Au concours Lépine des taxes, redevances, impôts et droits en tout genre, les socialistes, s’ils ne sont pas les seuls à prétendre au premier prix, le remportent souvent haut la main.
La liste des prélèvements créés ou accrus depuis 2012 nécessite une réactualisation constante. Ce dernier mois, une taxe sur les parkings des entreprises, un alourdissement de celle sur les résidences secondaires en zones dites « tendues », l’assujettissement aux charges sociales des dividendes versés aux dirigeants de sociétés anonymes conservant plus de 50% du capital et une hausse de la taxe hôtelière ont été proposés pour être parfois retirés puis réintroduits dans la discussion budgétaire.
Le gouvernement, les députés et les élus locaux se partagent les rôles selon une vieille distinction hollywoodienne « bon flic/mauvais flic ». On voit Laurent Fabius résister à Anne Hidalgo qui réclame davantage d’impôts sur les nuitées dans les quatre et cinq étoiles et la même Hidalgo s’indigner du recul gouvernemental sur la fiscalité des poids lourds en transit. Mais, au même moment, la maire de Paris déplore une baisse des prestations familiales pour les ménages à moyens et hauts revenus qui n’est rien d’autre qu’une augmentation de la pression sur ces derniers puisque les cotisations restent inchangées.
Il existait autrefois un impôt sur les portes et fenêtres, supprimé en 1926. On peut dire qu’aujourd’hui les socialistes, lorsqu’ils chassent un impôt par la porte, le font rentrer par la fenêtre.
La litanie de ces hausses est accablante même si elle ne fait qu’amplifier un chant entonné par le gouvernement Fillon en 2010. Citons les principales, sans distinguer entre impôts et cotisations puisqu’il s’agit toujours de prélever de l’argent au bénéfice de l’État ou d’organismes à qui ce pouvoir régalien est conféré. Hausse de la TVA à 20%, relèvements des plafonds d’exonération pour les transmissions aux enfants, alourdissement du barème de l’ISF et majoration exceptionnelle de ce dernier, plafonnement du quotient familial, fiscalisation des heures supplémentaires, fin des exonérations pour les majorations de retraites des parents de familles nombreuses, hausse des taxes sur le gaz, l’électricité, la bière, le tabac, plafonnement des niches fiscales et de la déductibilité des frais de garde, intégration des produits financiers dans le revenu global, fin du prélèvement forfaitaire sur les dividendes, alourdissement du barème de l’impôt sur le revenu, etc.
Il y en a eu pour plus de 40 milliards d’euros en deux ans. Ce coup de massue a assurément cassé les élans entrepreneuriaux des Français puis le moral des consommateurs, contribuant au marasme économique. La gauche, en quête désespérée d’un nouveau maître à penser, est allée quérir Thomas Piketty qui s’inquiète d’une insuffisance redistribution des richesses sans jamais se poser la question de l’efficacité des énormes dépenses publiques que l’impôt est censé financer.
D’où vient donc cette passion socialiste pour l’impôt ?
Il y a des facteurs bien connus. Tout d’abord le clientélisme, renforcé par les lois de décentralisation dont se sont délectés les apparatchiks du PS depuis 1982. Il faut financer les obligés, allocataires et subventionnés.
Il y a également la légitimation idéologique de la bureaucratie. La redistribution justifie l’existence d’une pléthore de fonctionnaires et d’élus, en dépenses comme en recettes. On remarquera que ce ne sont pas les ministères mais les agences, régimes de sécurité sociale et collectivités territoriales, moins bien contrôlés, qui ont le plus abusé des droits de perception qui leur ont été accordés. Les socialistes ont mal traduit le néolibéralisme en vogue depuis bientôt quarante ans dans le monde. Ils ont à peine dévêtu l’État mais ont rajouté couche sur couche à l’habit des autres collectivités au prétexte de déconcentration. Une force irrépressible a poussé les communes, intercommunalités, régions et départements à embaucher près de 600 000 agents supplémentaires, hors transferts de compétences, depuis 1998 !
Mais il y a une autre cause, plus profonde et diffuse.
Elle tient à la survie même des élus. La construction européenne et la mondialisation rendent en effet superflus, en France, au moins deux des échelons suivants : communes, intercommunalités, départements, régions, État national et Union. Si un «cost killer» impitoyable s’emparait du pouvoir en Europe, il est probable qu’il supprimerait, pour la France, la strate départementale mais aussi la strate étatique qui entrave désormais les politiques communes plus qu’elle ne les relaie. Naturellement, les traditions nationales répugnent à cette disparition. Les élus n’ont pas envie de se faire hara kiri.
Dans une mondialisation qui crée sans cesse des phénomènes économiques et sociaux inattendus, les systèmes politiques nationaux peinent à définir le champ et les modalités de leur intervention. Pour reprendre une approche structuraliste qui faisait les délices de la gauche intellectuelle dans les années 1960 et 1970, l’impôt et la bureaucratie sont comme le langage, la sédimentation organique et institutionnelle qui conservent une logique implicite, un fondement objectif à un régime représentatif national en perte de sens.
Le phénomène est particulièrement sensible dans une France qui a trop d’élus professionnels. L’inventivité fiscale n’est que l’expression saccadée et névrotique de l’angoisse de cette caste menacée. Elle n’est pas le monopole des socialistes. Mais puisque ces derniers, notamment grâce aux collectivités locales, forment les gros bataillons des politiciens de carrière elle est devenue leur marqueur identitaire.