Par Nicolas Lecaussin.
L’ouvrage est sorti en février et il est passé inaperçu à cause de la pandémie. C’est bien dommage car il aurait mérité une grande attention.
Après avoir pris pour cible le Sénat et dévoilé le train de vie des sénateurs et des fonctionnaires qui y travaillent, le journaliste d’investigation Yves Stefanovitch s’attaque à l’une des institutions les plus méconnues de la République : le Conseil d’État. Autre spécificité française.
S’agit-il d’un tribunal ? D’une administration comme une autre ? D’un organisme public gouvernemental ? Difficile de répondre. Bonaparte Premier consul a créé le Conseil d’État comme organe de conseil au gouvernement et pas du tout comme juge de l’administration.
En revanche, ce que l’on sait, c’est que ce bâtiment situé au Palais Royal profite bien aux politiques et à leurs copains. Ses juges ne sont pas de vrais magistrats. La plupart d’entre eux ont été parachutés, de l’administration, de l’entreprise, du journalisme, du monde des lettres…
Officiellement, ils sont 323 membres (2018) pour traiter 9500 dossiers par an. Mais il est difficile de les suivre car cela change tout le temps. C’est comme dans un aéroport, écrit l’auteur. Certains ne sont que de passage, d’autres sont mis à disposition. Le nombre exact n’est connu de personne.
On y entre après Sciences po et l’ENA en attendant un poste plus prestigieux dans l’administration ou dans le privé. On y est aussi nommé parce qu’on fait partie de la Cour, comme Éric Orsenna ou Régis Debray. Ce dernier a rendu quatre arrêts en… trois ans.
D’autres personnalités y ont siégé, comme Christine Albanel et Jeannette Bougrab. Cette dernière, nommée par Nicolas Sarkozy en 2007, y est restée de 2008 à 2010, puis a effectué un passage dans l’entreprise et les médias (chroniqueuse à Canal +), et a demandé sa réintégration au Conseil en 2014.
Un autre nom bien connu, Arno Klarsfeld, s’est distingué par une très grande ardeur au travail : en neuf ans, entre 2011 et 2019, il a participé en tant que rapporteur à 117 arrêtés, soit à peine plus de un par mois !
Les politiques sont aussi les grands bénéficiaires du Conseil d’État. Laurent Fabius, Édouard Philippe, Édouard Balladur, Laurent Wauquiez… Leur charge de travail n’a jamais été épuisante, le plus souvent ils ont juste été de passage.
Le Conseil d’État est donc une bonne planque. Les rémunérations sont plus qu’honorables : de 4000 euros pour un auditeur à 16 000 pour le vice-président. Officiellement. Le reste est très opaque. Ces salaires peuvent augmenter de 3000 à 4000 euros mensuels grâce à des revenus annexes provenant d’autres activités dans des comités, conseils d’administration, entreprises… Les conseillers d’État honoraires peuvent cumuler légalement leurs traitements avec leur retraite.
Les Français ignorent pour la plupart la fonction du Conseil.
Ils ne savent pas non plus qu’en France, nous avons trois institutions aux fonctions plus ou moins bien réparties alors qu’aux États-Unis une seule, la Cour suprême, les regroupe toutes.
Yves Stéfanovitch ne conteste pas son utilité mais il condamne son mode de fonctionnement, le copinage et l’incessant va-et-vient de ceux qui en font partie. Plus de transparence et de rigueur seraient bien nécessaires.
Fusion avec le Conseil économique, social et environnemental au palais d’Iéna, requis après purge de la moitié des membres des 2 « organisses » ! ! !