Le pic de l’exil n’est pas encore atteint!
Depuis des années des parlementaires, tels que Charles de Courson, Philippe Marini ou Alain Lambert et Jean Arthuis tout autant que Jérôme Cahuzac (lorsqu’il était dans l’opposition, en charge de la présidence de la commission des Finances de l’Assemblée Nationale) ont tenté d’obtenir des chiffres exacts quant à l’impact de l’exil fiscal sur nos finances publiques.
Bien souvent, les réponses ont été parcellaires voire lacunaires au grand dam des élus communistes que sont le sénateur Pierre Laurent et le vif député André Chassaigne toujours préoccupés par l’ISF et les «riches».
Des derniers chiffres connus, il ressort que l’année 2011 a été charnière ce qui montre que la pression fiscale accrue de la dernière année du mandat de Nicolas Sarkozy a eu un effet immédiat: tant sur le nombre d’expatriations que sur le plan électoral. Certains regretteront donc que la Ministre du Budget d’alors n’ait pas versé un avis politique argumenté au cœur du dossier technique qu’elle devait traiter. Vaste sujet.
Un point de repère est acquis: l’année 2013 a vu 3744 expatriations en provenance de contribuables dotés d’un revenu fiscal de référence excédant 100.000 Euros. Soit une augmentation de 40% par rapport à l’année 2012. Les Français ont donc l’épiderme sensible en matière fiscale comme l’a appris à ses dépens le toujours surprenant Pierre Moscovici dont le socle de certitudes a clairement du mal à être validé par les lois de l’économie. Mais, hic et nunc, doit-on encore parler de certitudes? Triste sujet.
Le Président Kennedy avait déclaré pour sa part qu’il fallait cesser de se demander ce que son pays pouvait faire pour soi et au contraire se demander ce que l’on pouvait faire pour lui. Sur un plan fiscal, voilà une interrogation digne de réflexions posées. Grand et beau sujet.
Si la moyenne des revenus des expatriés fiscaux s’élève à 265.832 Euros par an, les assujettis à l’Impôt de Solidarité sur la Fortune qui quittent notre pays ( environ 750 par an ) détiennent un patrimoine moyen de plus de 6 millions d’Euros.
En matière d’ISF, les chiffres avancés sur le rendement de cet impôt sont à prendre avec précaution. Depuis la crise de 2008 il y a eu une accélération comparative des prix de l’immobilier ( valeur refuge ) dans les grandes villes et surtout à Paris. A partir du moment où le prix moyen du mètre carré est au-delà de 7000 Euros, bien des ménages se sont trouvés redevables de l’ISF du fait de la valeur de leur seule résidence principale, par-delà l’abattement lié à celle-ci.
Dès lors, au plan d’ensemble, le départ de grandes fortunes est difficile à retracer sauf à prendre ses sources dans le registre de la vie des affaires. Qui ne se souvient de la tentation belge du Président Bernard Arnault? Qui ne voit où résident les familles Darty, Zacharias ( ex-Vinci ), Defforey ( Carrefour ) Wertheimer ( Chanel ), etc ou nos grands sportifs avec une mention particulière aux joueurs de tennis?
Tout ceci relève de calculs individuels qui ont leur degré de légitimité et de légalité – parfois ondulante – qui sont éloignés de la logique de personnalités comme Pierre-Emmanuel Taittinger qui s’estiment redevables face à la nation qui les ont vues s’épanouir pendant tant d’années. La France me coûte mais je dois à la France aurait pu être une maxime, déjà du temps de La Rochefoucauld.
Le Président Kennedy avait déclaré pour sa part qu’il fallait cesser de se demander ce que son pays pouvait faire pour soi et au contraire se demander ce que l’on pouvait faire pour lui. Sur un plan fiscal, voilà une interrogation digne de réflexions posées. Grand et beau sujet.
Une phrase court dans le pays comme une rumeur : « Si vous avez de l’argent et de l’âge, partez pour Bruxelles. Si vous êtes entreprenant et jeune, partez pour Londres».
Sur le plan humain, on ne peut que constater que le pic de l’exil des jeunes n’est pas atteint.
Patrick a réussi une école de commerce, il a 26 ans: voici près de deux ans qu’il travaille dans la finance à New-York.
Clara a terminé un master de sociologie, elle a 24 ans: voici près d’un an qu’elle travaille pour une association humanitaire au Chili.
Hadj a lutté pour parvenir au statut d’ingénieur: venu d’un quartier sensible du nord de Montreuil, il est désormais installé en Australie dans le secteur de la construction.
Jean-Michel a décroché au plan scolaire: plutôt que de continuer la «galère «en France, il a rejoint Shanghai et trouvé une place dans une entreprise de commerce textile.
Quatre exemples pris parmi des milliers qui dessinent les quatre côtés de ce carré complexe que l’on nomme expatriation et parfois, de manière plus connoté, exil.
Une phrase court dans le pays comme une rumeur: «Si vous avez de l’argent et de l’âge, partez pour Bruxelles. Si vous êtes entreprenant et jeune, partez pour Londres». De fait, la rumeur a bien un fondement statistique. Laissons ceux qui pensent que l’herbe est nécessairement plus verte dans le pré d’à-côté alors que la réalité est – heureusement – dotée d’une capillarité plus fine comme vont le démontrer les futurs succès de l’Ecole 42 de Xavier Niel et l’incubateur de start-up de la halle Freycinet. Notre France est loin d’être inerte. Même si le propos du tonique Philippe Bourguignon ( Ex-Pdt du Club Med et d’Accor ) demeure terriblement fondé: «les entrepreneurs français doivent être encore plus forts que les autres tellement il y a de contraintes «. ( BFMtv 11 mai 2013 ).
A côté du départ médiatisé de personnes ayant rencontré le succès ( Gérard Depardieu, etc ) qui peuvent induire un effet d’entraînement, il est à noter une élévation du nombre de jeunes qui s’expatrient.
Notre Nation est confrontée à une sortie du territoire d’un potentiel Antoine Riboud ou Claude Bébéar des années 2030. Ce sont autant d’emplois nationaux évaporés pour demain.
La première des grilles d’analyses relève de la sphère économique. Notre pays a incontestablement une difficulté avec sa jeunesse. Même celle qui est bien formée et adaptée à tel ou tel profil de poste doit accepter de passer par la case des stages puis la case répétitive des CDD avant de pouvoir se poser sur l’échiquier de la vie professionnelle dans l’espoir d’enfin démarrer une carrière. Ce temps de latence entre la sortie du système éducatif et le moment où l’emploi semble stable est une période vécue comme longue et difficile pour les jeunes. Comment reprocher l’expatriation face à une société dont les entreprises ne vous accueillent parfois que du bout des lèvres?
Parallèlement, certains pays proposent des situations pécuniairement plus intéressantes. Cela étant, il faut regarder les cas à la loupe. En effet, déjà Keynes écrivait sur «l’illusion du salaire nominal», et bien des financiers français de Londres conviennent que si les rémunérations sont supérieures, la vie quotidienne est plus coûteuse, à commencer par l’incontournable prix du logement. Le vrai raisonnement consiste à établir l’indice de parité du pouvoir d’achat.
Selon le Ministère des Affaires étrangères, près de 285.000 français âgés de 25 à 35 ans seraient résidents étrangers. Par ailleurs, il faut noter la tendance : selon le baromètre Ifop-Deloitte, 28% des jeunes diplômés envisagent leur avenir professionnel à l’étranger contre 13% en 2012.
Toujours au plan économique, la spécialisation internationale entraîne désormais un brassage des cerveaux. De la même manière que les Etats-Unis savent attirer des informaticiens indiens de haute volée, ils savent proposer à nos jeunes entrepreneurs en biotechnologies des conditions remarquables. La France propose parfois un emploi, là où d’autres pays façonnent une carrière. Tel est le défi.
Envie de travailler tout de suite et d’être reconnu ( tentation de l’hubris ), perspectives d’évolution professionnelle, optimisation fiscale comparée sont les trois grandes clefs explicatives de l’exil des jeunes.
Exil qui peut par conséquent s’expliquer mais ne justifiera jamais d’oser gommer le «poids des morts et des savants qui ont fait la France» pour reprendre les termes de l’historien Pierre Chaunu.
Selon le Ministère des Affaires étrangères, près de 285.000 français âgés de 25 à 35 ans seraient résidents étrangers. Par ailleurs, il faut noter la tendance: selon le baromètre Ifop-Deloitte, 28% des jeunes diplômés envisagent leur avenir professionnel à l’étranger contre 13% en 2012.
Cette grille d’analyse économique est pertinente mais trop réductrice car il faut la croiser avec trois autres éléments: liberté et envie de découverte, esprit pionnier, fierté d’appartenance.
Quand on vient de passer la borne de ses vingt ans, on ne peut concevoir la vie comme un parcours balisé voire fléché à l’excès. Fort heureusement, on détient une part de rêve et une envie de découverte. A l’heure de l’avion, le Brésil est à la France ce que Morlaix était à Paris il y a cent ans. Qu’il s’agisse d’un brillant diplômé ou d’un jeune issu de la diversité scarifié par les discriminations, comment ne pas comprendre que la soif de découverte est un ressort du jeune adulte?
En addition de ce ressort de l’esprit de découverte, il y a aussi l’esprit pionnier. Certains se voient en Sylvain Tesson, d’autres en golden boy de Wall Street. Peu importe. Ils ne se voient pas au 37ème étage d’une tour à La Défense à émettre des rapports et à lire les aléas budgétaires auxquels sont confrontés notre pays.
Dernier point qui doit être évoqué, c’est précisément la notion de fierté d’appartenance. De nombreuses entreprises semblent attractives pour les jeunes: des classements sont régulièrement établis et sacrent ainsi L’Oréal, AXA, Danone, Nestlé, etc. Les pays n’échappent pas à cet énoncé de préférences. Or, pour des raisons multiples, la France a souvent décroché dans le cœur de bien des jeunes. Si un pays vous fait positivement vibrer, on ne le quitte pas pour un taux marginal d’imposition légèrement plus élevé. En revanche, un pays atteint de sinistrose et atteint d’un rapport difficile à l’Autre ( le vivre ensemble ) ne saurait être attractif. Oui, notre Nation a devant elle le défi de redevenir séduisante pour sa jeunesse: tout n’est pas question d’économie mais de rupture avec une identité froissée.
«La vie n’est pas ce que tu crois. C’est une eau que les jeunes gens laissent couler sans le savoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme des mains, ferme des mains, vite. Retiens-là. Tu verras, cela deviendra une petite chose dure et simple qu’on grignote, assis au soleil». Jean Anouilh, Antigone.
La jeunesse actuelle est mûre plus tôt qu’autrefois et sait promptement apprendre à fermer les mains. L’eau de la vie est une notion qu’elle visualise mieux que ces aînés mais il est clair qu’elle veut vivre bien souvent sous d’autres rayons du soleil que ceux que la France propose. France de l’Hexagone comme France ultramarine où les taux de chômage sont alarmants.