Une hypothèse de folie

Supposons que vous soyez un homme ordinaire. Vous disposez d’un salaire ordinaire. Votre famille de deux enfants est très ordinaire. Vous n’êtes ni un privilégié, ni un déclassé à la ramasse. Vous êtes conscient d’être plusieurs millions dans votre cas.

Bien que vivant dans une grande ville, il se trouve que vous aimez la nature. Vous aimez aussi le calme, vous avez le sens de l’amitié. Vous n’avez pas le « melon », vous ne voyez pas très bien d’ailleurs ce qui le justifierait.

Il arrive que certains, voire vos propres enfants, vous traitent de « français moyen », au pire de « beauf ». Vous laissez dire sans imaginer que cela pourrait être une insulte, d’ailleurs ce n’en est pas une, juste une petite moquerie sans conséquence ni méchanceté.

Votre appartement, votre voiture, votre garde-robe, vos meubles et vos économies sont un peu trop petits, mais vous vous faites une raison. Que faire d’autre ?

L’été vous allez à la campagne ou à la mer. Vous en avez un peu marre d’être parqué dans ces nouveaux campings type camp de concentration, mais votre budget ne vous permet pas les villages de luxe.

Il arrive que vos parents vous rappellent les campings libres d’antan, ceux de votre jeunesse où il n’y avait ni clôture ni scène de spectacle. Où vous alliez directement avec les gamins de votre âge vous amuser dans l’eau, dans les champs ou dans la forêt.

Aujourd’hui, vous regardez négligemment vos enfants prisonniers non seulement des clôtures du camping mais aussi de leurs portables. Alors que vous étiez joyeux et imaginatif à leur âge, vous les trouvez soucieux et tristes. Mais vous vous dites : « il est normal que les temps changent, j’étais différent de mes parents, ils sont différents de moi ».

Vous en êtes là de vos réflexions quand une idée folle vous passe par la tête.

Certes vous n’êtes pas très riche, mais vous avez trois francs six sous d’économies. Cette année vous êtes dans l’île d’Oléron. C’est la troisième fois que vous y venez. La nature vous plait. Les forêts sont majestueuses, là, si prés de la mer. Les plages sont impressionnantes, les parcs à huîtres dessinent un paysage à la fois apaisant et volontaire, accompagné de couleurs improbables.

Vous achèteriez bien un bout de terrain pour installer un cabanon. Ici, sur cette levée entre mer et parcs à huîtres. Le matin le soleil se lèverait sur les parcs, à midi la forte chaleur vous verrait à l’abri des premiers arbres de la forêt et le soir le soleil vous éclairerait en se couchant derrière la dune, sur la mer.

D’ailleurs, là, juste au bout du chemin, une ancienne cabane ostréicole a été rachetée par un parisien, il l’a repeinte, il y passe l’été. Vous l’enviez, d’autant que, d’après les informations que vous avez réussi à glaner au bar du camping, entre deux bousculades et trois réflexions désagréables, son investissement serait dans vos possibilités.

Alors là ni pensez pas, arrêtez de vous faire du mal, ce n’est pas pour vous. Je vais vous expliquer.

Il y a quarante ans l’île d’Oléron était un espace libre où les braves gens comme vous achetaient effectivement un petit bout de terrain, y mettaient un cabanon et, tous les étés, y passaient des moments de bonheur absolus.

Mais ils ont été traqués, pourchassés par les bureaucrates, leurs cabanons détruits, la plupart du temps leurs terrains expropriés.

La vue de tous ces gens ordinaires et heureux choquait la pureté de l’air et du sol que les nouveaux princes voulaient purs autour de leurs maisons à gros budgets.

Ils ont dégainé l’arme absolue, les plans d’urbanisme.

La bombe thermonucléaire qui a vidé et aseptisé nos paysages bucoliques, en même temps qu’elle a aspiré dans son trou noir toute la fantaisie de nos villes — mais ceci est une autre histoire –

C’est elle qui vous parque dans ces campings concentrationnaires, qui vous colle en ville des voisins que vous ne souhaitez pas, qui vous fabrique des environnements impersonnels, qui vous ramène au rang d’objet bien rangé, alors qu’au départ vous étiez un être humain apte à décider librement de vos nids de vie.

C’est ce lointain souvenir animal de votre liberté fondamentale de choisir votre environnement qui refait surface quand vous pensez cabanon au bord de l’eau ou de la forêt.

Hélas vous ne faites pas partie des privilégiés, dommage.

Car, évidemment, ce qui vous est interdit est permis à d’autres, aux malins, au gratin de notre société.

Voilà la combine.

Vous devez vous déclarer artiste. Même si vous n’avez aucune compétence à ce sujet. Au niveau financier c’est assez cool, avec peu de travail vous devriez facilement arriver à devenir un « intermittent du spectacle », à défaut de rester un « intermiteux de la vie ».

Vous voilà dans la caste adorée du pouvoir. Alors les choses deviennent simples.

Vous allez pouvoir acquérir cette cabane ostréicole dont vous rêvez. Il vous suffira de la peindre de couleur vive, de déclarer votre nouveau statut d’artiste, et le tour est joué. Vous serez au cœur de la nature que vous aimez, vous pourrez y recevoir vos amis.

Les bien-pensants – les autorités — protègeront votre situation et votre capital en chassant tous les manants — dont vous étiez naguère — qui voudraient profiter aujourd’hui du même privilège que vous. Dans le plan d’urbanisme, ils ont classé toute la région en zone inconstructible pour les autres.

Elle n’est pas belle la vie sous régime socialiste collectiviste. Il suffit d’être du bon côté. Pour les autres, c’est plus dur. N’hésitez pas, changez vite de côté.

Bien cordialement. H. Dumas

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A propos Henri Dumas

Je suis né le 2 Août 1944. Autant dire que je ne suis pas un gamin, je ne suis porteur d'aucun conseil, d'aucune directive, votre vie vous appartient je ne me risquerai pas à en franchir le seuil. Par contre, à ceux qui pensent que l'expérience des ainés, donc leur vision de la vie et de son déroulement, peut être un apport, je garantis que ce qu'ils peuvent lire de ma plume est sincère, désintéressé, et porté par une expérience multiple à tous les niveaux de notre société. Amicalement à vous. H. Dumas

Une réflexion sur « Une hypothèse de folie »

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