– Que connaissent-ils vraiment de l’entreprise ?
– Sont-ils prêts à aller sur le terrain ?
– S’ils ne connaissent pas le monde de l’entreprise, comment peuvent-ils s’estimer représentatifs de la population française ?Denis Terrien, le président de l’association, explique que son idée est venue du constat « que les députés français connaissent peu l’entreprise » (ce qui est une façon gentille de dire qu’ils sont, dans leur écrasante majorité, de parfaits ignorants de la question). Le but de ces stages est de faire assister le député à « une réunion d’investissement, une réunion avec des partenaires sociaux, une réunion d’embauche, pour mieux comprendre la vie de l’entreprise » … Et, probablement, d’aborder les questions que j’évoquais au précédent paragraphe.
Questions auxquelles les députés se sont déjà très rapidement employés à répondre aussi mal que possible, en se défilant, bien sûr, et en passant bien vite à un autre sujet. C’est dommage, les vacances approchent et il sera d’autant plus dur pour eux de trouver un stage s’ils s’y prennent à la dernière minute, bande de petits coquins. D’autant que le sacrifice n’est vraiment pas violent puisque le stage envisagé ne dure qu’une semaine.
Oui, vous avez bien lu : la proposition n’est bien que d’un stage d’une semaine, ce qui laissera à nos élus largement assez de temps pour prendre des vacances avant de retourner « travailler » en septembre, moment auquel ils pourront faire un petit bilan de leur expérience en entreprise en pondant une nouvelle brouettée de lois idiotes (par exemple, visant à supprimer la précarité en l’augmentant d’un coup).
Malgré tout, ne boudons pas notre plaisir : cette idée de stage est intéressante à plus d’un titre.
Déjà, pour commencer, elle permet de rappeler que les députés n’ont pour la plupart aucune idée de ce qu’est l’entreprise. C’est toujours gênant pour des gens qui seront, par la suite, chargés de mettre leurs gros doigts dedans par le truchement de lois toutes plus complexes et détachées du terrain les unes que les autres. D’autre part, cela permet de mettre sur la place publique l’importance d’un stage, d’une exposition à l’entreprise, et par là même, faire naître l’idée qu’un député ne devrait raisonnablement pas émettre un avis sur le monde du travail, de l’emploi salarié ou de l’entreprise sans avoir pris part, au moins une fois dans sa vie, à une telle expérience.
On pourrait ainsi imaginer augmenter la durée de ce stage à trois mois, période suffisante pour avoir un meilleur aperçu de ces petites tâches récurrentes qui font la joie du chef d’entreprise : déclarations de TVA, délais fournisseurs, établissement de feuilles de paie, gestion du personnel et des congés maladies extensifs obtenus par certains salariés peu scrupuleux acoquinés avec certains médecins accommodants, relations (joyeuses) avec les banques, relances URSSAF, inspecteurs du travail, contrôles fiscaux, paperasserie diverse et variée imposée par la loi mais dont l’utilité pour la bonne marche de l’entreprise est strictement nulle, etc… Inutile ici de dresser une liste exhaustive de toutes les petites vexations auquel le patron d’une PME ou d’une TPE est confronté, ce serait plus long que le billet lui-même. En revanche, nul doute que le stage du député serait rapidement mis à profit : ce dernier pourrait par exemple être employé à remplir les Cerfas et autres formulaires rigolos que notre administration pond à tire-larigot.
Le calvaire moyen ne servirait sans doute pas à décrasser les élus les plus hermétiques à toute forme d’intelligence, mais aurait, on peut en être sûr, un petit côté vaccinant sur les autres qui pourrait se traduire dans une législhorrée un peu moins vigoureuse (on peut rêver).
D’autre part, on pourrait aussi envisager très sérieusement de rendre un tel stage rigoureusement obligatoire après l’élection d’un député ou d’un sénateur, obligeant celui-ci à n’entrer en fonction que muni d’un certificat de passage, obtenu par exemple à la remise d’un rapport de stage en bonne et due forme. Bien évidemment, le député ou le sénateur ne pourrait en aucun cas travailler dans une entreprise de plus de 1000 personnes, ou dans une entreprise où l’État a des parts ou une participation, même lointaine, l’idée étant ici d’éviter toute collusion et conflit d’intérêt malencontreux qui heurterait, on peut en être sûr, le citoyen honnête qui s’agite en chaque Français (et donc, en chaque élu). Et quand on y pense, quel bénéfice on pourrait tirer de ces élus fraîchement affranchis de la vie réelle, arrivant sur les bancs de l’assemblée trois mois après leur élection, une fois l’excitation électorale calmée, et les pieds retombés sur terre !
Maintenant, j’ai bien conscience que tout ceci poserait un petit problème assez technique : lorsqu’on constate la moyenne d’âge de l’assemblée nationale, on doit se rendre à l’évidence : disperser cette brochette de vieux croûtons dans des stages en entreprise risque de s’avérer particulièrement délicat. Je passe sur l’évidente problématique des plus de 70 ans (une cinquantaine tout de même) qui devraient être débarqués purement et simplement, au motif que la retraite en France est, jusqu’à preuve du contraire, avant 70 ans (et puis ça renouvellera les bancs de l’Assemblée en diminuant ses frais de naphtaline). Reste à présent le gros de la troupe, c’est-à-dire des sexagénaires et autres quinquagénaires dont, je le rappelle, la majorité n’a jamais réellement connu le travail en général, et le travail en entreprise en particulier.
Comment imaginer ces apparatchiks, flanquant le patron d’une PME, à remplir des formulaires qu’ils ont aidé à mettre en place alors que, pour la plupart, la concentration nécessaire pour en lire la première page dépasse de loin celle qu’ils sont capables de mobiliser dans le cours d’une journée entière ? Comment croire que des Cazeneuve, Estrosi, Duflot ou Cambadélis pourraient tenir trois mois avec une vraie mission, un vrai travail, sans aide-de-camp, sans chef de cabinet, sans secrétaire, sans stagiaire ou sans béquille d’aucune sorte, alors que l’écrasante majorité de leur travail consiste maintenant à faire acte de présence et qu’ils ont minutieusement oublié toute idée d’effort personnel depuis leurs plus tendres années, qu’ils ne lisent leur dossier qu’une ou deux minutes avant d’en parler et que leurs fulgurantes pensées se résument le plus souvent à aligner des mots aussi creux que possible pour éviter de déclencher de la grogne entre deux élections ?
À l’évidence, il y a, avec cette idée de stage pour nos élus, matière à creuser mais on ne pourra s’affranchir de la nécessaire réflexion sur le renouvellement des élites, leur lien avec le monde réel, et l’impératif absolu qu’ils ont à s’y reconnecter de toute urgence…
Cela presse. Je ne suis vraiment pas sûr qu’il y reste encore du temps pour redorer la fonction.