Le montant de la dette publique ne serait pas un problème

Selon certains économistes, l’augmentation du montant de la dette publique ne serait pas un problème en soi et la meilleure preuve en est le Japon dont la dette culmine à 260% du PIB.

Alors, effectivement, à presque 120%, nous sommes encore très loin de ce niveau mais il faut quand préciser plusieurs points :

-la France a emprunté 1 Md€ par jour en 2020,

-la dette s’est littéralement emballée pour passer de 96,5% à 115,6% en moins d’un an,

-elle s’établira probablement à 130% en fin d’année 2021 puisque le troisième confinement va provoquer une aggravation estimée de 22 Md€ du déficit (entre les aides versées estimées à 11 Md€ et les pertes de recettes fiscales et sociales) !

Les partisans de la MMT (Modern Monetary Theory), qui n’a rien de moderne puisqu’il s’agit essentiellement de faire tourner les rotatives de l’impression monétaire, prétendent qu’il n’y aurait aucun problème quant au montant de la dette et à l’émission monétaire tant qu’il n’y a pas de déclenchement de l’inflation.

C’est une vision pour le moins audacieuse dans la mesure où il est très difficile d’anticiper des mouvements d’inflation ou d’hyperinflation avant qu’ils ne se produisent ; avec néanmoins la certitude que l’émission monétaire massive amène toujours, à un moment ou à un autre, l’inflation, ou pire l’hyperinflation, qui va ruiner les populations !

Alors, oui, on peut affirmer que le montant de la dette publique n’est pas un problème mais il faut pour cela satisfaire à cinq conditions :

  • Que le service de la dette soit pratiquement nul ou du moins très faible,
  • Que cette dette soit intégralement financée par les ressortissants du pays.
  • Que le PIB progresse, au minimum, au même rythme que la dette.
  • Qu’il n’y ait pas de pression à la hausse des salaires,
  • Que la balance des paiements soit excédentaire

I-Que le service de la dette soit très faible.

Pour une dette actuelle de 2.650 Md€, un taux de 4% signifierait une charge d’intérêts annuelle de 106 Md€. Quand on sait que les recettes fiscales de l’Etat sont de 250 Md€, on comprend très vite que presque la moitié des recettes fiscales seraient alors absorbées par les intérêts à payer sur la dette.

Une augmentation des taux d’intérêts signifierait donc un emballement exponentiel de la dette publique qui deviendrait incontrôlable avec pour corollaire une asphyxie du pays car, bien évidemment, aucune fiscalité ne serait de nature à stopper ce processus.

Ne resterait que le recours à la planche à billets ; c’est à dire à la monétisation de la dette et l’assurance d’une hyperinflation à brève échéance. C’est ce qu’il s’est passé en 1923 pendant la république de Weimar ou plus récemment en Argentine sous la présidence de Mme Kirchner.

Les taux doivent donc rester à un montant très faible ; ce qui est le cas actuellement puisqu’ils sont presque nuls du fait du soutien de la banque centrale qui fixe les taux par le biais d’une émission monétaire massive. Cette abondance de monnaie constitue d’ailleurs la principale explication au fait que la France n’ait pas de mal à placer sa dette ; ce qui contredit un peu la vision angélique et rassurante de Bruno Le Maire quant à la véritable qualité de la « signature de la France » !

Néanmoins, cette situation fait l’impasse sur une question non résolue. A un moment ou à un autre il faudra quand même rembourser la dette en principal et il faudra alors bien prendre cet argent quelque part ; sauf à continuer à emprunter pour rembourser … et envisager de faire progresser la dette jusqu’à l’infini !

Bien que Natixis nous dise que l’émission monétaire n’a pas d’importance puisque la créance de la BCE sur les Etats va rester immobilisée éternellement (ce qui revient à la neutraliser), il n’est pas envisageable que la BCE rachète constamment la dette émise par la France.

Nous aurons besoin d’emprunter 260 milliards d’€ en 2021, et encore sensiblement la même chose en 2022 et probablement encore autant en 2023. Or, le bilan de la BCE (qui atteint désormais 7.200 Md€) ne peut pas croître à l’infini. Cela mettrait l’€ en danger et les pays du nord vertueux ne vont pas accepter de faire des efforts de gestion pour que nous puissions, de notre côté, dépenser à tout va !

En fait, la limite à cette pratique est la perte de confiance des investisseurs et/ou des tensions sur les marchés obligataires avec, pour résultat, des tensions sur les taux !

C’est ce qui s’est passé lors de la crise de la dette grecque (2012-2015). Le taux des emprunts à 10 ans est monté à 40% l’an et la Grèce a fait défaut. Il a fallu un plan de sauvetage de l’Union Européenne pour stopper le processus qui aurait pu conduire à la désintégration de la zone € et surtout à la ruine complète de la Grèce.

Prétendre que l’on peut impunément augmenter la dette indéfiniment, c’est nier les méfaits de l’émission monétaire massive et prendre un risque futur avec les taux d’intérêts en expliquant que l’argent imprimé par la BCE, qui ne sort de nulle part, a la même valeur que l’argent résultant de l’activité économique et de la thésaurisation.

II- Que cette dette soit intégralement financée par les ressortissants du pays.

En effet, il faut immobiliser l’épargne de la population dans la dette publique de telle sorte que la création supplémentaire de monnaie soit thésaurisée et non mise en circulation ; comme c’est le cas au Japon.

Le Japon dispose d’un patrimoine domestique de 28 000 Mds US$ d’actifs financiers (600% du PIB), détenus par les ménages et entreprises privées et investis en priorité au Japon.

Cela a pour résultat de ne pas faire sortir la monnaie (JP¥) du pays. Elle est recyclée dans le circuit économique national avec pour résultat de ne pas provoquer de tension sur les marchés financiers et les taux nuls ne provoquent pas de fuite des capitaux en raison d’un fort sentiment de nationalisme économique.

Mais d’une part ce patriotisme n’existe ni en France ni dans l’Union Européenne et d’autre part ce schéma n’est pas du tout celui de la France car, bien que Bercy ne divulgue pas le détail des détenteurs de la dette française, on sait que celle-ci est détenue à 65% par des créanciers étrangers.

On ne pourra donc pas facilement les spolier sans porter atteinte gravement, voire définitivement, au crédit d’un pays qui était encore classé AAA au rating des agences de notation il y a 12 ans …même si les petits hommes gris de l’Etat ont trouvé le moyen de dissuader l’épargne des français d’aller ailleurs que dans les poches de l’Etat en pénalisant les marchés boursiers, en interdisant les fonds de pension et en obligeant les banques et compagnies d’assurance à souscrire en priorité de la dette publique notamment par le biais de l’assurance vie.

 III-Que le PIB progresse, au minimum, au même rythme que la dette.

Dans le cas d’une croissance économique supérieure à la progression de la dette, la part de la dette rapportée au PIB reste stable voire même diminue. Il n’y a alors, en principe, pas de tension sur les marchés.

Le problème est que, même avant le Covid, la dette française progressait mécaniquement et inexorablement trois fois plus vite que le PIB (En 2019, le déficit était à 3,1% avec une croissance de 1.2%). En 2020, la France a enregistré une très forte récession de l’ordre de 8,2% (officiellement) ramenant le PIB de 2.500 à 2.275 Md€ pendant que le déficit public s’établissait à 9,2% (-211Md€). En 2021, la croissance de 5,5% annoncée par Bruno Le Maire apparait irréaliste et va probablement laisser place à une nouvelle récession estimée à 8%.

Avec pour base le PIB de 2020 déjà amputé de 8.2%, cette nouvelle récession va faire tomber le PIB à 2.100 Md€ avec une dette qui va culminer à 2.750 Md€ fin 2021 (soit 130% du PIB) !

Un PIB qui baisse tandis que la dette monte de plus en plus vite … sans espoir de pouvoir faire machine arrière ; ce sont les signes précurseurs d’une chute inexorable. La dette est hors de contrôle et la récession accroit encore la vitesse d’augmentation de cette dette !

IV- Qu’il y ait une déformation du partage des revenus au détriment des salariés

En l’absence d’augmentation des salaires, il n’y a pas de pression inflationniste du fait d’une augmentation de la demande. Il n’y a donc pas de risque d’augmentation des prix.

En effet, un mouvement inflationniste ne pourrait qu’avoir un effet sur les taux d’intérêts en général et notamment ceux auxquels l’Etat emprunte.

En outre, la prévisible forte augmentation du chômage, sauf à pouvoir renouveler  encore une fois un plan de relance de 160 Md€ (dont le principal effet est de masquer temporairement la dégradation générale de la situation économique), ne plaide pas pour une pression à la hausse sur le niveau des salaires.

Reste néanmoins posée la question du cout colossal, à terme, de l’indemnisation des personnes qui vont se retrouver au chômage et qui ne pourront pas retrouver d’emploi.

 V-Que la balance des paiements soit excédentaire

C’est le cas du Japon qui reste un pays très fortement exportateur même s’il a connu une forte chute en 2020. Il n’a donc aucun problème pour acquérir les devises (US$ ou € dont il est un gros détenteur), nécessaires à ses importations. Il n’y a donc pas de sorties de capitaux et pas de tension sur le marché des changes qui pourrait amener à une dégradation du cours du JPY et une dévaluation.

Ce n’est pas du tout la situation de la France puisque sa balance commerciale, (solde entre les exportations et importations de biens), est chroniquement déficitaire depuis 2004. En 2019, ce déficit, qui atteignait 59 Md€ s’est même aggravé en 2020, à 65,2 Md€. Enfin, depuis 1980, date à laquelle nos hauts fonctionnaires ont estimé que notre économique devait s’orienter vers une économique de services, la part de l’industrie dans le PIB a reculé de 10 points, s’établissant à 13,4% en 2018 ; ce qui nous laisse peu de chances d’une amélioration à terme des exportations et partant de la balance commerciale.

En fait, il est même probable que sans l’€, nous n’aurions pas pu contenir les sorties de capitaux sans provoquer de graves tensions sur le marché des changes, plusieurs dévaluations et une réduction sensible du niveau général de vie.

En conclusion :

On s’aperçoit très vite que le montant de la dette peut ne pas être un problème mais qu’il faut pour cela des conditions très précises que la France est … très loin de remplir.

En fait, en France, le montant de la dette n’est tellement pas un problème qu’une centaine d’économistes avait appelé à l’annulation de la dette Covid !

Coincée entre une augmentation incontrôlée de sa dette publique et une récession dont les effets sont pour l’instant masqués par l’émission monétaire, la France présente tous les signes d’une économie en déclin avec une hausse vertigineuse des déficits publics que rien ne peut plus enrayer. Or, on sait qu’imprimer en masse de la monnaie n’a jamais résolu les problèmes économiques structurels d’un pays. Elle les masque temporairement avant de les aggraver !

John Law avait compris, dès 1710, que la monnaie n’est rien de plus qu’un moyen d’échange et qu’elle ne constitue donc pas une richesse en elle-même ; laquelle dépend avant tout du commerce et de l’industrie.

Augmenter la dette sans limite n’a donc aucun sens ; car la dette excessive est un piège dont on se sort difficilement et généralement douloureusement.

Bien cordialement à tous !

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A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

3 réflexions sur « Le montant de la dette publique ne serait pas un problème »

  1. « Cela mettrait l’€ en danger et les pays du nord vertueux ne vont pas accepter de faire des efforts de gestion pour que nous puissions, de notre côté, dépenser à tout va ! »

    A peu près de votre avis sur tout Monsieur Philos mais je ne sais pas quels sont les pays du Nord vertueux :

    La Norvège et l’Islande ne font pas partie de la CEE, la Grande Bretagne ne fait plus partie de la CEE ; la Suède et le Danemark n’ont pas l’Euro comme monnaie, ni les pays de l’Est ; la Belgique est pourrie de dettes comme la France ; il reste la Finlande terre de froid avec ses 5,5 millions d’habitants qui n’est ni une puissance politique ou économique, le Luxembourg ses forêts, ses banques et ses 600.000 habitants, l’Autriche et ses 8,8 millions d’habitants pas si vertueuse que ça (faillite de la Carinthie et de la banque Hypo Alpe Adria en 2016), la Hollande qui prospère sur le trafic de drogue et l’Allemagne.

    L’Allemagne venons-y : la grande majorité des Allemands ne sont pas propriétaires de leur logement, le salaire minimum n’en parlons pas, la Deutsche Bank est pourrie de dettes, les voitures allemandes ne sont pas si allemandes qu’on le pense : Volkswagen : acier fabriqué en France par Arcelor, moteurs fabriqués en Hongrie. Merkel et son parti : en mauvaise posture pour les élections en septembre, les écolos risquent forts de l’emporter et de ruiner l’industrie automobile par leur dogmatisme, l’Allemagne sera donc de moins en moins en position de force pour donner des leçons de vertu économique à la France.

    Je crois beaucoup plus que le système économique européen flanchera avec une remontée des taux aux Etats-Unis entrainant une fuite des capitaux et une chute de l’Euro.

    Souvenez-vous : 1980,Ronald Reagan, Paul Volker, les taux à 20%, le Dollar à 10 Francs, 1981-1982, Mitterand, Mauroy, Delors, les dévaluations, le contrôle des capitaux, le carnet de change limité à 2000 francs.

    La seule chose cyniquement positive : le coronavirus atteint principalement des improductifs, c’est-à-dire les vieillards et les gens plus jeunes en mauvaise santé, s’ils décèdent cela fera faire des économies à la Sécu. Donc moins on vaccine et en France on vaccine peu, mieux c’est pour l’économie. Et ne me dites pas qu’il faut sauver des vies avec 230.000 avortements par an et la future loi Romero sur l’euthanasie.

    1. Vos observations sont justifiées car finalement nul ne sait ce qu’il va se passer.
      C’est certain, il va y avoir une remontée des taux dont l’origine sera très probablement les USA.
      Mais, ce n’est même pas sur car le bilan de la FED c’est 30% du PIB US tandis que le bilan de la BCE c’est 50% du PIB de l’UE !
      Les pays du nord, oui ce sont ceux que vous avez cités et vous pouvez ajouter de facto le Danemark et la Suède qui ont gardé leur monnaie mais sont en fait dans l’€ (taux de change fixe).
      En outre, quand on parle de zone €, il faut aussi envisager la zone économique et de facto plusieurs pays de l’Est en font partie (Rep Tchèque, Slovénie, …) parce qu’ils sont en partie les usines de l’Allemagne qui sous-traite chez eux pour réduire les couts de fabrication.
      L’Allemagne est la puissance dominante en Europe même si on peut penser qu’elle est aussi en déclin. Son économie est basée sur l’exportation industrielle tandis que celle de la France est basée sur la dette (autrement dit l’argent des autres) et ça, ça n’est pas tenable.
      La Deutsche Bank est une banque privée, elle a de gros problèmes, mais les banques françaises (Société Générale, Banque postale, BPCE, Crédit Agricole) ne vont pas beaucoup mieux … Ne parlons pas des banques Italiennes ou certaines banques espagnoles ….
      Tout ça ressemble à un château de cartes, bien fragile.
      Il va y avoir une « normalisation » (ou une remise au pas) à un moment ou un autre … sujet d’un article à venir !
      Bien cordialement.

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