La centrale thermique de Gardanne : Un exemple de la folie des hommes

Gardanne est une ancienne ville minière située au nord de Marseille et son point le plus remarquable est son immense cheminée (297 m) ; laquelle est le point le plus visible d’une grosse centrale électrique au charbon ayant appartenu aux Charbonnages de France (à une époque où les CdF exploitaient les mines de charbon de Gardanne jusqu’à leur fermeture en 2003).

Elle appartient depuis 2008 à E.On ; une très grosse entreprise allemande peu connue en France. C’est le deuxième producteur européen d’électricité derrière EDF.

Peu après son acquisition, E.On a fait valoir auprès du gouvernement français que cette centrale au charbon n’était pas rentable et qu’elle souhaitait la transformer en une centrale de 250 MW utilisant du bois et tous ses dérivés au lieu du charbon.

Cette idée de conversion a été soumise au ministre de l’écologie de l’époque, et le dossier a reçu un accueil favorable de la part de Nathalie Kociusko-Morizet (sous la présidence Sarkozy) en octobre 2011 et un accord définitif en 2012.

La centrale thermique est donc devenue par la grâce de dispositions administratives une usine de cogénération (ce qu’elle n’est même pas puisqu’il n’y a pas récupération de la chaleur) brûlant de la biomasse et, selon la préfecture des Bouches du Rhône : « Ce projet (le plus important de France) représente près de 40% de la puissance nationale des chaudières brûlant des combustibles verts. » ; étant précisé que cette centrale n’est appelée en fait à fonctionner que lors des pics de consommation hivernaux !

Les projets initiaux prévoyaient de brûler des résidus de coupes, d’élagage, des copeaux, de la sciure mais aussi du bois classé B2 c’est-à-dire des produits transformés contenant des colles, du formica, des peintures et vernis, du bois de déconstruction, des palettes, de vieux meubles ; donc essentiellement des déchets toxiques surtout lorsqu’ils sont incinérés !

Seulement, il semblerait que les décideurs politiques, sans doute mal informés, n’aient pas mesuré l’ampleur des besoins en bois nécessaires ; ce qui fait que les « bonnes idées » du départ se sont trouvées complètement dénaturées par la nécessité d’alimenter coûte que coûte cette centrale !

Il est aussi apparu très vite qu’il s’agissait d’une opération industrielle de très grande envergure que l’on a parée de vertus écologiques dont vous allez pouvoir mesurer la nature, et, soyons clairs : le jour où l’écologie est devenue politique … tous les dévoiements, tous les excès sont devenus possibles !

Nous sommes donc passés de bois sous forme de déchets à des arbres entiers qu’E.On a essayé de trouver dans la région et quand on se penche sur la question, les chiffres donnent le vertige !

La consommation annuelle de « biomasse » a été évaluée à 855.000 tonnes par an pour que la centrale puisse fonctionner 7.500 heures par an a minima, dont 335.000 tonnes importées et 85.000 tonnes de bois de récupération. La part de biomasse locale (c’est-à-dire de forêt) s’établit donc à 435.000 tonnes.

Ces chiffres bruts ne sont peut-être pas très parlants ; c’est pourquoi, pour vous donner une idée plus précise de l’envergure de l’opération, il faut entrer dans les détails techniques de l’opération.

Ramené à une durée d’ouverture de 10 heures par jour (les camions ne circulent pas la nuit), cela représente une quantité quotidienne nécessaire pour faire fonctionner l’usine de : 855.000/30/300×2.4 = 228 camions de gros tonnage par jour; soit 23 camions de 30 tonnes à l’heure ou encore un camion toutes les 2 à 3 minutes car il faut 2.850 tonnes de bois par jour pour faire fonctionner cette centrale !

Oui, vous avez bien lu : 2.850 tonnes par jour de bois et un camion de 30 tonnes de charge utile toutes les 2 à 3 minutes !

A ces considérations il faut ajouter 3 détails (si l’on peut dire) :

– le rendement thermique de cette centrale est mauvais ; de l’ordre de 30% ; c’est-à-dire que 70% du bois brûlé part tout simplement en fumée et ne sert qu’à réchauffer l’atmosphère puisque la chaleur n’est même pas récupérée !

– cette centrale n’est prévue pour fonctionner que « par intermittence » lors des pics de consommation mais, compte tenu de l’inertie de ce type de centrale, elle doit fonctionner pratiquement en permanence pour pouvoir être opérationnelle en cas de besoin urgent (il faut beaucoup de temps pour allumer le foyer – un peu comme les bateaux à vapeur d’antan); ce qui fait que cette chaudière brûle toute l’année du bois pour assurer une simple production de dépannage !

– il ne s’agit pas de bois brut mais de plaquettes et de granules de bois ce qui oblige à broyer les arbres au préalable et donc de leur faire subir une coûteuse transformation.

Or, si, comme vous avez pu le lire, 335.000 tonnes seront importées sous forme de bois transformé en plaquettes et granulés, d’où viendront à terme les 435.000 tonnes locales ?

D’un « gisement » situé dans un rayon de 400 km autour de Gardanne c’est-à-dire essentiellement en Provence et Languedoc, en ce compris les Cévennes, mais aussi en fait les Alpes et les massifs du Var.

En fait, E.On a commencé par acheter (rafler serait plus exact) d’immenses parcelles de forêts sur pied un peu partout dans la région, en sur payant le prix local (grâce aux subventions reçues) avec l’effet immédiat de déstabiliser le marché.

Soyons clairs : E.On a décidé d’acheter tout ce qu’elle peut brûler pour faire tourner sa centrale et la puissance financière de cette société fait que jusqu’ici personne n’a pu s’opposer à ces acquisitions …

Et le pire c’est qu’à Bruxelles, des individus à la vision exclusivement technocratique de la question ont applaudi des deux mains à ce projet (car brûler du bois c’est écolo, brûler du bois c’est rigolo et les arbres ça repousse !) et ont attribué à E.On des subventions à hauteur d’un milliard d’€ sur 20 ans notamment parce que le bois de la région est deux fois plus cher que le bois importé (49 € la tonne contre 20 €).

En tout cela s’est passé sans aucune concertation avec les populations locales et dans l’opacité la plus complète. E.On a même essayé d’obtenir la modification de la charte forestière pour pouvoir « exploiter » la forêt à sa guise c’est-à-dire en opérant des coupes à blanc (rases) ; avec la complicité de l’administration française qui évidemment connaît tous les détails de l’opération !

Après avoir pris conscience des dégâts irréversibles que n’allait pas manquer de produire une telle razzia, les communes de la région ont évidemment réagi pour s’opposer à ce désastre mais cela reste très difficile car les communes se heurtent à la volonté d’E.On et aux intérêts financiers des particuliers vendeurs de coupes.

Par ailleurs, il faut savoir que la forêt méditerranéenne ne se prête absolument pas à une exploitation intensive de cette envergure car, pour l’essentiel, elle est composée d’arbres à croissance lente (chênes notamment).

Evidemment, devant ces résistances, E.On a eu du mal à organiser ce que l’on appelle en jargon technocratique la « mobilisation des ressources locales » et n’a pas eu d’autre option que de réduire la proportion de bois local et d’augmenter la quantité de bois importé principalement du Canada et du Brésil.

Résultat temporaire : on dévaste les forêts de la région mais aussi canadiennes et brésiliennes ; on les transforme en plaquettes ou granulés et on leur fait traverser l’atlantique pour les brûler dans la chaudière de Gardanne afin de faire de l’électricité par intermittence lors des pics de consommations !

Et le pire, c’est que c’est vous qui subventionnez ce massacre par le biais des petites taxes qui ont fleuri sur votre facture d’électricité pour financer les énergies dites renouvelables ; notamment la CSPE, acronyme pour « contribution au service public de l’électricité » car l’usine n’est rentable que grâce aux subventions publiques !

Le démarrage de l’exploitation était prévu pour début 2015 puis a été reporté au 2ème semestre 2016 et j’ai pu constater en septembre dernier que la centrale fonctionnait effectivement.

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Et bien qu’E.On sur le site commercial de sa filiale française UNIPER prétende que l’électricité vendue est « entièrement renouvelable et française», il ne s’agit ici ni d’écologie ni de développement durable car détruire des forêts entières par des coupes à blanc à seule fin de les brûler n’a rien à voir avec l’écologie.

Il ne s’agit pas non plus d’une exploitation mesurée et raisonnée de la forêt mais juste d’un pillage systématique aux conséquences incalculables car la forêt est un puits de carbone … à condition que les arbres ne soient ni coupés ni brûlés de manière systématique surtout lorsqu’il faut plus de cent ans pour la reconstituer !

Il s’agit donc juste d’une énorme opération industrielle subventionnée avec vos impôts, décidée au plus haut niveau de l’Etat sans aucune concertation avec les autorités locales pourtant concernées en premier lieu et sans que celles-ci puissent s’y opposer de quelque manière que ce soit.

Nous touchons là du doigt toute l’incohérence d’un discours politique officiel en matière d’écologie !

Cette opération a juste été réalisée sous le couvert d’un discours écologique perverti au nom d’intérêts industriels ; en pleine contradiction avec les objectifs politiques prétendument visés par le pouvoir lors de la signature de la COP 21 visant limiter le réchauffement climatique car le bilan se résume essentiellement pour l’instant à brûler 600.000 tonnes de bois par an (70% de 855.000 tonnes) en pure perte !

On nous parle sans arrêt de transition énergétique, d’énergie durable, d’énergie verte, du réchauffement climatique, on nous taxe, on essaie de nous culpabiliser et nous avons là sous les yeux l’archétype de l’opération industrielle complètement inappropriée constituant juste un non sens à la fois économique et écologique s’appuyant sur des méthodes utilisées pour la gestion des affaires publiques relevant de l’idéologie la plus absurde !

Ah oui, dernier détail : il est interdit de faire du feu de cheminée chez soi sur Paris et sa périphérie … trop polluant !

Bien cordialement.

Philos.

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A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

7 réflexions sur « La centrale thermique de Gardanne : Un exemple de la folie des hommes »

  1. Je m’insurge contre les écolos incompétents qui pensent que pour sauver la forêt, il ne faut pas couper d’arbres. Pour être productive, une forêt doit être entretenue. Il est même bénéfique de prélever les arbres en surnombre, enlever ceux qui sont malades, noueux, qui ne peuvent pas faire de bois oeuvre. C’est une biomasse qui doit être récupérée et valorisée. Dans ce domaine j’aimerais avoir l’avis des professionnels de la sylviculture.

    1. technicien forestier a l’office national des forets je confirme qu’il faut couper ce que la foret produit . .La papeterie de tarascon les usines de brignole et pirrelatte consomment 1million 500 000 tonnes de grumes.Comment la foret regionale qui produit 600 000 tonnes et qui n’arrive deja pas a fournir la moitie des besoins regionaux pourrait fournir les enormes besoins en bois de la centrale de gardanne sans surexploiter les forets et raser des forets privees?impossible d’ou l’opposition des forestiers de l’onf a la centrale de gardanne

  2. bonjour, une erreur s’est glissée dans votre analyse. vous écrivez  » cette centrale n’est prévue pour fonctionner que « par intermittence » lors des pics de consommation » ce qui est une erreur. le contrat, en accès public, prévoit un fonctionnement de 7500 heures par an. soit 312 jours. Ce qui compte tenu du temps laissé aux opérations de maintenance demande une excellente fiabilité à cet outil.
    Il y a un chiffre que vous devriez vérifier. annoncer un rendement de 30% me semble bien faible. Une chaudière à charbon pulvérisé de la génération précédente affichant déjà 32%. Tabler sur un rendement de 38 à 40% me semble plus judicieux mais à vérifier. A titre de comparaison, si le moteur de votre voiture avait un tel rendement, vous seriez très économe en carburant.

    Une dernière remarque: écrire « Ah oui, dernier détail : il est interdit de faire du feu de cheminée chez soi sur Paris et sa périphérie … trop polluant ! » me semble déplacé et malhonnette intellectuellement. A la différence des centrales thermiques dont des filtres récupèrent plus de 99% des suies, les foyers ouverts au bois domestiques ne retiennent rien.

  3. Bsr,
    l’écologie n’appartient à personne et encore moins aux politocards incompétents car sinon elle nourrit tellement de parasites qu’elle ne peut être efficace!
    Nos anciens respectaient la Nature ils savaient l’utiliser avec parcimonie sans scier la branche sur laquelle nous sommes assis actuellement…avec les parasites en sus!
    @+

    1. Voilà une belle accumulation de poncifs en deux paragraphes.

      « Nos anciens respectaient la Nature » : faux.

      Un contre exemple simple pour illustrer mon propos. L’histoire des vallées alpines l’illustre bien. A force de déboiser des flancs de montagne pour se chauffer et créer des patures à proximité de leurs fermes, les paysan sont arrivés à détruire l’ensemble des forêts au XIX eme siècle. Agacé par les incessants glissements de terrrains, les inondations répétitives qui mettaient en fanger les liaisons entre les villes et menaçaient les villages, Napoléon III et son « l’étatisme rampant » a fait voter une loi aboutissant à la mise en place d’une politique de reboisement des flancs montagnards. Cette loi était laconcrétisation d’une prise de conscience par l’administration, depuis environ 1840, des conséquences des déboisements sur le régime des torrents.
      Un bel exemple d’échec de « l’intiative individuelle » et de réussite de « l’étatisme rampant » qui par cette démarche a permis de limiter l’exode rural en créant une source de revenus complémentaires aux paysans qui participaient aux travaux de reboisement tout en recréant des forêts indispensable çà la protection des flancs montagnards et à la lutte contre les inondations et les glissements de terrain…

  4. Très intéressant, parfaitement documenté, MERCI pour cet exemple qui démontre le fiasco incontournable de toute croyance imposée, ici l’écologie.
    La croyance qui anéantit la raison ouvre evidemment la voie aux escroqueries.

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