Cette blague de footeux pourrait bien s’appliquer à l’économie de la zone Euro.
J’ai eu une conversation des plus intéressantes avec un économiste allemand ce week-end.
Elle m’a confortée dans ma conviction que le pays où investir dans la zone Euro est bien l’Allemagne.
Nous étions d’accord sur l’analyse:
- de l’impact du COVID-19 avec différents scenarii
- de l’éclatement de l’Euro
- des « tonnes » de monnaie électronique qui vont être créées par le BCE, pour soutenir les entreprises et (surtout ?) la haute finance.
Toutefois, nous n’étions pas d’accord sur les risques et le timing.
Cette divergence reflétait en fait les forces relatives des deux côtés du Rhin.
Et mon interlocuteur a été convaincant.
Impact du COVID-19 :
En 2020 :
Son analyse macro (qui correspond à mon vécu micro d’entrepreneur) est que
- 1/3 des sociétés vont prospérer grâce aux COVID (en particulier tout ce qui a trait aux réseaux de télécoms, au télétravail…)
- 1/3 sera « business as usual ». Creux actuel, mais aides de l’état et reprise
- 1/3 des entreprises vont être dans des situations très difficiles, voire désespérées.
Pour lui, le sort des sociétés les plus faibles du dernier tiers est scellé.
Le gouvernement allemand les aidera en façade, mais sans plus. En particulier, tout le secteur du tourisme et de la restauration va être sinistré.
Il soutiendra les autres sociétés; celles qui pourront repayer les aides accordées. Le gouvernement distribuera le moins possible d’argent gratuit, même au prix de chômage et de faillites.
Comme l’économie allemande était en surchauffe avant la crise, l’impact serait acceptable; voire bénéfique sur l’inflation
Mon interlocuteur table aussi sur un rattrapage fort sur le second semestre, car, les ménages n’ayant pas pris de vacances, auront de l’argent à dépenser.
En parallèle, le confinement moins strict en Allemagne est bien actuellement bien moins impactant, si bien que les sociétés allemandes en sortiront moins affaiblies. ( L’avenir dira qui aura eu raison, sur le plan sanitaire.)
A partir de la même analyse, la capacité de réaction en France est plus limitée, car:
- Etat en déficit chronique et balance commerciale déficitaire
- Poids du tourisme et de la restauration dans l’économie
- Situation économique déjà tendue avant la crise.
- Crainte des gilets jaunes…
Allemagne 1 : France 0
Après la crise sanitaire :
Le COVID-19 va être le déclencheur d’une ré-industrialisation massive en Europe; en particulier au détriment de la Chine.
Elle avait déjà un peu commencé, mais elle va s’accélérer.
En effet, les chinois ont fortement mécanisé/automatisé leurs productions ces dernières années (grâce à des machines allemandes en particulier !).
Les salariés nécessaires sont moins nombreux en proportion et avec des salaires qui augmentent fortement avec la montée en qualification. Ce faisant, la structure de coûts des produits chinois est de plus en plus fixe et le différentiel avec l’Europe de plus en plus faible.
Si l’on y rajoute les coûts cachés du « just-in-time » mondialisés qui deviennent maintenant cruellement apparents, le différentiel de prix ne sera plus justifiable dans bien des secteurs industriels.
Les grands donneurs d’ordre européens vont vouloir retrouver de la proximité. Les sous-traitants vont relocaliser.
(Ajoutons-z-y un soupçon de sentiment anti-chinois, pour couronner le tout, car c’est quand même de chez eux que viennent les problèmes et qu’il va bien falloir un jour contrer leur montée en puissance anti-démocratique.)
L’Allemagne est mieux placée que la France pour en profiter, du fait de sa base industrielle plus forte. Nombre de grands donneurs d’ordre sont en Allemagne.
Les entreprises françaises feraient bien de se tourner vers l’export en Allemagne ; surtout les PME du très grand est, dans des départements à faibles coûts structurels. (ex : Vosges, Haute-Saône…)
But de l’Allemagne, suivi d’une contre français.
Allemagne 2 : France 1
Et le poids des dettes étatiques qui vont exploser en 2020 ?
C’est ici que la distinction principale se fait entre la France et l’Allemagne.
L’état des finances allemandes et la santé de l’économie outre-Rhin sont tels que l’Allemagne peut s’endetter et espérer rembourser normalement ces dettes.
L’excédent commercial de l’Allemagne a régulièrement été entre 100 et 400 milliards d’euros par an, sur les dix dernières années.
Rembourser 1000 milliards d’Euros prendrait 10 ou 15 ans en Allemagne.
A contrario, la France ne pourra jamais rembourser des centaines de milliards de dettes supplémentaires en plus des 2000 milliards actuels.
Et c’est aussi pourquoi l’Allemagne n’acceptera jamais les Eurobonds et risquer de se retrouver dans la même situation.
D’une part, ce serait inconstitutionnel. (Mme Merkel avait fait graver ça dans le marbre, il y a quelques années. Trop forte !) Il faudrait un vote du parlement à la majorité des deux tiers.
D’autre part, les allemands de l’Est ont connu la misère économique et n’accepteront pas de risquer d’y retourner pour les beaux yeux du reste de l’Europe.
Même si cela était, d’autres pays tels les Pays-Bas s’y opposeront aussi.
Dans le cas le plus surprenant où, malgré tout, cela se mettrait en place, alors les parlements des pays du nord auraient capitulé sous une pression extérieure incompréhensible et non-démocratique.
C’est alors qu’il faudra se faire de gros soucis.
Allemagne 3 : France 1
Eclatement de l’Euro :
Pour moi, l’Euro est voué à l’échec en tant que devise commune.
Aucune devise ne peut résister à être écartelée entre différentes politiques nationales contradictoires. Pour la survie de l’Euro, une harmonisation politique est nécessaire. Mais les peuples n’en veulent pas.
L’Euro est donc condamné.
A quelle échéance ?
Pour mon interlocuteur, ce ne sera pas avant plusieurs années, sauf crise de la dette souveraine.
La raison en est que les gouvernements ne bougeront pas avant que les signes n’en deviennent évidents pour les populations.
Les populations ne comprendraient pas que l’on déconstruise l’édifice, sans risque apparent d’effondrement. Les politiques ne voudront pas rester à la postérité pour cela. Ils préféreront apparaître comme les sauveurs au milieu de la tempête.
Pour mon interlocuteur, un signal d’alarme serait une inflation à 4 – 5% et en hausse rapide.
Sous quelle forme les nouvelles devises?
Difficile à prédire. Une palette de scénarii possibles depuis deux devises « nord « et « sud », jusqu’au retour aux devises nationales individuelles.
L’Euro pourrait même survivre, mais comme devise institutionnelle de référence auxquelles les devises nationales seraient rattachées, avec des mécanismes de flexibilité à définir: un retour à l’ECU.
La France et l’Allemagne dans la même zone monétaire ?
Cela supposerait un changement majeur de politique économique de la France ; en particulier, un retour à l’équilibre des comptes étatiques ; donc à une réduction des services publics aux fonctions régaliennes. En d’autres termes, une politique assumée d’austérité.
Cela ne pourra être accepté par le peuple français, que sous la pression des événements, mais il sera alors trop tard pour cela.
Ce n’est pas non plus l’intérêt de la France que d’avoir une devise forte. Le pays aura bien besoin d’une monnaie dévaluée pour soutenir son industrie.
Ma conviction est que l’Allemagne et la France ne pourront pas être dans la même zone monétaire. Il faudra 10 ans avant qu’une harmonisation des performances économiques rende cela possible.
Qui sortira de l’Euro en premier, les pays du « Nord » ou du « Sud » ?
L’Allemagne n’a pas intérêt à apparaître comme « le rat qui quitte le navire ».
Sa position historique rend la chose délicate. « Casser de l’Euro » ne doit pas déboucher sur « casser l’Europe ». L’Allemagne aurait trop à perdre.
Si l’Allemagne devait sortir en premier, ce serait sur demande expresse des autres pays. L’Allemagne leur « rendrait alors service pour l’unité européenne».
De plus, les pays du « Sud » auraient intérêt à sortir en premier, car ils pourraient fixer les conditions de remboursement de leurs dettes souveraines dans leur nouvelle monnaie dévaluée. Les créditeurs n’auraient que leurs yeux pour pleurer.
Que la devise de l’Allemagne devienne le nouveau Deutschmark ou un Euro réduit, la situation économique de l’Allemagne fait que cette devise sera beaucoup moins dévaluée que son homologue français.
Pour un investisseur français, être investi en Allemagne, c’est un « hedge » des plus attractifs.
Même si la zone Euro devait aller mal, le pouvoir d’achat d’un résident français serait préservé par ses revenus allemands.
Et si je me trompe, le pays reste parmi les plus performants au monde.
Allemagne 4 : France 1
Coup de sifflet final.
Debriefing du match / Conclusion
Pour ma part, j’ai fait le choix de rester en Europe (pour des contraintes familiales: des parents âgés et dépendants).
Sans ces contraintes, j’irais vivre ailleurs, dans un pays qui cumule.
- culture proche
- système éducatif pour les enfants
- qualité du système médical
- petit pays en marge des grands enjeux stratégiques.
Je partage l’analyse de Charles Dereeper sur la volonté d’une « élite » de dominer le monde.
La période est à se mettre à l’abri de la marée montante.
Voir mon article sur les cycles générationnels.
En attendant, je cherche à tirer le meilleur parti de la situation.
Voilà pourquoi investir en Allemagne me semble le pari gagant.
Pour un français, investir à l’étranger demande un peu plus de travail et surtout d’audace, mais dans le cas de l’Allemagne:
- Le pays est proche. On peut s’y rendre régulièrement pour s’assurer de la bonne marche de ses affaires.
- La culture est proche.
- Le droit des sociétés n’est pas très différent.
- Avec un respect viscéral de la propriété privée, qui amène à une certaine modération fiscale.
- Le pays est globalement francophile.
- Les investissements peuvent être menées sans la barrière de la langue. Nombre d’interlocuteurs francophones existent, en particulier dans la région de Kehl: avocats, notaires, banquiers, assureurs… (Pour une gestion complexe au quotidien, cela ne sera pas vrai.)
Pour désamorcer des commentaires sur mon « admiration aveugle » pour l’Allemagne, ce n’est pas une question de supériorité, mais d’efficacité.
Tout est loin d’être parfait en Allemagne. La culture y est frustre, comparé à la France ou à l’Italie.
Mais quand on parle économie, c’est un pays qui a su repartir de zéro deux fois en 100 ans pour revenir au premier plan.
J’ai plutôt confiance pour y investir mon argent dans cette phase de crise latente.