Au fil de mes lectures, je rencontre très souvent le mot : « Peuple ». Je crois comprendre, par exemple chez Bakounine ou aujourd’hui chez Rosanvallon, que ce mot servirait à désigner la masse des hommes indifférenciés, mais une masse naturellement d’une exceptionnelle qualité, douée de capacités intellectuelles et morales sans faille auxquelles il suffirait de laisser libre court pour que le monde soit parfait.
Jamais ce type de penseurs n’emploie le mot : « Masse ». Peut-être craignent-ils qu’à l’évocation de ce mot l’émotion soit différente ? Que s’associent naturellement à « Masse » les adjectifs d’abrutie, de lourde, d’aveugle, d’écrasante, d’angoissante, d’injuste, de cupide, de lâche, d’insouciante, de dangereuse et tant d’autres peu engageants.
Par ailleurs, ceux-là, qui utilisent à longueur de pages et de démonstrations le mot « Peuple », n’emploient pratiquement jamais le mot « Individu ».
L’affaire me trouble, j’ai du mal à imaginer que l’on puisse oublier que le peuple ou la masse sont évidemment exclusivement composés d’individus, sans lesquels ils n’existeraient pas.
Un groupe « Masse-peuple » ou « Peuple-masse » a-t-il une intelligence, une sensibilité, des projets, des émotions, lui appartenant en propre, tournés vers le bien ou vers le mal, vers la réussite ou vers l’échec, a-t-il en fait une identité propre ?
La réponse est évidemment non, sans quoi cela se saurait. Tel ou tel peuple ou masse pourrait être défini, répertorié, sa personnalité serait établie et stable.
Peut-on imaginer une intelligence cyclique, par exemple : Einstein aurait-il pu être intelligent dix ans, puis abruti dix ans, encore intelligent dix ans, puis de nouveau abruti les dix années suivantes ? Non bien sûr, il était intelligent, il l’est resté toute sa vie.
Or les masses, ou peuples, ont des destins historiquement cycliques, elles n’ont donc aucune personnalité propre, seulement des résonnances conjoncturelles.
Si le peuple ou la masse n’ont pas de personnalité, il est indéniable qu’ils existent.
Pour parler de ces ensembles d’hommes, définitivement je choisis le mot « Masse », ne serait-ce que pour essayer d’être objectif, de reconnaître leur réalité, leur force et leur faiblesse, pour en parler librement, sans convention préétablie.
Les rapports à la masse
La masse est une force, un poids, uniquement cela. Cette force, ce poids sont quelquefois utiles aux hommes, quelquefois néfastes aux mêmes hommes.
La masse peut être une alliée, comme elle peut être un oppresseur. Elle n’est jamais neutre par rapport aux individus qui la composent, là est toute la difficulté.
La masse ne pense pas, n’a pas d’intelligence propre, et pourtant elle agit.
En fait, elle suit les propositions de quelques-uns, ceux qui ont le pouvoir de la diriger. Ce pouvoir peut-être issu d’une organisation existante ou d’une organisation circonstancielle.
Nous arrivons à nos penseurs, à leur langage, à leurs mots. Tous sont parfaitement conscients que la masse n’a pas de personnalité, mais ils souhaitent la séduire pour utiliser sa force au service de leur idéal.
Les flatteurs ou « enfumeurs »
Ceux-là, de type Bakounine ou Rosanvallon, flattent la masse en lui laissant croire qu’elle aurait du génie. Que ce génie serait malheureusement entravé par ceux qui la dirigent, qu’il suffirait de les remplacer, par eux ou par des amis à eux, pour qu’alors la masse puisse jouir de son propre génie.
Après avoir ainsi flatté les individus qui composent la masse, ils espèrent pouvoir utiliser à leur profit la force qu’elle représente.
Le point d’achoppement de leur système, quand bien même leurs intentions seraient louables, est que leur flatterie de base leur impose la loi intellectuelle de la masse, puisqu’ils s’y réfèrent comme étant la vérité. Or, la masse n’ayant aucune intelligence naturelle, ils se retrouvent complètement dépourvus lorsque cette dernière dérape intellectuellement, ce qui est inévitable.
En privilégiant la masse sur l’individu, certains hommes prennent le pouvoir qui permet de conduire les masses, mais c’est pour verser avec elles dans le fossé. C’est actuellement le cas de tous nos hommes politiques, toutes tendances confondues. C’est donc le fossé qui nous attend, avec probablement beaucoup de blessés graves à venir.
Les hommes responsables
Ceux-là font la différence entre la masse et les individus qui la composent. Ils acceptent l’idée de la masse, mais ils considèrent qu’elle doit être cantonnée à l’usage de la force groupée et exclusivement en cas de nécessité vitale.
Ils donnent toute sa grandeur à l’idée d‘individu.
Le premier qui a défriché ce chemin est le Christ pour qui Dieu est en chaque homme, le rendant ainsi responsable de son destin, l’arrachant au statut d’esclave de la masse qui était le sien avant son arrivée. On se demande comment, avec un objectif aussi clair, l’église a pu atteindre les déviances qu’elle a atteintes, heureusement aujourd’hui disparues.
L’homme politique honnête doit rechercher comment permettre à chacun de s’extraire de la masse pour qu’il profite de sa propre personnalité, de sa propre vie.
Cela commence par permettre à chacun de se construire matériellement. L’outil s’appelle la propriété privée, qui doit être inviolable.
On en est fort loin, convenons-en.
J’imagine que la scène politique de notre pays, la masse qui nous inclut, vous apparait. En ce qui me concerne, elle s’accompagne d’un effroi total. Oui, nous sommes entre les mains d’aigrefins qui ont décidé de nous maintenir de force dans la masse pour leur propre confort. Nous sommes leurs esclaves.
La masse n’offre que deux perspectives raisonnables : l’utilisation de la force qu’elle procure — donc faire la guerre — ou l’idée de pouvoir la quitter par la récompense liée à son travail et à ses compétences.
Tout le reste n’est que chimère et enfumage.
Merci, après avoir lu ce billet, de regarder une photo de Hollande et de Sapin. Ont-ils l’air honnêtes ?… Je ne vous le fais pas dire.
Bien cordialement. H. Dumas