L’intelligence est mise en route par différents stimuli. L’un m’intéresse particulièrement. Il s’agit de l’imagination, sous sa forme la plus libre: « le rêve ». C’est un formidable « carburant » pour cet étrange moteur dont dispose l’homme: l’intelligence. Contrairement aux idées reçues l’intelligence est assez bien partagée, seules les grandes différences d’utilisation peuvent laisser croire à ceux qui l’utilisent pour « ceci » que ceux qui l’utilisent pour « cela » en seraient dépourvus, rien de tel.
Au commencement est donc le rêve. Si l’intelligence s’en empare, elle le transforme en stratégie puis en action. A la fin du cycle le rêve est abouti ou retourne à l’imaginaire.Dans les deux cas il délivre une émotion qui est proportionnelle aux efforts consentis. Ce peut être une grande joie aussi bien qu’une grande frustration. A l’échelle de l’individu les choses paraissent simples. Tel enfant rêve d’être un champion mondial de tennis, dix ou quinze ans plus tard il ne peut pas ignorer que son rêve est ou n’est pas devenu réalité. Il ne boudera sans doute pas son plaisir s’il réussit. S’il échoue, il gèrera sa frustration en détestant probablement le tennis et ceux qui y réussissent ou en se trouvant mille excuses.
La première complication tient au rêve lui-même. S’il s’empare d’un objectif qui contrairement au sport n’a pas de jauge reconnue, le doute envahira le résultat permettant toutes les dérives de la joie ou de la frustration.
La deuxième complication survient lorsque ce cycle est engagé par un groupe. Tout groupe d’hommes, dès sa formation, s’équipe d’une intelligence propre qui est sans doute au départ une résultante des intelligences individuelles composant le groupe. Mais, la plupart du temps cette intelligence collective ne tarde pas à prendre son indépendance par rapport aux intelligences individuelles du groupe jusqu’à s’en écarter souvent considérablement, sans pour autant perdre sa faculté de s’imposer à tous les membres du groupe. Cette intelligence collective peut s’emparer de rêves. Ils seront évidemment collectifs, feront l’objet de stratégie de groupe puis d’actions collectives, l’ensemble géré par l’intelligence collective indépendamment des individualités qui la compose.
Ainsi un groupe de onze personnes jouant au foot peut caresser le rêve d’être la meilleure équipe du monde. Que ce rêve aboutisse ou non, les actions et les émotions liées sont indépendantes de chaque personnalité, mais aucune ne peut y échapper. Là encore les complications sont exacerbées si le but n’a pas de jauge claire.
La troisième complication tient au fait que les rêves ne sont pas interchangeables. L’intelligence collective n’est pas adaptée à la résolution de rêves individuels et inversement. Pour reprendre l’exemple précédent, si l’intelligence collective d’une équipe de foot peut s’engager dans la recherche du rêve d’être championne du monde, elle ne peut pas solutionner les rêves individuels de ses membres tels que: être heureux, avoir un couple harmonieux, être riche, en bonne santé etc…
Là est tout le problème. En effet, lorsqu’il s’agit de 60 millions d’individus regroupés par le seul fait de leur appartenance territoriale, il est bien difficile de leur trouver un rêve collectif suffisamment séduisant pour les souder et engager utilement la mise en marche de leur intelligence collective. Ce pourrait être la défense de la nation, sa grandeur, son implication dans la compétition internationale, sa reconstruction, autant de rêves que ne peut caresser un groupe repu et qui ne se sent pas en danger.
C’est alors que nos faiseurs de rêves, nos hommes politiques si désireux d’être désirés, ont eu l’idée de proposer au groupe de régler, par le biais de l’intelligence collective, l’accès aux rêves individuels. C’est ainsi qu’ils ont convaincu les individus que l’intelligence du groupe pouvait leur permettre d’accéder par exemple au bonheur, à la santé, à la richesse et même à l’amour. Autant de rêves strictement personnels et donc accessibles uniquement par l’intelligence individuelle.
La frustration du groupe engendrée par l’échec inéluctable de ces propositions malhonnêtes engendre naturellement le désordre. La réplique tout aussi inéluctable est la répression, puis l’oppression et bientôt la terreur.
Ainsi le cycle est engagé. A partir de cette proposition malhonnête, les politiques seront face à un échec, à des rêves inassouvis.
Ceci est particulièrement vrai pour le rêve de tout un chacun: la richesse.
Cette dernière ne peut être qu’inégalement répartie. Le rêve commun consisterait à imaginer que tous en sont pourvus équitablement, évidemment au niveau supérieur. Les Inspecteurs Généraux des finances font croire que l’impôt, qui ne devrait être que la juste contrepartie d’une prestation collective nécessaire, pourrait être un outil de répartition plus équitable des richesses. Alors que la réalité plus prosaïque consiste pour eux à simplement disposer de la plus grande masse possible d’argent pour assoir leur pouvoir. L’échec naturel de ce rêve de répartition plus juste génère une frustration illimitée pour ceux qui ont cru leur rêve soluble par l’intelligence de la collectivité. Ils sont les premières victimes de ces propositions perverses.
Cette frustration à besoin d’un exutoire. Ce seront le riche et le désigné « fraudeur fiscal ». Ils sont actuellement jetés en pâture à la foule frustrée. Mais ce ne sera pas suffisant, ils devront être éradiqués par la force, voir par leur disparition physique.
Ainsi la boucle est bouclée, à proposer une solution par l’intermédiaire de l’intelligence collective pour un rêve individuel les responsables de cette proposition perverse vont d’abord créer la zizanie, puis la haine, puis le conflit et la disparition de ceux-là mêmes qui étaient des créateurs de richesses. In fine, le groupe se sera automutilé et finira ruiné, à l’exact contraire de la promesse faite. Moralité, il ne faut pas se tromper de rêve et d’intelligence. Chercher à concrétiser un rêve personnel à partir du moteur de l’intelligence collective revient à mettre de l’essence dans le réservoir d’un véhicule diesel. A continuer sur la route actuelle nous allons droit à la guerre civile des rêves, ce qui est un comble.
Cordialement. H. Dumas