d’exportation » ; ils compensent, en partie, ce que nous a fait perdre la politique économique de 1892.
Les capitalistes français et l’épargne seraient encore plus hardis, plus entreprenants, si leur initiative et leur bonne volonté n’étaient pas à chaque instant troublées par des menaces d’impôts nouveaux, par l’obsession fiscale, par les luttes incessantes et les divisions des partis politiques, si on ne les considérait pas comme des ennemis des travailleurs, alors qu’ils en sont les alliés toujours nécessaires.
Pour les rendre plus hardis, il faut les rendre plus confiants et, pour cela, il est nécessaire qu’à l’obsession fiscale succède la paix fiscale ; que l’Etat ne porte pas atteinte, à chaque instant, à l’initiative privée et qu’il se hâte d’abandonner toutes ses idées de monopole : un jour, monopoliser les chemins de fer ; demain, les mines ; après-demain, les compagnies d’assurances ou telle ou telle grande industrie. Il ne doit pas être le seul acheteur ou le seul vendeur d’une denrée, d’un produit, pas plus qu’il ne doit et pourrait être le seul grand capitaliste se substituant à la foule des petits capitalistes et épargneurs.
Les capitalistes, pour vivre et prospérer et rendre tous les services qu’on attend d’eux, ne demandent aucune faveur à l’Etat ; ou, du moins, ils ne demandent au législateur qu’une chose : qu’il les laisse tranquilles et en paix. »
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A propos Sébastien Millerand

Né le 21 juillet 1979 à Bordeaux, Sébastien MILLERAND vit à La Coquille, commune située au nord du département de la Dordogne et à la lisière de celui de la Haute-Vienne, sur la route nationale 21 et l'un des chemins menant à Saint-Jacques-de-Compostelle (l'itinéraire dit "de Vézelay"). Titulaire d'une maîtrise de lettres modernes, il exerce la profession de bouquiniste par correspondance depuis 2006, sous la raison sociale : Autres Siècles. Il est le fils de deux libraires bien connus des bibliophiles : Jean-Pierre MILLERAND (1943-2015), qui a tenu de 1974 à 1998, la "Librairie-Papeterie de Verdun", située cours de Verdun à Bordeaux (près la place Tourny) ; Bernadette MILLERAND (née en 1952), bouquiniste en chambre à La Coquille et sur salons, rédactrice de nombreux catalogues de 1996 à 2013, à l'enseigne de la "Librairie du Périgord Vert". Depuis une dizaine d'années, il interrompt périodiquement ses activités professionnelles, et cela pendant de longues périodes, pour secourir sa mère très gravement malade, comme il l'avait déjà fait auparavant pour son père (décédé des suites de plusieurs cancers). S'il soutient les causes défendues par "Témoignage Fiscal", c'est en souvenir d'une mésaventure dont il fut personnellement victime alors qu'il était tout enfant. En 1990, au cours d'un contrôle fiscal effectué chez ses parents, l'agent vérificateur, très curieux et de fort mauvaise foi, délaissa subitement l'examen en cours d'une comptabilité commerciale pour mieux s'intéresser, tel un serrurier de métier à une clef de forme singulière, appartenant en réalité au petit Sébastien, et qu'il tenta par tous les moyens possibles de faire passer pour celle... d'un coffre-fort (inexistant, bien sûr !) Voilà qui fit de Sébastien, peu avant son onzième anniversaire, un témoin vraiment très précoce et inattendu de cette "violence fiscale", tant dénoncée depuis par Henri Dumas !

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