Ce commentaire, arrivé aujourd’hui, mérite de prendre la place d’un billet. Il émane d’un ami, pour qui j’ai la plus grande estime, mais qui ne m’avait pas averti de sa démarche et a laissé ce commentaire de la même façon qu’un lecteur inconnu. Je tiens à le remercier. Son acte est courageux, les services fiscaux lisent régulièrement ce blog, signer un commentaire de son nom est un acte de courage.
« L’aventure d’Henri Dumas est ordinaire. Et c’est en cela qu’elle est exemplaire. Et même si Henri Dumas, à la lumière de son blog, n’est pas lui-même ordinaire, il faut rechercher, à travers son histoire, la leçon à tirer de son expérience pour un individu isolé dans notre société.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la place de l’individu dans notre société.
On pense bien entendu, lorsqu’on parcourt les étapes du litige qui oppose Henri Dumas au fisc depuis de si nombreuses années, à la célèbre maxime de Lacordaire: « Entre le riche et le pauvre, entre le fort et le faible entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » pour constater que face à une administration imbue de son pouvoir et de sa force de dissuasion, l’individu devrait pouvoir au moins compter sur l’application de la loi.
Or tout nous conduit à penser que la loi ne s’applique qu’au cas par cas, de façon inégale selon la personne, physique ou morale, qui a recours à elle.
Etrange situation que celle d’un Etat de Droit qui, proscrivant la raison du plus fort et prônant le recours à la loi, émet comme principe fondamental que tout recours à la violence est une manifestation barbare et refuse pourtant aux siens de reconnaître ses erreurs en employant toute son énergie, sinon à détruire son adversaire, du moins à tenter par tous les moyens, même les plus malhonnêtes, de falsifier la vérité pour dissimuler sa responsabilité aux yeux du plus grand nombre.
C’est cette attitude qui doit éveiller l’attention du citoyen pour savoir s’il peut encore ou non faire confiance aux règles qui régissent la société dans laquelle il vit.
Depuis Outreau, la question est ouvertement posée.
Elle n’a pas pour autant été résolue. L’occasion est passée. Il y a peu de chances qu’elle se renouvelle.
Le corps judiciaire a pratiqué l’omerta contre les victimes de son système malgré les efforts du pouvoir législatif pour tenter de réveiller les conscience par une commission d’enquête remarquablement menée par des parlementaires au-dessus de tout soupçon qui avaient bien compris l’importance de la mission qu’ils s’étaient assignée.
Comment de tels dysfonctionnements qui voient l’individu écrasé par la mécanique administrative peuvent-ils encore se produire dans un si vieux pays qui se targue encore de représenter aux yeux du monde la nation des droits de l’homme ?
N’est-ce pas parce que nous souffrons d’une mémoire tellement sélective qu’elle nous permet de passer sous silence les exactions perpétrées pendant la Terreur en dépit de la proclamation des droits de l’homme et du citoyen ? Et ne préférons-nous pas collectivement penser que mettre en avant les principes suffit à exonérer le pouvoir, souvent au nom de la raison d’Etat, de toutes les violations qu’il commet contre les libertés individuelles ?
Ce qui peut surprendre dans une telle attitude, c’est qu’elle soit commune au plus grand nombre et que lorsque quelques rares citoyens dénoncent de telles dérives, la majorité refuse non seulement de prendre leur parti, ce qui peut se comprendre au regard des risques courus par un individu isolé dans la société, mais même de considérer la situation comme réelle et dangereuse pour tous, préférant la politique de l’autruche à l’objectivité.
On se prend alors à se demander si les instruments du pouvoir : agents du fisc, magistrats, policiers, qui commettent ces dérives sciemment, le font de bonne foi, au nom de cette raison d’Etat non dite mais toujours présente à leur esprit, ou pour simplement assouvir un pouvoir malsain sur les plus faibles.
Je récuse la seconde hypothèse. Mon expérience m’a appris que les fonctionnaires de cette nature, s’ils existent, ne représentent que des cas marginaux, regrettables mais non significatifs.
Il faut donc en conclure que ces agents de l’Etat, souvent formés dans les meilleures écoles et selon une tradition républicaine apparemment sans tache, sont convaincus de la justesse de leur position lorsqu’ils s’acharnent sur un individu présupposé fraudeur ou délinquant.
Et cela est si vrai que le débat ouvert sur la présence d’un avocat dans le cadre d’une garde à vue ou sur l’enregistrement des interrogatoires d’un inculpé, causent un tel émoi chez les intéressés, qu’on se demande encore s’il ne s’agit pas d’une injure au corps des fonctionnaires que de réserver une assistance à un individu ou de s’assurer du bon déroulement d’un interrogatoire.
Le principe selon lequel « la confiance n’exclut pas le contrôle » ne semble pas avoir cours chez nos fonctionnaires chargés de faire respecter les lois de la République.
A l’encontre de ce que beaucoup pensent, ce ne sont pas les lois qui sont mauvaises. Tout au plus pourraient-elles sans doute être perfectibles. En revanche, leur mauvaise application pose souvent un problème majeur qui discrédite notre société.
C’est encore plus visible dans les matières techniques qui nécessitent une grande spécialisation des fonctionnaires chargés de faire respecter la loi et la réglementation.
Ainsi en va-t-il en matière fiscale où peu de magistrats excellent et où existe une présomption quasi irréfragable de fraude à l’égard du contribuable contrôlé.
On est confondu de constater dans les aventures d’Henri Dumas, comment l’administration assume de ne pas transmettre les documents sollicités, comment elle assume de ne pas répondre aux injonctions de la Commission administrative des documents administratifs, comment elle se retranche derrière des arguties pour éviter de répondre en adversaire loyal à une interrogation autorisée par la loi : la transmission de pièces qui constitue dans une démocratie le b.a.-ba du caractère contradictoire d’un procès judiciaire, et comment elle assume de s’opposer, malgré les garanties accordées à ses agents sur le respect de leur droit à l’image, à l’enregistrement filmé d’un contrôle, assimilant cette simple revendication à une « opposition à contrôle » qui les autorise à taxer d’office !
On se retrouve ainsi dans le cadre d’un abus de droit le plus typique d’un régime autoritaire.
Mais peu importe, « circulez, il n’y a rien à voir ! » répond la Justice, assurée qu’elle est en son for intérieur que le peuple au nom duquel elle se prononce, est de son côté.
Car il ne saurait y avoir de loi pour les fraudeurs ou ceux qui, suspectés de fraude, doivent être coupables puisqu’il n’y a pas de fumée sans feu.
La violation de la loi par des agents de l’Etat est-elle punissable ? Sans doute. Encore faudrait-il que cette violation puisse être non seulement prouvée mais reconnue.
Et c’est là que les aventures d’Henri Dumas prennent tout leur relief.
Le voilà qui, blasé du peu de considération que les juridictions administratives font de son cas, croit pouvoir s’adresser à la justice pénale de droit commun en relevant toutes les incartades commises par tel ou tel fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. Mal lui en prend, ce n’est plus une injure, c’est un blasphème.
Peut-être se lance –t-il dans cette bataille sans avoir toutes les compétences requises à cet effet ? Sans doute. Il devrait dès lors jouir d’une plus grande attention des spécialistes auxquels il s’adresse qui doivent garantir les droits du plus faible. Et c’est le contraire qui se produit, la justice cherchant, comme souvent, à éviter la discussion par un artifice de procédure, tiré de l’irrecevabilité ou d’un vice de forme plutôt que d’ouvrir au plaideur isolé les voies susceptibles de le guider dans le labyrinthe juridictionnel où ses puissants adversaires cherchent à le perdre tout en respectant évidemment la procédure, garantie de la liberté individuelle.
Toutes les procédures pénales qu’il a engagées se sont soldées par un échec, et mieux, par sa propre condamnation pour avoir osé traduire un haut fonctionnaire devant une juridiction de son pays.
Le peuple ne réagit pas. Nos fonctionnaires sont réputés honnêtes et par conséquent, doivent être protégés. A l’encontre des politiques qui, réputés malhonnêtes, doivent être sanctionnés.
La comédie judicaire peut donc suivre son cours. Il y a peu de chance qu’elle soit interrompue par un sursaut populaire en faveur du respect des principes de liberté et d’égalité de traitement.
Le réflexe de protection des grands corps joue son rôle et l’administration paraît donc à l’abri de toute intrusion en son sein d’un souffle de liberté équivalent à un esprit de fronde.
C’est ainsi que les tyrans se croient toujours à l’abri des révolutions. On sait ce qu’il en est advenu et ce qu’il en advient encore. Même s’il y faut du temps.
Le sursaut viendra de l’extérieur.
La Communauté européenne a dû se doter d’une Cour de Justice et d’une Cour Européenne des droits de l’homme. Les Etats n’y sont traités que comme des plaideurs, ni plus ni moins qu’un plaideur ordinaire.
La France y est de plus en plus souvent condamnée. Ironie de l’histoire que le modèle des droits de l’homme subisse les foudres de ses pairs pour les violer impunément à l’intérieur de ses frontières ! Et ironie du sort que le rédacteur du Code Civil se fasse reprendre comme un délinquant qui ne respecte pas les lois qu’il a lui-même édictées.
C’est pourtant ce qui se passe au quotidien à Bruxelles, à La Haye et à Luxembourg.
Il faut du courage et de la persévérance pour ne pas abandonner la partie et aller jusqu’au bout des recours pour un jour espérer obtenir gain de cause.
C’est le fait de ceux qui ont la conviction de voir triompher la justice. C’est aussi le plus souvent le cas de ceux qui n’ont plus rien à perdre et qu’on placé dos au mur.
Ils n’ont alors plus qu’une alternative ; devenir anarchistes ou s’entêter dans le légalisme. Heureusement pour la société, Henri Dumas a choisi la deuxième voie.
Yves Marchand – Avocat au barreau de Paris