Par Nicolas Marques. dans Fiscalité.
Les années se suivent et se ressemblent. Comme à l’accoutumée, la présentation du projet de loi de finances donne lieu à une surenchère de créativité pour masquer la situation difficile dans laquelle nous sommes. En parallèle, le débat sur l’austérité reprend. Un débat en trompe-l’œil, puisque, là où certains fustigent une austérité budgétaire, c’est dans les faits une austérité fiscale que nous subissons. Celle-ci prend des proportions d’autant plus importantes que, au-delà de la crise, nous avons à assumer des décennies de dérapages des finances publiques.
Contrairement à une idée reçue, l’austérité française n’est pas liée à une hypothétique baisse des dépenses publiques dans un contexte de retour à la normale suite à la crise de 2008. Les dépenses françaises continuent, en effet, d’augmenter de 21 milliards d’euros par an depuis 2009. Même si l’augmentation annuelle est moindre que sur les quarante dernières années, marquées par une hausse de 28 milliards d’euros par an, l’on ne constate pas de réduction des dépenses publiques d’un point de vue comptable depuis la crise.
Les dépenses publiques continuent aussi d’augmenter par rapport au PIB, de l’ordre de 0,1% par an. Certes, elles augmentent moins vite que durant les quarante dernières années, caractérisées par une hausse de 0,4% par an en moyenne, mais cette hausse détonne par rapport aux autres pays de l’Union européenne. Nos dépenses publiques ont augmenté de 0,4% du PIB depuis 2009, pour atteindre 57,1% du PIB en 2013, tandis que l’Union à 28 a diminué ses dépenses de 1,9%, pour revenir à 49,1% du PIB. Nous sommes donc clairement à contre-courant, ce qui rend les discours fustigeant les effets contre-productifs des baisses de dépenses publiques inadaptés à la situation française.
L’austérité, bien ressentie par les Français, ne s’explique pas par la baisse des dépenses publiques, véritable Arlésienne. Elle résulte avant tout de la hausse de la pression fiscale, d’autant plus douloureuse qu’elle se fait dans un contexte de faible croissance. Les recettes publiques françaises croissent en effet à un rythme de plus en plus soutenu. Depuis 2009, elles ont augmenté de 32 milliards d’euros par an. C’est plus que dans les quarante dernières années, caractérisées par une hausse moyenne des recettes publiques de 26 milliards d’euros par an. Ramenées au PIB, l’effet est encore plus saisissant, avec des recettes publiques en hausse de 0,7% par an dans les quatre dernières années, contre 0,3% du PIB par an en moyenne durant les quarante dernières années.
Contrairement à une idée reçue, les impôts et charges rentrent donc bien. Les recettes des administrations publiques n’ont d’ailleurs jamais été aussi importantes : elles représentent 52,8% du PIB l’an passé, un record historique. Cela explique très bien le sentiment de « ras-le-bol fiscal ». Là encore, nous nous distinguons par rapport à nos voisins. Selon Eurostat, depuis 2009, les recettes des administrations publiques ont augmenté deux fois plus vite chez nous que dans l’Union européenne, où elles représentaient 45,7% du PIB en 2013.
Face aux effets délétères de cette austérité fiscale, certains s’inquiètent de l’impact de cette politique qui risque de mettre l’économie à l’arrêt. D’où la tentation de laisser dériver les déficits. Après tout, trop de rigueur risque de nuire à la croissance. Pourtant, l’équation française est bien plus complexe. D’une part, les déséquilibres restent significatifs, en dépit des hausses massives de charges et d’impôts. En 2013, les administrations publiques ont dépensé 87 milliards d’euros de plus que leurs recettes, soit l’équivalent de 4,2% du PIB ; nous sommes donc bien loin de l’équilibre.
D’autre part, ce dérapage n’est pas conjoncturel, puisque cela fait, en effet, trente-neuf ans que les pouvoirs publics français n’équilibrent plus leurs comptes. Nous nous en sommes sortis car la France était initialement peu endettée, mais la situation devient de plus en plus critique d’année en année. En quarante ans, la dette rapportée au PIB a été multipliée par cinq. Si elle représente aujourd’hui une facture supportable, en raison de l’exceptionnelle faiblesse des taux, l’expérience de plusieurs voisins européens montre que de tels niveaux d’endettement ne sont pas sans risques.
Si la confiance dans la crédibilité des finances publiques française venait à se détériorer, nous serions très rapidement dans une situation incontrôlable. Un minimum de prudence devrait nous conduire à remettre à plat notre modèle de finances publiques, basé sur un développement non soutenable des dépenses, de la fiscalité et des déficits.