Son grand livre s’intitule « Capitalisme, Socialisme et Démocratie » et c’est dans ce livre qu’il introduit la notion de « destruction créatrice» qui seule, selon lui, permet la croissance économique.
Pourquoi évoquer Schumpeter aujourd’hui ?
Parce que les auteurs de cet article semblent penser que la croissance économique est créée par les actions de l’Etat et du coup font quelques remarques qui m’ont surpris.
Tout d’abord, dans l’article que j’ai mentionné, les auteurs écrivent : « L’Industrie a une productivité six fois plus élevée que les autres secteurs et peut créer trois fois plus de valeurs ajoutées que les services».
L’Institut des Libertés où j’exerce en tant que Président, collecte beaucoup de données et s’il en est bien une sur laquelle il est impossible d’avoir des chiffres, c’est bien la valeur ajoutée par les services. A ma connaissance, il n’existe pas ou peu de manière satisfaisante de mesurer la productivité dans ces domaines.
Prenons un exemple, vous remplacez votre secrétaire par un logiciel et vous tapez vous-même vos lettres : comment mesurer la création de valeur ajoutée du logiciel? Quelle est la productivité de l’enseignant qui a découvert à Alger Albert Camus qui n’était alors qu’un petit garçon? En revanche, il est vrai, vous pouvez mesurer la perte d’emploi de la secrétaire devenue obsolète, et c’est ici que Schumpeter revient à l’ordre du jour.
Sa thèse, trop rapidement résumée est la suivante : l’innovation et l’invention portées par les entrepreneurs sont la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Schumpeter emploie l’image d’un « ouragan perpétuel » et comme seul le capitalisme permet et organise les faillites, seul le capitalisme permet la croissance économique et une hausse du niveau de vie de tout un chacun, en redirigeant constamment le capital et le travail vers les activités les plus productives.
La lecture de l’article fait beaucoup apparaître le mot« industrie » ou encore le mot « salarié », ainsi que la belle notion de «croissance» si chère aux Conseils des ministres de Gaulle. Il ne manque que «l’ardente obligation du Plan» et nous aurions un parfait petit résumé de la pensée Colbertiste.Ou le grand retour de l’Etat Stratège.
Nos élites sont incorrigibles. A ce stade de l’Histoire économique, au 21ème siècle, nous devrions tous savoir que le commissariat au plan, cher à l’ex URSS, n’est pas un modèle économique qui fonctionne. Nous avons appris, empiriquement, que de demander à l’Etat d’organiser la production des richesses ne fonctionne pas.
De fait, ce qu’ils ne mentionnent pas est encore plus extraordinaire que ce qu’ils mentionnent. Ce recours à Schumpeter permet en fait d’introduire une notion un peu oubliée par les auteurs de l’article susmentionné, j’ai nommé : l’Entrepreneur.
Je m’étonne de ne pas trouver UNE SEULE FOIS le mot «entrepreneur» dans cet article puisqu’il est bien évident, que «sans entrepreneur, il ne peut pas y avoir de croissance ». La croissance n’est jamais le résultat de l’action de l’Etat mais toujours le résultat d’initiatives individuelles. Nous savons aujourd’hui que LE seul créateur de richesse et donc de croissance dans l’industrie, comme à fortiori dans les services ou l’inventivité est tout (Cf. Google, Microsoft, Youtube etc.) est l’Entrepreneur.
Sans Entrepreneur, pas d’industrie peut être, mais certainement pas de croissance. Il n’y a pas et il n’y aura jamais de solution collective à l’absence de croissance.
Continuons dans ce qui manque : la rémunération de l’entrepreneur s’appelle le PROFIT, dont les auteurs ne disent pas un mot encore une fois alors que l’absence de croissance s’explique tout simplement par l’écroulement de ces profits depuis vingt ans, en particulier dans le secteur industriel. Si l’Industrie s’est effondrée en France c’est parce que les profits y sont insuffisants.
En bon disciple de Socrate ou d’Aristote, il me semble qu’il faut chercher la cause de cet effondrement pour la corriger, et non pas essayer d’inventer une fois encore une nouvelle machine a gaz, du style de la Loi Macron, qui bien sur ne fonctionnera pas, ce jeune talent n’ayant jamais rien inventé de sa vie. S’il était inventif, il n’aurait jamais été le premier de sa classe. Les bons élèves ne sont jamais des entrepreneurs.
Plus fondamentalement, L’Entrepreneur est à l’origine tant des processus de création que de destruction analysés par Schumpeter, ce qui lui vaut sans doute sa grande impopularité (voir la popularité d’Huber auprès des chauffeurs de taxis). C’est lui et lui seul qui crée l’étincelle originale qui permet à la croissance de démarrer, ce qui ne veut pas dire qu’il va créer de la richesse tout seul dans son coin. Il a besoin des autres.
Pour simplifier, on peut dire que la présence des entrepreneurs est nécessaire, mais pas suffisante; d’autres intervenants sont nécessaires. Il a besoin de capital, il a besoin de collaborateurs, de matières premières, de réseaux de distributions. Mais il a surtout besoin de sécurité et de stabilité juridique que seul un état de Droit autorise.
Arrêter la logorrhée législative et réglementaire en France serait plus efficace pour relancer notre économie que toutes les subventions versées à des gens qui toujours seront bien en cours mais la plupart du temps incompétents (voir Madame Lauvergeon ou messieurs Bon et Tchuruk, eux aussi premiers de classe).
Demandez à un entrepreneur, si vous en croisez un qui ose se déclarer, de quoi il N’A PAS besoin, et invariablement sa réponse sera « De plus d’Etat, ».Le seul inconvénient en France, pour l’entrepreneur aujourd’hui est que presque tous les secteurs de croissance sont sous le contrôle de l’État : Citons l’Education, les transports publics, l’aménagement des retraites et de la prévoyance, la Sante…
Nous sommes en effet dans une situation complètement kafkaïenne où l’État contrôle et gère, selon les principes d’une économie communiste, la plupart des secteurs où la croissance pourrait s’engouffrer. Et les deux auteurs ne disent PAS UN MOT de la nécessité des privatisations. Certes on peut se demander pourquoi ces secteurs ne pourraient pas croître et rester sous le contrôle du Moloch (l’État), comme l’appelait Bertrand de Jouvenel.
La réponse est simple: avec des principes de gestion communistes, il ne peut y avoir de croissance, puisqu’il ne peut pas y avoir de destruction créatrice. On ne peut pas se débarrasser des mauvais…Par contre nous avons à faire face aux passe-droits, à la corruption et aux déficits, le résultat constant d’une économie étatisée. Introduites au Sahara, ces méthodes provoqueraient une pénurie de sable en quelques années.
Le grand, l’unique défi auquel la France va donc être confrontée dans les années à venir est de trouver comment faire sortir du giron étatique ces activités pour qu’elles libèrent enfin leur potentiel de croissance? Or, quand je lis dans cet article « comme l’indique le rapport Gallois, une partie du livret A et du livret de développement durable doit être dirigé vers les entreprises industrielles innovantes».
Je m’interroge.
Quel comité d’Etat, sans doute présidé par monsieur Attali ou Madame Royale, va à nouveau être déclaré responsable d’allouer ces fonds privés des livrets A et consorts ? Et est-ce là une direction vers une libéralisation des activités de croissance ?
Je m’interroge.
Citons encore : «Rétablissons d’abord une adéquation entre les besoins de l’industrie et la formation dans l’Education Nationale. Le textile ayant à peu près disparu, il n’est pas déshonorant de former des tôliers ou des informaticiens ».
Je m’interroge à nouveau: est-on vraiment certain, au regard des résultats actuels que l’éducation nationale soit l’organisme le plus réactif quant à la formation des jeunes sur le marché de l’informatique international ou sur la pression à froid des tôles ?
Je ne sais pas, je demande, car il est vrai qu’en tant qu’entrepreneur, j’ai la mauvaise habitude d’être jugé au résultat (et non pas à ma volonté initiale).
Que le lecteur me comprenne bien : j’aime mon pays et évidemment, pour citer à nouveau les éminents auteurs de l’article cité en référence, je ne peux qu’applaudir à deux mains à leur souhait de créer un environnement qui permettrait un accroissement de la compétitivité de nos entreprises pour gagner des marchés étrangers. En une décennie, nous pourrions nous replacer en 2025 avant l’Allemagne, en leader de la prospérité européenne et mondiale ».
Mais je reste dubitatif sur les solutions qu’ils proposent d’autant que mes analyses sur les raisons du désastre annoncé divergent.
Le défaut de croissance que nous accusons aujourd’hui est- il vraiment la résultante d’un manque de planification de l’Etat envers nos industries?
Ce qui a détruit l’industrie Française, qui en 1995 était parfaitement compétitive avec l’industrie Allemande, c’est encore une fois la disparition des PROFITS dans ces secteurs. La rentabilité des affaires industrielles s’est effondrée depuis cette date comme jamais dans notre histoire, sous le triple impact d’une croissance forcenée de l’Etat, de Lois faisant exploser le coût du travail en France et de la fixation d’un taux de change fixe avec l’Allemagne au travers de l’Euro. Les Français peuvent décider démocratiquement d’avoir 40 % de fonctionnaires de plus par 10000 habitants que les Allemands et d’augmenter en même temps les coûts sur les sociétés Françaises, mais dans ce cas-là, ils ne peuvent pas avoir un taux de change fixe avec l’Allemagne.
Sinon, leur industrie disparaît.
Le lecteur sait peut-être qu’avant le passage aux 35 heures, le coût de travail Français était inférieur au coût de travail allemand. Une entreprise Américaine qui aurait cherché à s’implanter en Europe aurait alors pu trouver intérêt à s’installer chez nous à cette époque. Passent les 35 heures, passe la mise en place de l’euro, passe un quasi doublement du code du Travail depuis 1995 et le lecteur sait surement qu’à compter de 2005, le coût du travail, le coût du capital, les impôts et les réglementations sont très inférieurs en Allemagne. Plus aucun entrepreneur n’investit donc en France, et la productivité industrielle française s’écroule face à la productivité allemande. Pourquoi ? Parce qu’ils perdent de l’argent.
Qui dit baisse de la compétitivité dit déficit de la balance des paiements, déficit du budget de l’Etat, accroissement de la dette, baisse de la croissance, chômage…
Serait-ce dû à un manque d’aide de l’Etat ?
Je ne le crois pas, les subventions versées par ce même Etat aux sociétés sont supérieures à 130 milliards d’Euro aujourd’hui.
Il faut ici rappeler la réponse des armateurs de Saint Malo à qui Louis XIV demandait comment il pouvait les aider dans leur concurrence avec les Anglais. La réponse fut sublime « Surtout, surtout Sire, ne nous aidez pas».
La France crève du Colbertisme de sa classe dirigeante, dont l’article du Figaro est un parfait exemple.
Si la question est donc, pour revenir à la problématique du jour, » comment insuffler un nouveau souffle à l’industrie française ma solution est toute simple:
« Libérer le capital et le travail, délivrez l’entrepreneur ».