Anticipée, redoutée et même annoncée par le Ministre de l’économie Bruno Le Maire, la vague de faillite aura bien lieu et d’ici quelques mois à peine. Dans le secteur du commerce, notre enquête menée en trois parties, du 17 mars au 3 juin 2020, démontre qu’il y aura au moins douze mille cessations d’activité uniquement dues à la crise liée au coronavirus et probablement beaucoup plus.
« Certains craignent une 2ème vague de coronavirus ? En tout cas, une 2ème vague de fermetures est déjà à prévoir pour les commerces ! Et ça, peu de gens ont l’air de s’en rendre compte. Après la crise, les quartiers commerçants, déjà en déclin, auront beaucoup de mal à rebondir et ce déclin va s’accélérer et créer la fermeture de nombreux autres commerces ». Dominique Moraux, experte en stratégie digitale et intervenante auprès de nombreuses communes, dressait ainsi ce constat alarmant dans nos colonnes en pleine période de confinement. Depuis, les aides de l‘Etat s’étant améliorées et la reprise aidant, le tableau semble un peu moins noir, mais pour l’heure, point d’embellie à l’horizon.
Le choc de l’obligation de fermeture administrative
La fermeture brutale des restaurants, puis des commerces à la mi-mars 2020 restera gravée dans la mémoire des commerçants, quand on peut clairement parler de traumatisme pour certains : juste après la décision de confinement, 1 commerçant sur 3 se déclarait désemparé ou « abattu », dans l’enquête que nous avons réalisée du 17 mars au 4 mai 2020 auprès de 2 221 commerçants. « Les résultats de cette étude ne sont pas très étonnants… L’anxiété massive liée à la perte d’exploitation et au climat angoissant associé à cette pandémie peuvent conduire à une certaine fragilité sur le plan psychique. Ne pas céder à la panique : plus facile à dire qu’à faire lorsqu’en tant que commerçant, on ne sait pas si l’on sera en capacité de faire face à la crise économique qui va suivre la crise sanitaire… Si avoir peur est une réponse tout à fait normale face à l’épidémie, dans un climat anxiogène où le chef de l’État n’hésite plus à parler de “guerre”, chez certains, cette émotion peut prendre le pas sur tout le reste et entraver leur bien-être. Difficulté à s’endormir, stress, angoisse : l’anxiété devient un problème lorsqu’elle empêche de vivre normalement », décrypte ainsi Jérôme Palazzolo, Psychiatre – Psychothérapeute, Professeur au département Santé de l’Université Internationale Senghor et chercheur associé au LAPCOS (Laboratoire d’Anthropologie et de Psychologie Cognitives et Sociales) au sein de l’Université Côte d’Azur.
« Une angoisse qui sera plus marquée dans le cas des couples d’indépendants forcément plus exposés aux difficultés, par rapport aux commerçants dont le conjoint est salarié », précise Anaïs Daniau, Enseignante à l’Institut National Universitaire Champollion et Docteure en sociologie, membre associé au laboratoire CERTOP (Maison de la Recherche, Université Toulouse II). Et, si près d’un commerçant sur deux se déclarait « confiant ou moins stressé » en fin de période de confinement, 15% des commerçants étaient toujours déprimés ou « abattu » un mois après la reprise, certains avouant la prise d’anxiolytiques. Les centaines de témoignages déposés sur notre média lechommerces.fr en atteste, tel celui de cette commerçante qui s’indigne : « Nous on en prend plein la gueule et on a créé une fracture énorme dans notre société, avec les Héros d’un côté et les “non indispensables” de l’autre…Mesure t-on l’effet psychologique de dire à de nombreux travailleurs indépendants vous êtes inutiles à la société ??? ».
Des difficultés avant la crise du Covid-19
Des commerçants jugés ainsi maladroitement « non indispensables », mais qui se sentent incontournables lorsqu’il s’agit de contribuer aux recettes de l’état au travers d’impôts et charges jugées, ce n’est pas nouveau, trop élevées, mais aussi inéquitables au regard de celles payées par les multinationales, pour ne pas nommer Amazon. L’ogre de Seattle qui fait partie des gagnants de la crise et qui du point de vue des commerçants n’a pas eu à souffrir de causes extérieures à son activité. Des difficultés extérieures auxquelles 85% des commerçants en revanche se sont retrouvés confrontés. Et en premier lieu, par les manifestations liées au mouvement des gilets jaunes « avec leurs blocages et manifs en centre-ville ils ont mis en difficulté nombre de commerces dans un contexte déjà difficile, au point de ne plus pouvoir se sortir un salaire », témoigne ainsi Maryline David gérante de la Lingerie Costes, à Rodez. Des manifestations qui se sont répétées un an après avec la réforme des retraites et qui précédaient dans bon nombre de centres-villes des baisses d’activités liées à des travaux telles que des constructions de lignes de tramway.
Les restaurateurs désemparés
« Nous avons un petit bar resto et depuis la fermeture les jours se suivent emportant avec eux notre bonne humeur. Les nuits blanches se succèdent et les larmes ne sont jamais loin. Dépression diront certains. Oui, sûrement, l’impression aussi d’être lâché et pourtant on ne rechigne pas sur nos heures 12 …. 15h par jour sans vraiment de congés puisque c’est compliqué de fermer, les gens dans notre situation comprendront. On paye notre indépendance, notre volonté de faire vivre notre village. Beaucoup comme nous se pose la question du … « Après ». Après aurons-nous envie de payer encore plus de taxes pour aider l’Etat ? Après aurons-nous les moyens en trésorerie pour assumer cette perte qui n’en finit pas ? Après aurons-nous envie tout simplement ? Là, c’est le cœur lourd que j’écris, lourd et fatigué. » Ce témoignage anonyme que nous avons reçu le 29 avril décrit malheureusement bien l’état de détresse psychologique dans laquelle se sont retrouvés nombre de restaurateurs. Un sur deux avouant être désemparé ou abattu lors des premiers jours de confinement et un restaurateur sur cinq déclarant ne pas pouvoir éviter la cessation d’activité.
C’est un fait, le secteur de la restauration (CHR), cafés et hôtels compris donc, a été l’un des plus impacté par cette crise liée au Coronavirus. Parmi les premiers à tirer le rideau, les restaurateurs ont tout au long du confinement manqué cruellement de perspectives, quand d’autres commerçants pouvaient, au moins, entrevoir une réouverture. Un impact psychologique plus marqué chez les restaurateurs qui est probablement due aussi à la décision brutale de fermeture, contraignant ainsi tous les établissements à liquider immédiatement leurs denrées périssables (un préjudice subit également par les fleuristes). Et, « un bonheur » ne venant jamais seul, la majorité des restaurateurs ayant souscrit une assurance perte d’exploitation, se sont vus refuser, tout comme les autres commerçants, la prise en charge, alors même que la profession accusait une période de fermeture parmi les plus longues !
La mode doublement pénalisée
S’il est un secteur qui avait le plus à redouter cette crise, c’est probablement le secteur de la mode. Après douze années de baisse continue du marché (sauf pour les vêtements de sport), les détaillants mode étaient déjà en grande partie fragilisés. Ainsi et après 7 semaines de confinement, les trois quarts d’entre eux déclaraient être peu ou pas confiant dans l’avenir, 15% avouant même ne pas pouvoir éviter une cessation d’activité. A la crise conjoncturelle, « la crise Covid » a ajouté le problème de la gestion des sur-stocks, obligeant ainsi les commerçants à négocier des accords pas toujours faciles avec leur fournisseurs, tandis qu’ils subissaient de plein fouet la concurrence déloyale du e-commerce et des grandes surfaces. « J’ai entendu ce matin à la radio, une promotion à moins 50% sur tout le textile au SUPER U de Biscarosse, quelle honte. Et moi je dois rester fermé ! » s’insurgeait ainsi en pleine période de confinement Isabelle Merkling, gérante de la Boutik d’Isa dans le département des Landes.
Les commerces restés ouverts affichaient logiquement moins de pessimisme, avec seulement 7% de commerçants véritablement inquiets, tandis que les salons de coiffures et les esthéticiennes restaient majoritairement confiants pour leur avenir, pour respectivement 54% et 57% des répondants. Les gérants de campings, de salles de sport, de spectacles et de discothèques ont passé en revanche, de longues nuits blanches, tant les perspectives de réouverture semblaient éloignées. Alors « Oui, il y aura des faillites dans le commerce », concédait le 4 mai dernier, le Ministre de l’économie, assurant que les dispositifs d’aides seraient maintenus. Mais, vu l’état de nos finances, pendant combien de temps, l’état peut-il se permettre de maintenir, au moins en partie, les entreprises sous perfusion ? Des commerçants qui ne sont pas dupes et qui savent compter. Sur eux-mêmes par la force des choses, mais qui doivent aussi « compter » sur les additions futures qu’ils devront, au moyen des charges et des remboursements de prêts PGE, contribuer à régler. Un énorme défi pour les mois qui viennent, comme le souligne le Docteur Jérôme Palazzolo : « Pour ce qui concerne le déconfinement, certains s’en réjouissent, d’autres l’appréhendent. Ce retour à la vie (presque) normale peut s’annoncer psychologiquement difficile, d’autant que pour la plupart des commerçants et restaurateurs cette période s’accompagne de frais fixes et de charges qui viennent alourdir un bilan problématique. » Pour ceux qui ne seront pas submergés par la vague de faillite, la nage à contre-courant va être périlleuse.
Comment cette enquête conduit-elle au chiffre d’au moins 12 000 faillites supplémentaires ? D’après les dernières statistiques connues de l’INSEE, il y avait 445 948 commerces de détail en 2017. Selon notre enquête 5,6 % des commerces ne vont pas pouvoir éviter la cessation d’activité et toujours selon notre enquête, 51% des commerçants indiquent que les difficultés qu’ils rencontrent « sont clairement dues à la crise liée au Covid-19 ». Ainsi, théoriquement 12 736 commerces devraient malheureusement se retrouver en cessation d’activité d’ici quelques mois à cause du coronavirus et probablement plus, car lors de notre première consultation les répondants indiquaient à plus de 11% ne pas pouvoir éviter la faillite, soit le double du chiffre que nous avons retenu. Si les aides ont certainement permis temporairement à ces commerçants « de tenir » , il est fortement probable que tous ne pourront pas retrouver un niveau d’activité à même de permettre le remboursement des dettes. Et par ailleurs certains commerçants, s’estimant déjà en situation de faillite potentielle, n’ont pas répondu à la seconde enquête faisant état d’une baisse des cessations d’activité à 5,6%. Il est donc malheureusement fort probable qu’en fait 7 à 8,5% des commerces de détail se retrouvent en cessation de paiement, soit plus de 31 000 commerçants, dont 16 000 faillites directement liées à la crise sanitaire du Covid-19.
Merci Macron et ses macronneries !