À bientôt 90 ans la patiente de la chambre 2044 est au terme de sa vie.
Très diminuée, elle n’est plus qu’une frêle petite chose perdue au fond de son lit médicalisé. Sa tête n’en fait qu’à sa tête, elle n’en a plus vraiment la maîtrise. Peu lui importe l’abondance technologique des commandes à sa disposition, ce n’est pas de technologie dont elle a besoin, c’est d’amour.
Pour l’administration hospitalière l’affaire est réglée. Si ce n’est sa tête qui est malade et pour laquelle il n’existe aucune thérapie, les quelques dégâts dont elle souffre du fait de sa récente chute qui l’a amené ici ne valent pas d’engager des soins réparateurs. Les chances de succès sont dérisoires.
Et pourtant, aucune pathologie lourde n’est à signaler, sauf cette perte de repères qui ne lui permet plus de maîtriser le sens de la vie, ses contraintes, la part des choses.
Alors, la part des choses, c’est l’administration de la santé qui la fait pour elle. L’effort en personnels, en frais structurels, qu’il y aurait lieu de faire pour gagner quelques jour, voire au mieux quelques semaines, d’une vie sans communication n’en valent pas la peine.
En l’absence d’excuse pathologique lourde pas d’euthanasie, heureusement elle échappe à cette radicalité.
Ce n’est guère mieux pour elle, car face à la peur indicible de la mort, pas de repère sécurisant, pas de souffle génétiquement commun, pas d’espace où l’habitude suspend le cours du temps. Au contraire, un toboggan anonyme qui comme ceux de Disneyland augmente la frayeur, mais ici pour de vrai.
Et pourtant, la relativité du temps fait que ces quelques jours qui la séparent de la mort, que l’administration juge négligeables face à ses contraintes globales, seront peut-être pour elle l’équivalent de toute une vie.
Là est l’escroquerie.
La collectivité lui a fait croire en son temps qu’elle n’avait pas de souci à se faire, que l’on s’occupait de tout, qu’elle serait protégée et prise en charge en fin de vie. Elle l’a cru.
Ne l’aurait-elle pas cru, rien n’aurait pu être différent.
Sa vie matérielle et celle de sa famille ont été amputées des réserves matérielles et humaines qui auraient permis sa prise en charge interne.
Les motifs mis en avant à ce sujet avaient de quoi convaincre : technicité de haut niveau, égalité face à la mort, vie facilité pour elle en son temps et pour ses enfants aujourd’hui, supériorité de la prévoyance collective sur la prévoyance individuelle.
Mais ici, maintenant, c’est d’amour dont elle a besoin pour sauter le mur, pour quitter cette vie.
Et de l’amour sa famille en possède à revendre.
Ils sont tous là. Ils envahissent cette chambre hyper technologique, intimidés, maladroits, contraints par les professionnels présents, ces liquidateurs de la collectivité.
Dans ces conditions leur amour ne trouve pas, ou très difficilement, le chemin de son cœur.
Ni elle ni eux ne s’attendaient à un tel dénouement. Il est clair qu’en cet instant ils échangeraient bien un peu de technique et de collectivisme rassurants contre beaucoup d’empirisme, d’intimité, d’amour.
Mais, on leur a insidieusement supprimé, depuis longtemps, les moyens matériels et intellectuels nécessaires à cet échange.
En ce monde nous mourrons plus vieux mais moins humainement.
L’époque est « faustienne », le comprendre ne change rien. Cependant, la chose n’est pas anodine si l’on fait partie de ceux qui croient, comme moi, qu’un seul instant peut peser le poids de toute une vie.
Bien cordialement. H. Dumas
Je connais une vieille dame dans cette situation, hospitalisée en EHPAD médicalisé à Paris, elle a un fils (marié) habitant en lointaine banlieue. Tous les dimanches il vient voir sa mère et la sortir (restaurant) mais cela ne suffit pas…. En 6 mois d’hospitalisation j’ai vu décliner cette dame qui n’a à présent plus que la peau sur les os, (et encore, à peine !), à cause d’une fonte musculaire généralisée (cachexie). Cette pauvre femme refuse de s’alimenter et vit dans une peur permanente (peur de la mort, peur des soignants aussi, surtout les personnels de couleur), elle est sur la, dernière pente descendante, celle menant droit à la mort. C »‘est ce séjour hospitalier qui la tue à petit feu, même avec l’assistance médicalisée et les personnels médicaux qui s’occupent d’elle. Chez elle ou logée chez son fils cette dame aurait gagné plusieurs années de vie, là ce sont ses derniers mois qui se déroulent dans un cadre aseptisé et médicalisé, parfaitement inhumain. Vu le coût d’un séjour dans ce type d’établissement, l’administration hospitalière s’y retrouve en se payant certainement sur la maigre retraite de cette dame ou alors son fils met au bout. Motif du séjour : dépression et désorientation après la mort de son mari avec qui elle a vécu une vie commune sur plus de 60 ans, les soignants ne la jugent pas autonome ni capable de vivre seule, son fils ne peut pas l’accueillir chez lu. Mort programmée et fin de vie. On ne l’euthanasie pas mais on la laisse mourir à petit feu, c’est encore pire ! Si vous avez des parents âgés faites tout pour leur éviter une hospitalisation de ce type, ces établissements sont de vrais mouroirs admirablement gérés et de haute technicité, où nos vieux refusent de manger (la nourriture des plateaux est infecte) et finissent par se laisser mourir entourés de médecins et d’infirmières