Toutes les minutes, des millions de personnes font des millions de photos. Toutes ces photos capturent un instant qui, dès sa capture, est déjà du passé. Et pourtant, un peu plus tard, ces millions de personnes vont regarder ou montrer à d’autres ces photos comme si elles étaient encore actuelles.
Longtemps le photographe continue à regarder sa photo au présent, ceux à qui il la montre la voient eux aussi au présent. Il faut, soit un évenement brusque tel que la disparition du sujet, soit la possibilité de constater les marques lentes mais inéxorables du temps sur lui, pour que la photo se comprenne comme faisant partie du passé.
Remisée dans un album ou dans une poche, lorsqu’elle est ressortie, la photo s’intègre immédiatement au pésent qui motive sa consultation.
La photo est une tomperie par rapport au temps, une illusion de sa suspension. Chacun a en tête ces souvenirs reconstruits en famille ou entre amis autour de photos de vacances. Cette reconstruction est toujours trompeuse, elle repose sur une sélection, consciente ou inconsciente, de photos qui modifient la perception de la réalité, de ce qui s’est vraiment passé.
La photo est un instant du passé qu’elle ne peut pas reproduire dans son intégralité et qu’elle contribue à trahir dans l’avenir. La photo est un piège qui n’apporte rien à l’avenir, mais qui le trouble.
Sans elle, le souvenir agirait différemment. L’impact de la photo sur le souvenir transforme le présent qui, autrement, se serait construit à partir de notre souvenir naturel. Notre souvenir naturel est fait de flous probablement nécessaires à notre cerveau, puisqu’il est construit ainsi.
Vous voulez mon avis : la photo est une salope. D’ailleurs, ma photo, qui accompagne mes billets, est l’exemple même de ce que je dis. Elle date de quatre ans, j’ai beaucoup vieilli. Mais bon, vais-je la changer tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, tous les ans ? Non bien sûr, je n’y pense pas, j’oublie. Elle rassure mon présent et adoucit mon avenir. Moi je sais ce qu’il en est, mais pas vous. Vous voyez l’escroquerie ?
Les indicateurs économiques, c’est exactement la même chose.
Avant même qu’ils soient calculés, ils font déjà partie du passé. Autour d’eux, de doctes professionnels reconstruisent le passé à leur façon. Tout comme les photos, les indicateurs ne perçoivent que très partiellement et surtout très tendancieusement le passé.
Leur influence sur la façon de penser le présent et de prévoir l’avenir fausse notre vision, détraque notre lucidité économique.
D’abord, comme pour la photo, leur cadrage est beaucoup trop serré. L’économie n’est pas faite que de chiffres. Ceux-là ne peuvent, tout au plus, que rapporter le résultat. Mais, le résultat n’est qu’une infime partie de l’économique, il n’explique rien.
L’histoire qui mène aux résultats, c’est elle l’économie. C’est une aventure humaine où les sentiments, la création, l’imagination sont essentiels, or il n’en reste aucune trace dans les indicateurs.
La vérité est derrière la photo, inaccessible au photograhe au moment où il appuit sur le déclancheur. D’ailleurs, peu lui chaut.
Ensuite, toujours comme pour la photo, la sélection des chiffres qui composent les indicateurs est arbitraire, entièrement dépendante de ce que l’observateur veut prouver. Le passé issu des indicateurs est falsifié, son influence sur l’avenir est maléfique.
L’économie d’aujourd’hui est le résultat de l’avenir pensé hier. Toute introduction de fausses données ou de données biaisées dans la réflexion sur l’avenir a des répercutions incalculables, dont la facture sera payée par ceux qui seront présents demain, au moment des résultats.
Je crois que tous ceux qui font métier de l’économie savent cela et accordent bien peu d’importance aux indicateurs. Malheureusement, ce ne sont pas eux qui ont le pouvoir.
A partir du moment où le pouvoir se mêle d’économie, nous avons le droit d’être inquiets à l’idée qu’il pense l’économie, donc notre vie, exclusivement à partir des indicateurs et non à partir des hommes. Alors que l’économie est strictement une affaire d’hommes et non de chiffres (elle existait avant même que les hommes sachent compter) les hommes en sont exclus par les technocrates et les politiques au profit des indicateurs. Drôle de monde.
Bien cordialement. H. Dumas
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