Air France : la République des copains-coquins en difficulté par Eric Verhaeghe

Par Éric Verhaeghe.

avion C-FFYG EMB-175by Doug (CC BY-NC-ND 2.0)

Après la loi Rebsamen qui a permis à l’État d’infliger aux entreprises de grandes leçons sur le dialogue social et ses innombrables vertus, Air France donne le triste spectacle d’un naufrage où l’État employeur ou donneur d’ordres se révèle incapable d’appliquer le dixième des préceptes qu’il met en avant pour justifier ses diktats au secteur privé.

Air France et les copains-coquins

Il faut d’abord tordre le cou au mythe grotesque selon lequel Air France serait une entreprise privée comme les autres. Pour s’en persuader, rappelons simplement la réalité capitalistique du groupe. Privatisée en 1999, Air France ne compte qu’un seul actionnaire de référence : l’État français, qui détient 15% du capital. Le reste du capital est « flottant » avec une évolution du cours qui en dit long. Introduite en bourse en 2002 au prix nominal de 14€, l’action Air France n’en vaut même plus 7 aujourd’hui. Le petit épargnant français qui a cru à sa compagnie nationale a perdu 50% des économies qu’il y a placées en moins de 15 ans.

La réalité d’Air France est qu’en dehors de l’État, personne n’y exerce de véritable pouvoir et la compagnie ressemble beaucoup au capitalisme russe : ce sont des fonctionnaires qui l’accaparent aujourd’hui en prétendant qu’ils sont devenus, par l’opération du Saint-Esprit, des moghuls du capitalisme.

Le PDG du groupe Air-France KLM, Alexandre de Juniac, est conseiller d’État et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, parachuté en 2011 pour remplacer Jean-Cyrille Spinetta, lui-même énarque. Le président d’Air France, Frédéric Gagey, est polytechnicien et ancien de l’ENSAE, inspecteur des finances. Ces cursus ne disqualifient pas les hommes. Ils disent simplement la proximité naturelle entre l’État et Air France, et l’appropriation de la compagnie nationale par une technostructure plus ou moins politisée.

De grâce, que ce havre des copains-coquins ne nous soit pas présenté comme l’exemple parfait de l’entreprise luttant dans un monde de concurrence libre et parfaite. Et si certains avaient encore un doute sur le sujet, la nomination du conseiller social de Valls à la direction des ressources humaines du groupe permet de dissiper toute hésitation.

Air France, paradigme du management public

Que le dialogue social soit épouvantable dans notre compagnie nationale est une évidence. La grève des pilotes, essentiellement traitée par voie de médias, au mois de mai, en avait donné un signe avant-coureur. Tous ceux qui ont activement lutté pour la réforme du dialogue social façon Rebsamen, avec force considérations sur les bienfaits de la négociation, ont donné une superbe démonstration de leur savoir-faire personnel en la matière.

L’expérience montre qu’il ne suffit pas de donner des leçons pour savoir les appliquer !

Les Français qui ont vu, médusés, le directeur des ressources humaines du groupe se heurter à la porte de la salle où se tenait le comité d’entreprise à l’origine de toutes les violences, essayer en vain de déverrouiller une serrure fermée par Gagey et Juniac en fuite, ont compris ce qu’était la gestion publique. Les officiers généraux du groupe ont prestement abandonné leur colonel sur le champ de bataille, lui laissant le soin de mourir au champ d’honneur pendant qu’ils se carapataient courageusement.

On imagine sans peine qu’après cet épisode glorieux, Gagey et Juniac pourront donner des conférences sur le management socialement responsable dans les toutes les grandes écoles de commerce du monde. Les mêmes ont courageusement, quelques jours plus tard, mis à pied sans salaire cinq auteurs présumés de violence. Le management par le courage et l’exemple est ici à l’œuvre.

Au moins, les Français n’ont plus d’illusion, les hauts fonctionnaires si soucieux de l’intérêt général et si prompts à dénoncer les petits patrons poujadistes et exploiteurs se révèlent de redoutables hyènes quand ils sont en position de responsabilité.

Les syndicats jouent leur partition

Dans ce concert de faux semblants, la position des organisations syndicales ne manque pas de piquant. Officiellement en effet, la CGT et FO cautionnent à des degrés divers les violences qui ont été commises en stigmatisant les violences patronales que constituent les licenciements. Pour un peu, on sortirait un mouchoir et on pleurerait, si on ne se souvenait pas que l’employeur violent est un faux nez de l’État et qu’aucun capitaliste n’a mis un euro dans le groupe.

Ces mêmes organisations syndicales oublient quelques détails sur la façon dont elles instrumentalisent le groupe et le conflit à leur propre profit.

La position de la CGT en constitue un superbe exemple. Chargée de la gestion des richissimes œuvres sociales du comité d’entreprise du groupe, la CGT s’est retrouvée à la tête du comité d’entreprise, qu’elle a tout droit envoyé en redressement judiciaire. Pendant des années, en effet, le comité d’entreprise a servi de refuge à tout un tas de copains qui ont vécu aux frais de la princesse. Rappelons quand même que les subventions accordées par Air France à ce comité flirtent avec les 100 millions d’euros annuels, soit un tiers des économies annuelles que le groupe cherche à réaliser…

Comme la CGT, FO, l’autre syndicat qui trouve tant d’excuses à ceux qui ont violenté le directeur des ressources humaines, oublie savamment de rappeler que les patrons provocateurs d’Air France sont issus des rangs de l’État et prospèrent dans une ex-nationalisée toujours détenue par l’État. Mais on imagine que FO qui, comme la CGT, est dominée par ses fédérations de fonctionnaires, préfère mentir à ses militants en faisant vivre le mythe d’un capitalisme agressif qui détruirait les emplois.

On s’amusera lundi prochain de voir Jean-Claude Mailly se rendre à la Grande Conférence Sociale où il négociera des prébendes pour son organisation : là, une présidence pour l’un des bureaucrates syndicaux de sa confédération, ici une réglementation favorable qui préservera les circuits de financement de sa maison si pauvre en adhérents.

C’est le jeu du syndicalisme français que de prendre des postures si semblables à celles du pouvoir exécutif : faites ce que je dis, mais ne faites surtout pas ce que je fais.

Valls rappelle qu’Air France est d’abord une entreprise publique

Le gouvernement a tenté de faire vivre le mythe selon lequel Air France était une véritable entreprise. Il s’est donné l’illusion que les dirigeants d’Air France n’étaient pas aux ordres et qu’ils étaient de vrais patrons. Le problème dans la vie est qu’on peut bien se mentir entre puissants arpentant les couloirs de la Cour, tôt ou tard la vérité finit par éclater aux yeux des petites gens qui n’ont pas de malice.

Ainsi, après avoir rendu en grande pompe visite à l’état-major d’Air France pour y dénoncer les gueux qui avaient fomenté cette jacquerie, Manuel Valls découvre peu à peu l’imposture des mammouchis qui dirigent la compagnie aérienne. Outre que cinq manants ont été arrêtés à l’aube devant leurs enfants pour subir le supplice de la roue en place de Grève, les super-managers Gagey et Juniac se sont sentis obligés d’en rajouter une louche en les suspendant sans le sou et sur-le-champ.

On leur conseille d’abord vivement de ne pas se tromper parce que, si la justice innocente les cinq incriminés en question, l’équipe Gagey et Juniac risque de se retrouver dans de beaux draps… C’est un coup à présenter sa démission dès le lendemain de la relaxe, voire le soir même.

En outre, on peut se demander quel intérêt les deux lascars peuvent avoir à jeter de l’huile sur le feu dans un conflit qui tourne vilain. Gagey et Juniac peuvent bien s’imaginer être de grands entrepreneurs prêts à conquérir le monde, et se pousser du col pour se distribuer Légion d’Honneur et autres rubans qui permettent d’identifier les mérites économiques pour ceux qui peinent à les prouver, ces petits mensonges n’abusent qu’eux. Ils sont d’abord à la tête d’une entreprise publique qui s’enfonce sans discontinuer dans le marasme, pendant que ses concurrents internationaux gagnent de l’argent.

Ce rappel-là devrait les rendre modestes et les convaincre d’abandonner leurs airs de cow-boys avant que leur maître l’État ne les y contraigne. Le petit mot de Manuel Valls sur le plan social qui pourrait être évité en dit long sur l’imposture qui se dissipe : Air France devrait rapidement revenir à une logique étatiste où, peu ou prou, le contribuable devra venir en aide au pauvre salarié d’Air France victime de la violence patronale.

Puisque, c’est bien connu, la solidarité consiste à sacrifier l’intérêt général à quelques intérêts particuliers.

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