Bruno Le Maire : tellement, mais tellement plus qu’un énarque ! par NATHALIE MP MEYER

Avec Bruno Le Maire, c’est vraiment le 1er avril tous les jours ! Outre qu’il n’a pas l’air toujours très au fait des concepts économiques et financiers qu’il manipule doctement devant la presse ou la représentation nationale, il possède un art consommé de dire tout, son contraire et le contraire du contraire sur un ton d’enfant de chœur absolument prodigieux. Nouveaux exemples hier et avant-hier :

Vendredi, donc hier, il s’empressait d’acquiescer à la décision d’Emmanuel Macron de supprimer l’ENA, l’école de la haute administration française souvent critiquée à raison pour son entre-soi pseudo-élitiste et sa complète déconnexion du pays réel, au profit d’un Institut du service public censé combiner à l’avenir excellence des formations et proximité avec les citoyens – ce qui reste à voir.

Mais attention : si notre ministre de l’Économie approuve sans restriction la disparition de l’ENA, notamment parce qu’un diplôme aussi prestigieux soit-il ne doit pas être considéré comme une rente, il va de soi qu’en ce qui le concerne lui, personnellement, tout énarque qu’il soit, seuls son travail, ses succès et sa façon de se relever de ses échecs (son ralliement à Emmanuel Macron après sa cuisante défaite lors de primaire de la droite en 2016 ?) sont à mettre au crédit de sa brillante réussite :

« C’est pas parce qu’on a eu un bon diplôme à 20 ans qu’on peut tout au long de sa vie considérer qu’on va vivre de ce diplôme. (…) Les diplômes que j’ai eus, j’ai travaillé pour les avoir, mais ça vaut pas rente. Ce qui vous fait réussir dans la vie, c’est ce que vous avez réussi à faire, c’est votre engagement, c’est vos échecs, c’est la capacité à vous relever de vos échecs. »

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Bruno Le Maire est peut-être énarque, mais il ne faudrait quand même pas le confondre avec le tout-venant bêtement technocratique et furieusement prétentieux qui peuple cet établissement (de prestige quand il s’agit de lui, au prestige douteux quand on parle des autres).

Il n’empêche que jeudi, c’est-à-dire avant-hier, c’est-à-dire seulement la veille, il nous livrait un travail digne de tous les travers de l’énarchie la plus assumée : des chiffres d’un « volontarisme » politique parfaitement « pifométrique » qui font qu’en 2027, le déficit public de la France sera revenu dans les clous des 3 % théoriquement exigés par les traités de l’Union européenne après les abîmes covidiens de 9,2 % et 9,0 % en 2020 et 2021.

Tout cela étant rendu possible par la grâce d’une « maîtrise » absolument époustouflante et surtout inédite, jamais vue, jamais tentée de la dépense publique ! Mais Bruno fait comme s’il y croyait.

Je vous parle-là du « programme de stabilité », c’est-à-dire de la trajectoire des finances publiques à l’horizon 2027 que la France va adresser prochainement à la Commission européenne, comme chaque année à la même époque, et que notre brillant ministre de l’Économie, plus énarque que jamais, a dévoilée jeudi dernier.

Résumé des chiffres annoncés :

Comptes publics – Programme de stabilité France 2022-2027(*)
Sources : Le Monde – Les Échos – En bleu : réalisé – En parme : prévisions.

% du PIB Croissance Déficit Dépenses Dette
2019 1,5% 3,1% 55,6% 98,1%
2020 -8,3% 9,2% 62,1% 115,7%
2021 5,0% 9,0% 60,4% 117,8%
2022 4,0% 5,3% 56,0%
2023 2,0% 4,4% 54,8%
2024 1,5% 3,9% 54,2%
2025 1,4% 3,5% 53,8% 118,3%
2026 1,4% 3,2% 53,4%
2027 1,4% 2,8% 53,1% 117,7%

Les comptes prévisionnels sont toujours très bien tenus.

Inutile de dire que ce genre d’exercice très satisfaisant sur le papier a déjà été fait à de multiples reprises et qu’il s’est toujours révélé parfaitement inutile tant les réalisations effectives tombent systématiquement très loin en pire des pieuses prévisions régulièrement basées sans succès sur un retour imminent de la France au « sérieux » budgétaire.

Beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts d’ici 2027, à commencer par une gestion de la pandémie de Covid-19 qui continue à privilégier les interdictions sur la reprise des activités. Et sans compter une élection présidentielle dont je doute qu’elle se limite à un renouvellement automatique sans condition d’Emmanuel Macron comme ses équipes aimeraient le croire en plantant (par fétichisme ?) du 2027 un peu partout dans les documents du gouvernement.

On se rappellera par exemple qu’après la crise de 2008, François Hollande et son économiste en chef Michel Sapin nous avaient promis que le déficit public repasserait sous la barre des 3 % en 2013. Ça, c’était l’engagement de campagne du candidat Hollande qui passait ainsi pour un socialiste réaliste et responsable. Mais comme un socialiste (et plus généralement un politicien en mal de réélection) n’est par définition ni réaliste ni responsable, il a fallu reculer l’échéance à 2015 puis à 2017.

Les 3 % ayant été péniblement atteints en 2017, le duo Macron Le Maire ne pouvait pas faire moins que de viser un retour à l’équilibre budgétaire à la fin du quinquennat afin de faire apparaître une baisse du ratio de dette publique rapportée au PIB, comme en témoigne la trajectoire des finances publiques publiée par Bercy à l’automne 2017 à l’occasion du Projet de loi de Finances pour 2018 (PLF 2018) :

À l’époque, Bruno Le Maire professait d’ailleurs une orthodoxie budgétaire des plus remarquables : si la dépense publique était la réponse à tout, écrivait-il dans le PLF, la France devrait avoir le chômage le plus bas et le taux de croissance le plus élevé en Europe. Ce qui n’était pas le cas… et n’est toujours pas le cas quatre ans après en dépit de la brillance énarchique transcendantale de M. Le Maire.

Si le déficit public s’est effectivement réduit en 2018, tout en restant nettement plus élevé que dans la moyenne de l’Union européenne, il est reparti à la hausse en 2019 sous la pression des Gilets jaunes et a complètement dérapé l’an dernier du fait du « quoi qu’il en coûte » déversé pour atténuer les effets négatifs des confinements dressés devant la pandémie de Covid-19. « Quoi qu’il en coûte » voulant dire dépenses publiques débridées.

Il serait donc question, une fois de plus, de faire enfin ce qu’il aurait fallu faire depuis très longtemps : réduire une dépense publique censée « protéger » les citoyens mais devenue en fait un tel boulet d’inefficacité et de gaspillage pour le secteur productif qu’elle ne permet plus à ce dernier d’assurer croissance, emploi et pouvoir d’achat.

Pour M. Le Maire, le remplacement de l’ENA par une autre entité dont il va falloir définir les objectifs constitue justement une excellente occasion de procéder à une « transformation en profondeur de l’État français ».

Tiens, tiens, réforme de l’État, le retour. Pas un gouvernement français depuis 2007 qui ne l’ait inscrite sous une forme ou sous une autre dans son action. Ou plutôt : pas un gouvernement qui ne l’ait inscrite sous la forme de slogans et d’acronymes variés – RGPP, MAP, choc de simplification, CAP22 – dans son discours obligé de bon gestionnaire de l’argent des autres.

Un discours qui n’a évidemment pas empêché la sphère publique de s’accroître toujours un peu plus au gré de politiques toujours plus coûteuses et visiblement peu efficaces comparativement à des pays moins obsédés d’étatisme – voyez notre niveau de chômage en 2019, voyez les mauvais résultats internationaux de notre Éducation nationale et voyez les carences de notre système de santé révélées au grand jour par la crise sanitaire du Covid-19.

Un discours dont Bruno Le Maire est friand mais dont il n’a pourtant pas amorcé la plus petite mise en œuvre depuis qu’il grenouille dans les sphères gouvernementales, et certainement pas depuis qu’il est ministre de l’Économie d’Emmanuel Macron. Gilets jaunes, pandémie, l’excuse pour ne rien faire est toute trouvée : ce n’était pas l’heure de réformer mais celle de soulager et protéger. Pour le reste, on verra plus tard.

Gageons que d’ici 2027, l’actualité française ne manquera pas de petits incidents de parcours inattendus mais utiles au sens où ils seront autant de prétextes opportuns pour inciter au report de toute velléité de s’attaquer de front à notre compulsion dépensière. Et encore cela ne concerne-t-il que les très peu nombreux dirigeants potentiels de demain qui évoquent la question comme pouvant être un problème. Les autres ont déjà décidé qu’il fallait dépenser plus pour mettre fin à la dramatique dérive « néolibérale » du pays.

En attendant, Bruno Le Maire n’a pas besoin d’en faire beaucoup plus que d’afficher son « sérieux » budgétaire dans les médias et aligner en conséquence quelques chiffres mirobolants qui ne signifient rien et n’engagent à rien. Il faut dire que cet homme est tellement, tellement plus qu’un énarque… Ça promet.


En complément pour ce week-end, je vous invite à vous plonger dans mon « dossier » Bruno Le Maire :

· Entreprises : Bruno Le Maire a un plan ! (17 janvier 2018)
· Et le prix du gnangnan politique est décerné à … Bruno Le Maire ! (10 sept. 2018)
· Taxe d’habitation et cafouillage : Bruno Le Maire is back in town ! (10 janvier 2019)
· Pour BLM, baisse d’impôts veut dire nouvel impôt pour les GAFA ! (21 janvier 2019)
· Parité H/F : les « convictions » sans réflexion de l’abbé Bruno (24 février 2019)
· La sortie de crise selon Le Maire : 50% esbroufe, 50% dirigisme vert (28 mai 2020)
· Restaurateurs contre Assureurs : Bruno La Menace s’en mêle ! (3 décembre 2020)
· CROISSANCE : ce qu’en dit Bruno Le Maire n’est que LITTÉRATURE (13 janvier 2021)
· Bruno Le Maire serait-il devenu ministre de la relance électorale ? (14 mars 2021)

2. Bruno Le Maire : tellement, mais tellement plus qu’un énarque !

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