Henri DUMAS vérifié
par…l’ancienne Chambre de Commerce
de Marseille (en 1923)
ou
Leviers insoulevables pour fardeaux inexistants
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QUESTION : Vouloir restreindre l’usage du contrôle fiscal ou demander à ce qu’en soit clarifiée la procédure, tout cela équivaut-il (dans les termes comme dans la pratique) à encourager pour de bon la fraude ?
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AFFIRMATION :
Henri DUMAS. Les Six Points. (Billet publié le 19 février 2018 sur le blog : « Témoignage Fiscal ») :
« Ce week-end, j’écrivais à une relation amicale lui rappelant que la terreur et la pression fiscales ne pouvaient être combattues qu’à travers une intégrité retrouvée lors des contrôles fiscaux. Le paradoxe étant que Bercy est largement plus malhonnête que les contribuables que cette administration prétend dénoncer. (…). Le contrôle fiscal est une agression grave pour le contrôlé. Il a un coût élevé en terme de disponibilité et de fourniture d’informations. »
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ILLUSTRATION :
Le Contrôle fiscal et le Projet de Budget de 1923. Rapport présenté par Maurice HUBERT, membre de la Chambre de Commerce de Marseille, et adopté par cette Compagnie, dans sa séance du 8 août 1922, tenue sous la présidence d’Emile RASTOIN, vice-président. (Marseille, Typographie et Lithographie Barlatier, 1922)
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[Pages 3 à 7 : Texte intégral du rapport]
Messieurs,
« De l’examen du projet de loi portant fixation du budget général de 1923, j’ai retenu seulement pour l’exposé qui va suivre, les dispositions des articles 6 à 11 et de l’article 16.
Vous savez en quoi elles consistent : vous les connaissez par les critiques dont elles sont l’objet, et qui ne sont que trop justifiées, il convient de le reconnaître.
Ces mesures, qui tendent à réprimer les évasions fiscales sont les suivantes :
1° Déclaration obligatoire de tous dépôts de titres, comptes de dépôts et d’avance, comptes-courants pour tous banquiers, agents de changes, sociétés et toutes personnes désignées par la loi.
Délai de six mois pour la déclaration des dépôts existant antérieurement ;
2° Etablissement obligatoire, pour tous encaissements de coupons, d’un bordereau détaillé, signé par la personne qui touche, avec indication de l’identité de celle pour qui elle encaisse ; pièce soumise pendant six ans à la réquisition des agents du fisc ;
3° Interdictions pour les banques et sociétés de crédit, en cas de décès d’un déposant, locataire d’un coffre-fort, ou de son conjoint, de procéder à l’ouverture du coffre, sans l’assistance d’un employé de l’enregistrement, en plus de celle d’un notaire, déjà exigée ;
4° Obligation imposée aux assureurs de fournir à l’Administration, pour toute police ou avenant souscrits, une notice détaillée indiquant le montant des risques de toute nature.
Ajoutons que, comme complément à ces dispositions, les agents des Contributions directes seront autorisés à exercer leur contrôle dans tous les établissements de crédit, chez les banquiers et autres personnes sus-mentionnées, c’est-à-dire à procéder à l’examen des livres, comptes et documents de toutes sortes.
Toute contravention à ces prescriptions, toute erreur, exposeront le contrevenant à des sanctions très sévères : amendes variant de 1000 francs à 10 000 francs ou confiscation des revenus encaissés par fraude. Pour stimuler le zèle des agents du fisc, qui les auront découvertes, un quart des sommes confisquées leur sera attribuée.
Ces mesures sont si rigoureuses, elles ont un caractère si oppressif et tracassier qu’elles apparaissent immédiatement comme intolérables pour le contribuable français.
« Sans s’attarder à souligner le caractère immoral de la prime allouée à l’agent qui aura découvert la fraude, on ne doit pas hésiter à taxer l’ensemble de ces dispositions de pernicieuses ; car elles nuiront au crédit de l’Etat et seront également préjudiciables au Commerce et à l’Industrie. Il n’est pas douteux, en effet, qu’elles entraîneront, soit l’immobilisation dans leur tiroir des économies des petits épargnants, soit le retrait des capitaux déposés dans nos banques, ainsi que leur évasion à l’étranger ; ce qui présente un grave danger pour notre relèvement économique.
Ce sera la conséquence inéluctable de l’abolition du secret des affaires, de l’abrogation du secret professionnel des banquiers, des agents de change. Il n’y a pas à se faire d’illusion, les fâcheuses conséquences de la terreur fiscale ne tarderont pas à se faire sentir, et les entreprises industrielles feront vainement appel aux capitaux pendant que l’inquiétude paralysera les meilleures volontés.
N’est-il pas à craindre également que ces obligations gênantes et vexatoires ne conduisent à brève échéance à la suppression du titre au porteur ? Il ne paraît pas nécessaire d’insister sur cette dangereuse menace dans une période où le commerce et l’industrie n’ont pas besoin qu’on leur crée de nouvelles entraves.
Cette question n’a-t-elle pas déjà fait l’objet d’une proposition à la Commission des Finances de la Chambre ?
Et pourtant ces mesures seront inopérantes et improductives, car elles n’empêcheront pas la fuite des capitaux : c’est un fait constamment vérifié par l’expérience que l’argent traqué se cache ou s’évade par tous les moyens. Mais au moins ces procédés intolérables seraient-ils de nature à procurer au Trésor des ressources telles que l’on pourrait à la rigueur se les expliquer ? L’exposé des motifs prévoit, de ce chef, une plue-value annuelle de 15 millions pour les successions et 50 millions pour l’impôt sur le revenu.
Ainsi, sur un budget de 25 milliards, c’est pour un supplément de recettes de 65 millions, au maximum-car rien ne démontre a priori que les chiffres de ces évaluations seront atteints-que l’on veut instituer dans le pays le plus odieux système d’inquisition, provoquer la délation, abolir le secret des affaires !
A-t-on songé à ce qu’il en coûterait pour faire fonctionner une pareille organisation ? ce qu’il faudrait rétribuer de fonctionnaires nouveaux pour relever, classer, contrôler, utiliser ces innombrables documents ? On évalue à deux millions par an le nombre des polices d’assurances souscrites ou des déclarations qui s’y rapportent. Il n’est pas exagéré de prévoir que les établissements de crédit et toutes les personnes assujetties aux déclarations projetées auraient plusieurs centaines de mille comptes à établir, de leur côté, pour le fisc. Quelle nouvelle armée de fonctionnaires faudrait-il créer pour mettre à profit cette volumineuse documentation, bien souvent inutile ? Car, en définitive, une énorme circulation de fonds ne se traduit pas toujours par un important revenu.
Qui sait si les 65 millions escomptés ne seraient pas absorbés par les traitements des agents nécessaires pour en assurer la rentrée problématique ?
On a objecté que s’élever contre cette règlementation et repousser ces mesures, c’est prendre la défense des fraudeurs, que les dispositifs du projet de loi cherchent à atteindre sans que les honnêtes contribuables aient à s’en émouvoir. L’argument est sans valeur, car nous avons vu déjà bien des gens sans scrupule échapper à toutes les rigueurs de la loi, alors que d’honorables citoyens étaient odieusement molestés par le fisc.
Un dernière réflexion vient naturellement à l’esprit. S’il était établi que l’impôt sur le revenu appelle nécessairement des mesures aussi oppressives et tracassières, et qu’il ne peut donner son plein rendement qu’au prix de méthodes aussi intolérables, il n’y aurait pas de plus éloquent argument pour le condamner à tout jamais et à le bannir de notre législation.
M. Ignace, ancien Sous-Secrétaire d’Etat a dit récemment, dans un discours applaudi : « De grâce, finissons-en avec les mesures inquisitoriales et vexatoires, qui sont un défi au sens commun, en même temps qu’elles constituent le plus grand des périls pour le régime et les destinées de la Nation. »
Toutes les Chambres de Commerce dont les avis nous sont parvenus, tous les groupements commerciaux, associations industrielles, dont les délibérations nous sont connues, se sont prononcés unanimement contre ces projets. Quelques Chambres de Commerce l’ont fait dans des termes particulièrement sévères, et avec une rare énergie, en faisant ressortir l’odieux du système proposé.
Nous ne pouvons moins faire, semble-t-il, que de protester à notre tour, contre de si pernicieuses méthodes. »
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