Quand les juges sont au dessus des lois…

Si un juge vous a dans le pif pour X raisons, vous êtes sûr de gagner votre procès…

Au tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence jeudi dernier, un procès de trafic de drogue a tourné à l’affrontement entre le président du tribunal et les avocats. Un conflit d’une violence et d’une longueur totalement inédites. Récit.

Justice
Photo : ©P. Cluzeau

Ce jeudi 11 mars, au tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence à 9 heures, on juge un important dossier de stupéfiants. Des mules transportant de la cocaïne depuis le Brésil. Onze hommes et femmes sont prévenus. Un seul comparait détenu. Il y a aussi un détenu absent. Mais il a une bonne raison, la veille du procès, il a appris que ses deux filles et lui étaient positifs au test covid. Son avocat, Paul Sollacaro, a immédiatement prévenu le parquet et le président, Marc Rivet, en produisant le traçing covid et la fiche au nom de son client. Il leur a expliqué qu’il allait faire une demande de disjonction car son client, poursuivi pour trafic de stupéfiants et association de malfaiteurs en récidive, encourt 20 ans de prison. Et il prévient : vu la gravité de la peine encourue, si la disjonction est refusée, il ne pourra pas prendre la responsabilité de répondre à la place de son client. Malgré cet empêchement majeur en pleine crise sanitaire, le président fait comprendre à l’avocat qu’il n’est pas favorable à la disjonction, le parquet non plus.

A l’audience, l’avocat plaide sa demande et dépose des conclusions. Comme prévu, le parquet s’y oppose, pour un motif sans particulière gravité, il estime juste plus logique que tous les prévenus soient jugés ensemble. Les autres avocats dans la cause n’émettent aucune objection.  Le président se tourne vers ses assesseurs et, fait inhabituel, rend sa décision sur le siège. C’est non. Le cas de ce prévenu ne sera pas disjoint. « Je ne m’offusque pas je n’appelle pas le bâtonnier, dont acte Monsieur le président, mais je vais appeler mon client pour qu’il se présente car la peine encourue est très lourde et il proteste de son innocence » raconte Paul Sollacaro sur France 3.

« Les mains des services de police sur la robe de mon père »

« Vous n’appelez pas votre client et s’il vient je lui interdirai d’entrer dans la salle d’audience » rétorque brutalement le président. L’avocat insiste pour appeler, le président répète qu’il ne le laissera pas entrer avant de lancer  à Me Sollacaro :  « taisez-vous et sortez de la salle ! ». Mais l’avocat tient bon, la demande de disjonction n’est pas favorable à son client qui sera jugé seul plus tard, d’ici là, le procès peut se tenir, la solution qu’il propose va donc dans le sens de l’intérêt de la justice et du tribunal. « A ce moment-là je comprends que nous sommes dans une impasse, le procès n’est pas renvoyé, la disjonction n’est pas accordée, le prévenu atteint de la Covid ne peut pas être présent, il n’est pas en cavale, il ne peut simplement pas venir pour raison médicale… mais dans tous les cas on lui refuserait l’accès au Tribunal, s’il s’y présentait. On aurait pu imaginer une solution, dans le respect des mesures sanitaires, mais rien, on préférait le juger en son absence » confie Me Marylou Diamantara qui défend l’un des prévenus.

C’est alors que le président lance « Messieurs les policiers faites évacuer Monsieur Sollacaro ». Nous sommes dans une salle d’audience, le magistrat appelle l’avocat d’un prévenu dans un procès en cours « Monsieur », ce n’est pas anodin.  « Il m’appelle Monsieur Sollacaro, faire mettre les mains par les services de police sur la robe de mon père, il a nié ma qualité d’avocat » s’insurge Paul Sollacaro sur France 3. Son père, Antoine Sollacaro, ancien bâtonnier d’Ajaccio, a été assassiné le 16 octobre 2012. Il intervenait dans des dossiers aussi célèbres que l’affaire Colonna ou encore Société méditerranéenne de sécurité (SMS). Par la suite, son fils avait mis en cause le comportement de la police ainsi que de la JIRS (juridiction interrégionale spécialisée) de Marseille.  C’est peut-être par là qu’il faut chercher la raison du psychodrame qui est en train de se jouer en pleine salle d’audience car il se trouve que le magistrat Marc Rivet appartenait à cette juridiction. 

« Mon confrère est en panique »

« Je trouve détestable de dire qu’il aurait été virulent dans sa prise de parole, car ce n’est pas le cas. Le magistrat a perdu patience, mon confrère a continué d’argumenter calmement et en quelques secondes tout a basculé » se souvient l’avocate, toujours sous le choc. Les deux policiers d’audience bloquent Me Sollacaro dans un coin de la salle. Ils sont rapidement rejoints par plusieurs agents de la pénitentiaire qui ont redescendu le prévenu détenu dans sa cellule sur ordre du président et viennent prêter main forte à leurs collègues. « Le président ne répond plus, mon confrère est en panique, les policiers commencent à l’empoigner, les surveillants pénitentiaires sont cagoulés, c’est impressionnant » raconte Me Marylou Diamantara. C’est alors, et alors seulement selon ce témoin que Me Sollacaro crie au président qu’il n’est pas digne d’être magistrat. Me Marylou Diamantara tient à préciser « il n’y a eu aucun donné acte par le président d’un quelconque outrage durant l’audience ». Sa cliente, une jeune femme de 20 ans sans casier qui comparait libre, fait une crise de panique. « Avec une consoeur,  on se met devant la porte de la salle d’audience en demandant aux policiers d’arrêter, ils nous ont poussées, et dans la bousculade, j’ai déchiré ma robe. Il y a surtout cette image que je n’oublierai jamais, celle de mon confrère qui s’accrochait aux montants de la porte pour ne pas être expulsé ». Tous les avocats sortent de la salle et appellent leur bâtonnier. Tandis que les uns calment leur confrère, les autres rédigent un jeu de conclusion de donner acte, avec une demande de renvoi soutenue.

« J’ai peur de ce Monsieur »

Le président refuse les conclusions de donner acte,  ce qui est juridiquement impossible en théorie. Le bâtonnier d’Aix-en-Provence Philippe Bruzzo, qui vient d’arriver, reformule la demande de renvoi en invoquant le fait qu’il manque un prévenu et son conseil. Par ailleurs, un autre prévenu avait demandé en vain un avocat commis d’office. A la demande du président, un seul avocat plaide pour toute la défense. « Une consoeur prend la parole pour évoquer la note du président du Tribunal Judiciaire de Paris, Monsieur Jean-Michel Hayat, rappelant suite à un incident similaire à Paris en 2019 qu’expulser un avocat dans l’exercice de son métier est parfaitement illégal ». Le président rétorque, en ricanant, et en substance, que c’est pour ça qu’il n’est pas président du Tribunal judiciaire de Paris (NDLR : Jean-Michel Hayat est aujourd’hui premier président de la cour d’appel de Paris). Le substitut réclame une suspension. A la reprise, c’est le procureur de la république en personne qui vient requérir un renvoi car les débats ne peuvent plus se dérouler sereinement. Le président rejette la demande de renvoi, sur le siège. « Je ne comprends pas son refus, le parquet offrait une porte de sortie, de toute façon on ne pouvait pas juger en l’absence d’un prévenu, de son avocat et alors qu’un autre prévenu était privé de défenseur, on ne pouvait plus prendre l’audience, l’ambiance était délétère » précise Me Marylou Diamantara. La situation est d’autant plus inexplicable qu’il ne s’agit même pas d’un problème de délai, l’ordonnance de renvoi a été rendue en octobre 2020, il était possible de juger le dossier jusqu’en avril prochain.  « Ma cliente, qui a 20 ans et pas de casier pleure sur son banc, elle me dit « j’ai peur de ce monsieur » en désignant le juge. Je ne savais pas quoi lui répondre. C’est dramatique. Tous les avocats décident de quitter la salle. Nous refusons d’être complices d’un simulacre de procès dans lequel il manque des prévenus et des avocats ».

Il a expliqué aux prévenus que nous étions des traitres

L’après-midi, le procès reprend. Dans la salle il n’y a plus que le tribunal, le parquet, les prévenus et un journaliste de La Provence. Et puis le bâtonnier venu avec un membre du conseil de l’ordre président de la commission pénale. Le président commence son résumé des faits, puis il passe à l’interrogatoire des prévenus. « Ma cliente demande un avocat commis d’office, le président refuse. Malmené, le bâtonnier finit par quitter la salle » explique Me Marylou Diamantara. La situation devient de plus en plus extravagante. Les avocats sont tous en état de sidération. Pendant ce temps, le tribunal continue à juger comme si de rien n’était. En l’espace d’1h30, le président a interrogé les 10 prévenus, et à 16 heures il demande le réquisitoire. Le substitut réclame une nouvelle suspension. De son côté, le bâtonnier négocie avec le président de la juridiction et le procureur de la république. Tout le monde s’accorde sur la nécessité d’un renvoi et sur le fait que le président doit demander aux prévenus s’ils veulent un avocat commis d’office. Le président rejette une nouvelle fois la demande de envoi en invoquant l’intérêt de certains prévenus qui veulent être jugés aujourd’hui mais aussi l’organisation de la justice qui empêche de reporter le procès pour cause d’agenda surchargé. En revanche, il accepte la demande du bâtonnier de pouvoir commettre des avocats d’office.

« Il aurait pu faire une demande générale, il a choisi de faire venir chaque prévenu à la barre pour leur demander pourquoi ils voulaient un avocat… A cette occasion, il leur a expliqué que nous étions des traitres, que nous avions trahi notre serment de défense et notre robe », raconte Me Marylou Diamantara qui s’insurge :  « venir nous dire qu’on est de traitres alors qu’on ne veut pas être témoin de ce déni de justice ! Il ne s’agissait pas ici, de protéger un avocat, mais la démocratie et l’état de droit tout entier…». Le président suspend jusqu’au lendemain 13 heures pour permettre aux avocats commis d’office de prendre connaissance des 10 CD Roms qu’il demande que l’on remette au bâtonnier.

Le vendredi matin tous les avocats se réunissent à l’ordre pour décider de la voie à suivre. Vu le contexte délétère, le bâtonnier d’Aix-en-Provence décide de se désigner lui-même. C’est lui qui se rendra à l’audience, avec le bâtonnier de Nice en renfort. A la reprise de celle-ci, les deux bâtonniers expliquent qu’ils sont les avocats de tous les prévenus présents, mais pas de l’absent car il est jugé par défaut et ne peut donc avoir un avocat commis d’office. Cependant, le dossier fait plus de 3000 cotes, ils n’ont pas le temps d’en prendre connaissance, et notamment d’examiner les éventuels problèmes de conflits d’intérêts. Ils demandent donc le renvoi. Le procureur soutient leur demande. Laquelle est une nouvelle fois rejetée. Le bâtonnier ne peut plus rien faire, il quitte la salle.

« Ma cliente sort en larmes »

Le réquisitoire se déroule dans une salle gardée par des policiers en uniforme appelés en renfort. Motif ? Le président a ordonné le huis clos, les policiers ont l’ordre de ne laisser entrer personne. Ce qu’il se passe alors, ce sont les prévenus qui le racontent à leurs avocats bloqués dehors. « Ma cliente sort en larmes, elle croit en écoutant le parquet que c’est la peine qui vient d’être prononcée. On tente comme on peut d’expliquer à nos clients comment se défendre ». Le procès se termine donc dans une salle interdite d’accès aux avocats où des prévenus qui encourant jusqu’à 10 ans pour ceux qui sont là, 20 ans pour l’absent, sont seuls face à leurs juges.  Au terme du délibéré, le tribunal a prononcé des peines particulièrement basses. Excepté pour le prévenu absent qui se voit infliger 4 années d’emprisonnement délictuel et surtout un mandat d’arrêt.  « C’est une manière de dire : voyez, nous avons jugé vite et bien ce dossier et personne ne fera appel car les peines représentent la moitié de ce qui aurait pu être prononcé » commente un observateur. Me Diamantara, deux jours plus tard est encore sous le choc. « Il y a un trou béant dans ma robe » confie-t-elle, un trou qui témoigne que tout ceci n’est pas un mauvais rêve. « A l’annonce de la décision Me Paul Sollacaro s’est emporté et a adressé au président des termes virulents qui ont conduit ce magistrat à devoir faire usage des pouvoirs de police »note le procureur dans un communiqué publié vendredi.

communiqué du parquet
Communiqué du parquet

Le premier président de la cour d’appel s’est lui aussi fendu d’un communiqué pour signaler un « incident d’audience grave » et accuser l’avocat d’avoir proféré des « invectives et attaques personnelles virulentes ».

Communiqué cour d'appel
Communiqué de la cour d’appel

« Ces deux communiqués sont incompréhensibles, en particulier celui du procureur de la république qui nous a soutenus, en personne, et plusieurs fois à l’audience dans nos demandes successives de renvoi. Je note cependant qu’aucun des deux ne parle d’outrage mais évoque simplement des « propos virulents » dont ils n’ont pas été témoins personnellement », souligne l’avocate. Elle ne s’explique toujours pas ce qui a pu se passer. « J’ai rencontré ce magistrat quand il était juge d’instruction, il était remarquable. En janvier il est devenu président de chambre correctionnelle. Depuis, il a toujours été accessible et respectueux de la robe. Et soudain, il est devenu irrespectueux de tout ». Elle n’est pas la seule à penser ainsi. D’autres avocats dont le bâtonnier d’Aix-en-Provence lui-même confirment que c’est un homme intelligent, excellent juriste et grand magistrat. Personne ne comprend ce qui apparait comme un bras de fer. Voire un suicide professionnel. Le sentiment général sur place est celui d’un désastre judiciaire.

Un acte d’intimidation et de violence sur la personne d’un avocat

L’affaire a de loin dépassé les frontières régionales. La Conférence des bâtonniers, le CNB et le bâtonnier de Paris ont réagi, ainsi que de très nombreux barreaux et autres instances représentatives de la profession d’avocat.

Me Paul Sollacaro a porté plainte pour violences aggravées.

L’émotion dans la profession est grande. «C’est un acte d’intimidation et de violence sur la personne d’un avocat, doublé d’une violation consciente et délibérée des droits de la défense » relève Vincent Nioré, vice-bâtonnier élu du barreau de Paris et défenseur inlassable de ses confrères quand il était le délégué du bâtonnier aux perquisitions dans les cabinets. « Certes,  la quasi-totalité  des magistrats ne se conduit pas de cette façon. Mais il faut constater que ce type de grave incident a tendance à se répéter dans un contexte d’asphyxie de la justice et de tensions exacerbées entre les acteurs du monde judiciaire ». L’affaire est remontée jusqu’à ma Chancellerie. « J’ai demandé au directeur des services judiciaires du ministère de la Justice de prendre l’attache du Premier président de la cour d’appel d’Aix afin qu’il entend le président de l’audience en question » a confié le garde des sceaux Eric Dupond-Moretti au quotidien La Provence.

Cette affaire rappelle celle de 2019 au tribunal judiciaire de Paris, où une avocate avait été sortie de force par la police du cabinet d’un juge. Le vice-bâtonnier de Paris Basile Ader avait alors réagi très vivement, déclarant : « Il est impensable qu’on expulse un avocat alors qu’il est en train d’exercer son métier. C’est même un délit ! ». L’incident avait contraint le barreau de Paris et le tribunal à organiser des assises pour réfléchir à la manière d’améliorer les relations entre avocats et magistrats.

https://www.actu-juridique.fr/penal/aix-en-provence-messieurs-les-policiers-faites-evacuer-monsieur-sollacaro/

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