L’heure du grand vent est enfin venue !
Il y a des chiffres qui sont pires que significatifs. Ils sont accablants. La France dépenses 850 milliards d’euros en prestations sociales. Les Etats-Unis dépensent une somme légèrement inférieure pour entretenir leur armée, la première du monde. Et alors ? diront certains. On fait ce qu’on veut. Bien sûr. Chacun est libre de se suicider.
Chacun est libre aussi d’avoir une opinion. Et de l’exprimer. En France, il n’y a pas foule pour dénoncer l’abus des dépenses sociales. Pour tout dire, il n’y a même personne. Même ceux qui ont gardé un peu de raison n’osent pas s’élever contre cette folie dépensière, de peur d’être attaqué en blasphème. Tant il est vrai que la politique sociale est devenue en France une religion.
Le recul du catholicisme en France a laissé une large place à d’autres croyances. Celle qui l’a emporté – et de loin – est la religion sociale. En fait, celle-ci n’a gagné que parce qu’elle s’est appuyée sur une organisation de fer. Le principe de base étant la cotisation, qui signe l’appartenance, il fallait rendre celle-ci obligatoire pour sceller la fin de la liberté dans notre pays. Et pour faire triompher la religion sociale.
La majorité des Français ne connaît pas les dessous de l’organisation sociale. Ils sont salariés et les cotisations leur sont tout simplement prélevées. Ils ne s’en aperçoivent même pas. On a voulu rendre cette cotisation visible il y a une vingtaine d’années en faisant apparaître le salaire réel sur la feuille de paye. Ce fut un échec cuisant. Personne n’a réagi à la spoliation du travail par les prélèvements sociaux. Et l’opération de vérité a été abandonnée.
Depuis, le chien crevé continue sa croisière au fil de l’eau. Et la France s’enfonce dans la régression économique et sociale, tandis qu’il y a toujours des politiciens pour parader sur les estrades et faire semblant de gouverner. Mais la régression la pire est politique. Les vingt-trois millions de Français largués, c’est-à-dire pour lesquels la fin du mois commence le premier, ne votent plus et, quand ils le font, choisissent des votes extrêmes ou le vote nul. La dissidence politique représente la moitié du corps électoral. Dans n’importe quelle démocratie, on s’en inquièterait vivement. Pas en France. Officiellement on gémit sur la maladie démocratique. Dans le secret des officines, on se réjouit de rester entre soi et de pouvoir présider seuls ou presque aux destinées de la nation.
Pourtant la solution existe. Elle est européenne. L’Europe n’a pas bonne presse en France. Et pourtant à chaque fois qu’un parti a voulu abandonner les disciplines européennes, il a été contraint de faire machine arrière. Les Français savent très bien que l’Europe leur apporte plus qu’elle ne leur enlève. En 1986, les pays membres ont voté un Traité dénommé l’Acte unique – parce qu’il rassemble les dispositions des traités précédents – dont l’article 13 mérite d’être cité en toutes lettres. Le voici : « Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du présent traité. »
On ne peut pas être plus précis. Tout ce qui est monopole, entrave commerciale, tricherie fiscale ou autre filouterie d’Etat est interdit. C’est plus qu’une révolution, c’est une bénédiction. Le vainqueur de ce traité est le citoyen européen. Sa victoire est plus qu’historique, elle est civilisationnelle. Toute personne ayant subi les horribles tracas de l’administration d’Etat ne peut qu’être sincèrement reconnaissante aux Etats européens d’avoir ainsi sacrifié leurs privilèges régaliens sur l’autel du progrès économique et social et de la civilisation occidentale.
L’obligation de respecter les traités découle, en France, de l’article 55 de la Constitution, qui dispose : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. »
Il n’y a donc aucune possibilité légale de ne pas appliquer la libre circulation sauf à la supprimer dans un autre traité. Ce n’est évidemment pas le cas. Depuis 1993, date d’application de l’Acte unique, le monopole de la sécurité sociale est supprimé. Les juges ont eu beau s’échiner, ils n’ont jamais pu réussir qu’à retarder l’application de ces heureuses dispositions. Depuis 1993 donc, la France sacrifie son avenir à des dispositions mortes, et donc, pour reprendre l’expression de Maurice Druon, s’est mise « aux ordres d’un cadavre ». Mais le cadavre empeste de plus en plus. L’air est devenu irrespirable. L’heure du grand vent est enfin venue !
Claude Reichman