Coronavirus: l’inertie tragique de nos institutions face à la crise impose un big-bang dans l’administration

L’incompétence de l’État jacobin, doublée de l’arrogance des technocrates et du mensonge d’État, sont chaque jour davantage mis en cause.

AFP
Une délégation d’urgentistes en grève entrant au ministère de la santé alors que de nombreux manifestants réclament de meilleurs salaires et plus de personnel, le 11 juin 2019 à Paris.

La prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 24 juillet a suscité de la part de certains commentateurs la réflexion que la France était sortie de la démocratie.

Si les questions de crise sanitaire et de crise économique n’en sont plus -seules l’ampleur et la durée restent en discussion- en revanche, le sujet démocratique et institutionnel ne fait que s’ouvrir.

La démocratie a été passablement écornée par les mesures qui ont été prises et surtout par le processus avec lequel le gouvernement y est parvenu. En effet, la loi du 23 mars 2020 a été votée dans des circonstances plus qu’acrobatiques et  les dispositions pour la sortie du confinement n’ont pas fait l’objet d’un vote au sens démocratique du terme: aucun temps donné aux parlementaires pour réfléchir, pas de possibilité d’amendement, pas de mise en place du vote électronique pour tous les députés et une absence de la majorité d’entre eux pour des questions sanitaires, etc… le comble de l’absurdité a sans doute été de faire croire qu’il y avait une concession démocratique considérable dans le fait d’accepter de faire voter le Parlement sur le projet de déconfinement….

Quant au contenu même du texte, il est parfaitement anti-démocratique dans la mesure où le gouvernement est autorisé à légiférer par ordonnances pour un temps très long, qui va bien au-delà de l’urgence sanitaire et surtout les mesures qu’il est autorisé à prendre sont sans rapport nécessaire avec la crise sanitaire. En réalité, aucun délai n’est fixé pour la validité des mesures décidées. Cette sortie de l’état de droit a donc permis au gouvernement de nombreux coups de canif dans le contrat: par exemple, permettre aux préfets de déroger à toutes les règles sociales et environnementales et sans aucun contrôle, supprimer le respect élémentaire des droits de la défense… Plusieurs pages seraient nécessaires pour détailler tous les avantages consentis à tel ou tel, demandés mais non obtenus jusque-là, pour des raisons évidentes et qui tentent de passer sous le radar avec l’urgence sanitaire. Qui peut nous expliquer pour quelles raisons la lutte contre la pandémie justifie de telles mesures?

 

Les Français sont à la recherche d’une autre organisation politique et ce qui se passe sur le terrain dessine incontestablement les évolutions.

 

Et l’accumulation d’erreurs depuis le début de la crise sanitaire prouve la crise démocratique qui est avant tout une crise de confiance et un constat d’incapacité de nos institutions à intervenir en temps de crise. En effet, derrière la crise démocratique se profile une crise institutionnelle qui justifie une réforme profonde de notre système politique et administratif, voire une révision de la Constitution.

L’incompétence de l’État jacobin, doublée de l’arrogance des technocrates et le mensonge d’État relayé par des médias soit par indisponibilité d’autres informations, soit par faute d’indépendance, est chaque jour davantage mise en cause. Ce matraquage médiatique depuis le début de la crise du coronavirus conduit finalement à une absence de réflexion, ce qui interpelle directement notre système institutionnel. Que tout puisse être décidé par un seul homme, même s’il a été élu, appuyé sur un conseil scientifique (qu’il a lui-même désigné dont la diversité n’est pas la caractéristique première et qu’il invoque selon ses propres souhaits) n’est pas acceptable en principe et ne l’est particulièrement pas dans la crise actuelle. L’opposition politique est inaudible alors que le débat est plus que jamais indispensable et les dérives de la macronie tant en ce qui concerne la faiblesse politique de ses députés que l’inexpérience de ses ministres (à quelques exceptions près) que l’influence des lobbies sont éclatantes. Cette situation remet en cause l’organisation même de nos institutions et ce n’est pas un hasard si le nombre d’initiatives venues de la société civile, de sociétés savantes, et même d’organisations politiques pullulent. Les Français sont à la recherche d’une autre organisation politique et ce qui se passe sur le terrain dessine incontestablement les évolutions:

– une organisation beaucoup plus girondine dans laquelle les territoires se voient reconnaître une réelle autonomie tant réglementaire que financière avec bien entendu de réels contre-pouvoirs tant au niveau des oppositions locales que des organisations citoyennes

– le retour à un équilibre des pouvoirs entre gouvernement et Parlement avec la suppression des ordonnances qui sont des blancs-seings donnés sans aucun contrôle réel, et le passage soit à un régime présidentiel avec un Parlement beaucoup plus puissant (ce qui signifie la réduction massive des outils de rationalisation du parlementarisme c’est-à-dire de réduction des droits du Parlement) ou le retour à un Premier ministre qui gouverne réellement et peut donc être renversé, les pouvoirs du président de la République étant considérablement réduits dans cette deuxième option

– la création d’une véritable chambre de la société civile, dotée de pouvoirs à la fois pour se prononcer en amont du Parlement sur les textes et pour pouvoir saisir le Conseil constitutionnel en aval

– un renforcement de la justice avec non seulement des moyens dignes de ce nom pour le système judiciaire mais une refonte complète du rôle du Conseil d’État qui ne peut plus jouer à la fois le rôle de conseil du gouvernement et de juge de toutes les décisions qu’il prend y compris en matière de libertés publiques. Le Conseil d’État ne devrait garder que le rôle de conseil du gouvernement; les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel intégreraient le système judiciaire et une chambre administrative serait créée à la Cour de cassation à laquelle les membres actuels du Conseil d’État pourraient décider de siéger à la condition bien sûr d’abandonner le Conseil d’État

– une refonte du rôle de la loi et du règlement pour réduire massivement l’inflation juridique qui est une source d’insécurité, d’inégalité et de contraintes inutiles

Bien d’autres propositions pourraient être formulées et il ne s’agit que de pistes. Mais le sujet doit être mis sur la table.

Cette réforme institutionnelle doit se doubler d’une révolution administrative. Chacun a pu mesurer l’inanité des choix effectués depuis des années tous gouvernements confondus, la primauté absolue de Bercy, la captation des fonds publics par des systèmes administratifs au détriment des professionnels chargés de remplir la mission, l’inertie tragique de l’organisation administrative. Tout ceci n’est plus acceptable. Il faut faire le big-bang de l’administration française et c’est sans doute la Cour des comptes qui serait le mieux à même de formuler les propositions issues des multiples rapports de très grande qualité fournis chaque année et qui ne sont quasiment jamais suivis de réponses. Il faut envisager non seulement une réorganisation des ministères et de leurs compétences mais également une règle intangible laissant la très grande majorité des fonds alloués à un service public pour le fonctionnement de ce service et non pour l’administration chargée de l’administrer. L’hôpital qui ne se voit allouer qu’une très faible minorité des fonds publics alloués à la fonction sanitaire et dont les personnels ont pleuré et imploré dans le vide durant des années. Il devrait être le premier bénéficiaire de cette révolution de bon sens: la dépense publique doit aller au service public et non pas à l’administration du service public.

En bref, de cette très grave crise, espérons que nous saurons collectivement non seulement nous relever mais tirer les conséquences de nos erreurs tragiques pour qu’a minima elles ne se répètent pas. La meilleure manière de nous guérir et de réparer est de co-construire ce que nous voulons, faute de quoi la spirale de la violence pourrait nous conduire vers des temps lugubres.

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