Henri DUMAS vérifié
par…la Société d’Economie Politique
(en sa Séance du 5 janvier 1934)
ou
Les Proportions gardées
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QUESTION : A-t-on déjà débattu en France de la supposée « fraude fiscale » d’une manière plus équilibrée que celle d’à présent et avec des arguments très comparables à ceux qu’utilise fréquemment « Témoignage Fiscal » ?
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AFFIRMATION :
Henri DUMAS. Fraudeur fiscal. (Billet publié le 28 octobre 2020 sur le blog : « Témoignage Fiscal ») :
« On arrive à cette situation grotesque que l’histoire jugera sévèrement :
D’honnêtes gens sont accusés artificiellement-par un système au-dessus de tout soupçon-de fraudes fiscales par diminution de leur contribution au capital commun, persécutés, anéantis, ruinés, tout cela et au profit des vrais tricheurs fiscaux par prélèvement indu sur le capital commun.
Qui plus est, ces honnêtes gens sont les moteurs économiques du pays.
C’est cette situation absurde qui nous détruit, qui va anéantir notre pays. Comment ne pas en être attristé ? Comment pardonner aux initiateurs de cette situation ? Comment redresser la situation ? Comment revenir à la raison ? »
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ILLUSTRATION :
[N.B. (Sébastien MILLERAND) : C’est nous qui soulignons les passages importants.]
Bulletin de la Société d’Economie Politique (suite des Annales), publié sous la direction du Secrétaire Général (Emile Mireaux). Année 1934. (Paris, Félix Alcan)
Séance du 5 janvier 1934, sous la présidence de M. H. Truchy, de l’Institut, président. Ordre du jour : « La Fraude fiscale »
Texte intégral de la discussion entre les participants, faisant suite à la communication de M. G. Lecarpentier sur ce sujet.
[Pages 11 à 15] :
« M. le doyen E. Allix fait des réserves sur une question de principe : il condamne la fraude qui, en soi-même, a quelque chose de blâmable. La moralité civique actuellement craque de toute part. Si l’on ne condamnait pas la fraude à la Société d’Economie Politique, n’y aurait-il pas à craindre qu’on donnât à la brillante communication de M. G. Lecarpentier une interprétation dont nous serions désolés ? Il faut proclamer, au contraire, qu’il y a lieu de blâmer la fraude.
M. Gaël Fain, tout en félicitant M. G. Lecarpentier de sa communication, déclare n’être pas entièrement d’accord avec lui sur certains points de détail. Il estime avec M. le doyen Allix que la fraude est blâmable.
M. Y.-M. Goblet demande la permission d’ajouter une sixième cause de fraude à celles qui ont été énumérées : c’est l’un des sentiments les plus forts chez tout être vivant : l’instinct de conservation. Arrivé à un certain taux, l’impôt sur le revenu est une véritable confiscation. Kautsky, disciple de Karl Marx, l’a expliqué fort clairement :
« La confiscation par l’impôt, , dit-il, permet d’arriver à la suppression de la propriété capitaliste par un mouvement lent et régulier, qui s’accentuera à mesure que la nouvelle organisation se consolidera et manifestera ses heureux effets. Elle permettra de faire durer cette confiscation des dizaines d’années. La confiscation perd ainsi ce qu’elle a de pénible…La forme raffinée de l’impôt progressif sera préférée à la forme la plus primitive de la confiscation. »
Cependant, le contribuable sent instinctivement le péril et se défend par la ruse, arme des faibles. C’est ainsi que nos paysans qu’on se plaît à représenter comme des archi-fraudeurs, sont les fils de gens chez qui l’on se vantait d’être « le plus imposé de la commune ». Mais ils sont aussi les descendants de ceux qui ont fait la révolution de 1789 contre l’impôt sur le revenu qui coûta la vie à l’ancien régime. En Angleterre, où la fraude en matière fiscale était considérée comme l’une des plus déhonorantes, elle se développe depuis quelques années, au fur et à mesure que l’income-tax, la super-tax et les droits de succession deviennent de véritables systèmes de confiscation de la propriété privée. Ainsi se produit partout une sorte de démoralisation, de disparition du sens du devoir fiscal dont il faut bien convenir que le contribuable n’est pas seul responsable.
M. Goblet croit aussi qu’il ne faut pas se laisser aller à une discrimination singulièrement artificielle entre le revenu du travail et le revenu du capital. Le capital n’est que du travail accumulé. Le rentier est, peut-être surtout en France, un travailleur qui, vieilli, vit du produit de ses économies, c’est-à-dire de son travail. Combien de veuves sont frappées comme capitalistes, parce qu’elles vivent du revenu péniblement constitué par les économies de leur mari !
Il est toujours dangereux et singulièrement peu « démocratique » de « parquer en castes » les citoyens, comme les mots du dictionnaire d’avant le romantisme. Et peu de gens le supportent aussi impatiemment que nos compatriotes.
« M. Zapp, ancien inspecteur principal de l’Enregistrement, déclare qu’il n’est pas plus possible de nier la fraude fiscale, qu’il ne pourrait être question de l’excuser, mais ne l’exagère-t-on pas ?
On l’a d’ailleurs mal définie : sous le nom de fraude on entend beaucoup d’exonérations ayant leur source dans la loi. Le remède est assez difficile, mais il est avant tout dans l’éducation du public, dans une action pénétrante des services, que fort heureusement l’on voit collaborer de plus en plus dans cette oeuvre d’éducation. Les agents des contributions directes obtiennent par cette méthode des résultats de plus en plus encourageants, ce qui n’empêche nullement une fermeté réfléchie quand c’est nécessaire. La législation doit aussi se faire plus humaine, plus juste, en s’abstenant de créer des classes fiscales privilégiées. Il est persuadé que la fraude n’a pas l’étendue qu’on lui prête, qu’elle est trop proclamée. C’est un mal social qu’il faut traiter discrètement, et activement.
M. N. Zvorikine.-Permettez-moi d’ajouter à ce qui vient d’être dit ces quelques mots :
La fraude n’est pas la seule cause de la mauvaise rentrée des impôts : bien plus importante que cette cause est la méfiance qu’inspire le gouvernement. Tant que le citoyen verra ses deniers gaspillés et dilapidés, il préférera les ranger soigneusement dans des cachettes introuvables, et aucune inquisition-si sévère soit-elle-ne saurait modifier cet état de choses naturel.
Je ne suis pas Français, mais je n’admets pas qu’on accuse le peuple français de fraude : il est un grand patriote, et quand il s’agit de la patrie en danger, il n’hésite devant aucun sacrifice : il a fait ses preuves.
M. Nicolas estime que l’Etat doit donner lui-même l’exemple de la moralité pour pouvoir exiger l’honnêteté du contribuable.
M. Lafarge reconnaît que le système actuel d’impôts basé uniquement sur la déclaration et avec des abattements à la base encourage la fraude. Toutefois, en raison des charges énormes du budget, il estime qu’il n’est pas possible de supprimer l’impôt personnel. Un système d’impôts basé seulement sur les quatre vieilles, comme on l’a souvent réclamé, conduirait encore à de plus grandes iniquités.
Le système actuel doit être amendé. Davantage d’assujettis, moins d’exonérations et un taux d’impôt modéré pourront seuls donner des résultats satisfaisants. Le fisc, au lieu de tracasser les contribuables qui font des déclarations, ferait bien d’examiner la situation de ceux qui n’en font pas.
M. Pierre de Félice indique que son expérience d’avocat spécialisé dans les questions fiscales l’a conduit à d’autres conclusions que celles émises par le conférencier : il a pu constater souvent que la loyauté est davantage du côté de l’administration que du côté du contribuable.
Il reproche toutefois à l’administration de ne penser qu’à poursuivre une minorité qui fraude, au lieu d’éclairer une grosse majorité de contribuables qui, par ignorance des textes ou méconnaissance des dégrèvements légaux, paye, par négligence, plus qu’elle ne doit.
M. le Président Colson croit à peu près impossible d’exercer un contrôle sérieux sur les revenus tant que l’on respectera la passion déplorable pour le secret des fortunes, si générale en France et si peu justifiée chez les honnêtes gens. Elle est bien moins répandue dans les pays étrangers. En Angleterre, par exemple, le montant des successions constatées est publié, et il me souvient d’avoir vu dans un des grands traités de Leroy-Beaulieu qu’à la mort de M. Grévy, les publications anglaises ont fait connaître qu’il avait laissé 4 millions placés en Angleterre. La dissimulation n’a d’ailleurs pas toujours la fraude pour but. Je me souviens qu’il y a quelques années, en allant payer l’impôt sur le revenu de quelques titres étrangers que je possédais, en disant, bien entendu, qui j’étais, j’ai demandé au receveur de l’enregistrement s’il recevait beaucoup de droits dus sur des placements à l’étranger non déposés dans les banques. Il m’a répondu que oui et que, par exemple, avant moi, il venait de recevoir 80000 francs de droits payés par un contribuable qui n’avait dit ni son nom, ni son adresse, ni la nature des revenus pour lesquels il payait. Mais la dissimulation est rarement aussi loyale et la passion pour le secret gardé sur les revenus est, je crois, le plus souvent motivé par le désir de ne pas payer l’impôt dû à l’Etat.
M. le Président remercie M. Lecarpentier et tous ses collègues qui ont pris part à la discussion. Les citoyens doivent honnêtement payer les impôts ; c’est un principe de moralité civique que M. Allix a rappelé dans les termes les plus heureux. Mais l’Etat doit donner l’exemple de l’honnêteté. Il manque à ses fonctions quand il institue et aménage l’impôt plus d’après les passions politiques et les intérêts électoraux que conformément au bien général. Le contribuable, qui a le sentiment d’être traité en paria et exclu de la justice que l’Etat doit à tous les citoyens, se défend par la fraude. Une autre cause du développement de la fraude est l’exagération des taux d’impôt. L’impôt excessif, quelle qu’en soit l’assiette, ne peut pas être bon. L’Etat moderne-et cela n’est pas vrai seulement en France-va à des difficultés insolubles s’il n’arrive pas à endiguer la moitié de ses dépenses. Le problème de la fraude fiscale est donc lié au problème bien plus général du rôle de l’Etat et des limites raisonnables où ce rôle doit être enfermé.
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