Nous allons évoquer aujourd’hui un domaine très discret de la haute fonction publique dont les arcanes et avantages ne sont ouverts qu’à certains initiés forcément (très) privilégiés.
C’est un domaine où l’opacité règne ; c’est dire si le sujet est sensible … surtout dans un monde qui se veut transparent.
On le sait, la République est bonne fille, elle octroie des postes peu fatigants à des vieux routards de la politique ou à des hauts fonctionnaires méritants pour qu’ils puissent percevoir, en toute discrétion, des rémunérations … très confortables payées par vos impôts ; rémunérations qu’ils pourront cumuler avec de belles pensions de retraites payées aussi par … vos impôts !
Evidemment, ce système, si discret mais si avantageux et totalement hors normes, est empreint d’une forte dose de copinage et de petits arrangements avec la loi et la Constitution et fatalement, ces petits arrangements ne peuvent avoir lieu que loin du regard des français car … cela pourrait les énerver !
On ne s’étonnera donc pas que l’opacité soit volontaire …
De quoi parlons-nous ?
Du Conseil Constitutionnel, organe pivot de la Vème République, à propos duquel on se perd en conjectures : organe politique ou organe judiciaire, indépendant ou inféodé au pouvoir ?
Rappelons que la mission du Conseil Constitutionnel est normalement de se prononcer sur la conformité à la Constitution de 1958 des textes de lois nouvellement votés (avant leur promulgation par le président de la République).
Il peut être saisi par le président de la République, le premier ministre, le président du Sénat, le président de l’Assemblée Nationale, 60 députés, 60 sénateurs, et enfin par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) mais exclusivement à travers le filtre de la justice (dans le cadre de procédures pendantes devant le Conseil d’Etat ou la Cour de Cassation).
Ses neuf membres sont désignés pour 9 ans et leur mandat n’est pas renouvelable ; ce qui est censé garantir leur indépendance. Les anciens présidents de la République en sont membres droit.
Ils sont désignés à raison de 3 par le président de la République, 3 par le président du Sénat et 3 par le président de l’Assemblée Nationale. Le président du Conseil Constitutionnel est nommé par le président de la République et il a voix prépondérante en cas de partage. (Article 56 de la Constitution).
Jusque-là, tout vous paraît normal ?
Parce que c’est la partie visible de l’institution.
Là où ça devient intéressant, c’est lorsque l’on examine les choses d’un peu plus près … et c’est alors que les anomalies apparaissent !
Qui peut être nommé membre du Conseil Constitutionnel ?
Dans les autres pays, exception faite de la Belgique, il faut disposer de compétences juridiques de haut niveau pour être nommé à ce poste.
En France ?
Pas de problème, n’importe qui peut être nommé ; il n’y a aucune condition de compétence juridique notamment en termes d’études et de carrière juridique ; la nomination est à la discrétion des 3 présidents cités plus haut !?!
D’ailleurs, actuellement, il n’y a pas de professeur des facultés de droit, peu de juristes ; ce sont essentiellement d’anciens fonctionnaires et/ou hommes politiques professionnels.
Les compétences en droit (constitutionnel essentiellement) ne sont donc pas un critère de nomination pour un poste appelé essentiellement à se prononcer à propos de la conformité au droit constitutionnel !!!
Enfin, quand j’écris n’importe qui, j’exagère un peu quand même car, en fait, ces postes sont très convoités et, du coup, l’accès en est très difficile …
En fait, il faut être lucide : l’accès n’en est ouvert essentiellement qu’aux copains politiques ou dans le cadre de marchandages politiques !
Qui sont les membres actuels du Conseil Constitutionnel ?
-Jacques Mézard, avocat et homme politique, membre du mouvement radical, proposé par E Macron,
-François Pillet, avocat et homme politique, apparenté LR, proposé par Gérard Larcher, président du Sénat
-Alain Juppé, inspecteur des finances et homme politique, membre de LR, proposé par Richard Ferrand, alors président de l’Assemblée nationale.
-Jacqueline Gourault, enseignante d’histoire-géographie et femme politique, membre du MoDem, proposée par Emmanuel Macron,
-François Seners, haut fonctionnaire membre du Conseil d’État, proposé par Gérard Larcher, président du Sénat
-Véronique Malbec, magistrat, proposée par Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale.
-Laurence Vichnievsky, magistrat et femme politique, membre du MoDem, proposée par Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée Nationale
-Philippe Bas, haut fonctionnaire et homme politique, membre de LR, proposé par Gérard Larcher, président du Sénat
-Richard Ferrand, homme politique, membre de Renaissance (parti politique d’E Macron), proposé par Emmanuel Macron qui l’a en outre désigné en qualité de président.
Quant aux conditions de probité, elles sont carrément évacuées sous le tapis alors que, rappelons-nous, A Juppé, ancien premier ministre, a été condamné en justice et que R Ferrand, ancien président de l’assemblée nationale, n’a dû son salut qu’à une très opportune prescription des faits ; outre le fait qu’il a aucune compétence en droit mais présente l’immense avantage d’être … un ami et soutien indéfectible d’E Macron !?!
N’oublions pas enfin que L Fabius, ancien ministre et ancien député, qui a aussi été membre et président du Conseil Constitutionnel désigné par F Hollande alors président de la République, a lui aussi été poursuivi mais pas condamné par des pairs décidément bien indulgents dans l’affaire du sang contaminé !
En fait, nous avons un record de Présidents du Conseil Constitutionnel condamnés ou poursuivis ; ce qui est quand même un peu surprenant pour un organe qui prétend “juger” les lois. Le conflit d’intérêt n’est finalement pas un obstacle au système constitutionnel ce qui est quand même surprenant !!!
Le Conseil Constitutionnel est essentiellement un organisme de recyclage de politiciens has been aux compétences incertaines ou de fonctionnaires méritants.
Mais, quel prestige que de pouvoir terminer une carrière au Conseil Constitutionnel !
En fait, on comprend qu’il s’agit d’un système discrétionnaire et pas du tout démocratique de nomination des copains aux plus hautes fonctions de l’Etat … en remerciement des services rendus ou en vue d’obtenir certains avantages futurs …
Juges ou politiques ?
A vrai dire, le statut des membres du Conseil Constitutionnel est ambigu …
Dans la Constitution, le Conseil Constitutionnel n’est pas classé dans la justice et effectivement il ne se situe ni au sommet de la justice civile (Cour de Cassation) ni au sommet de la justice administrative (Conseil d’Etat) comme c’est le cas pour la cour suprême des Etats Unis (où il n’y a pas de droit administratif).
Ses membres sont des hauts fonctionnaires ou d’anciens politiciens … et sur 9, 7 sont classés homme ou femme politique presque tous issus du gouvernement ou du parlement ; c’est à dire qu’ils rendent des décisions à propos des textes écrits par des collègues qui peuvent être d’ailleurs du même bord politique !
Un esprit mal intentionné y verrait un flagrant conflit d’intérêts en estimant que le système n’offrirait pas des garanties d’impartialité suffisantes!!!
Mais pas nos dirigeants français !
Sachez quand même qu’un magistrat du siège statuant en matière pénale ne peut pas juger un prévenu s’il est intervenu dans le cadre de la procédure d’instruction. C’est prévu dans le code de procédure pénale pour éviter les dossiers « trop bien ficelés ».
Mais ici, pas de problème de cette nature !
En outre, contrairement à la plupart des Cours Constitutionnelles des autres pays, le Conseil Constitutionnel n’hésite pas à rendre des décisions politiques … le dernier exemple récent étant la censure de la loi Duplomb, le 07 aout 2025, concernant l’usage d’un insecticide autorisé partout ailleurs dans l’Union Européenne sauf … en France !
Ces décisions (il y en a eu 2) concernant la loi Duplomb posent d’ailleurs la question des limites des pouvoirs des membres du Conseil constitutionnel par rapport à ceux des représentants du peuple car il est devenu évident que le Conseil Constitutionnel a pris parti pour le gouvernement au mépris du droit voté par les représentants du peuple (Assemblée Nationale) !
On en tire fatalement la conclusion, que le Conseil Constitutionnel est un organe politique ; ce qui ouvre la porte à toutes les dérives …
Comment sont rémunérés les membres du Conseil Constitutionnel ?
Cette face du Conseil Constitutionnel est la plus occulte mais n’est pas la moins intéressante …
Selon la comptabilité publique, le premier poste de dépenses du Conseil Constitutionnel porte sur les charges de personnel (9,8 millions prévus en 2025) dont 2,16 millions pour les seuls « neuf Sages ».
Et cette rémunération présente des caractéristiques étonnantes …
Les membres du Conseil Constitutionnel perçoivent environ 15 000€ bruts par mois. Le problème est que cette rémunération ne respecte pas les règles de rémunération fixées par le législateur.
En 2022, les conseillers ont perçu une indemnité mensuelle de 6 400 € bruts par application de la loi organique de 1958 auxquels il faut ajouter 8 600 € bruts … sans fondement légal.
Comment ça, sans fondement légal ?
Oui, vous avez bien lu, plus de la moitié de la rémunération des membres du CC est versée en toute illégalité ; sans doute parce que 6.400€ par mois étaient jugés insuffisants alors que bien souvent ils cumulent cette rémunération « de base » avec des pensions diverses et variées …
Comment cela est-il possible ?
Il faut savoir que la partie illégale de leur rémunération résulte d’une simple lettre ministérielle du 16 mars 2001 adressée par Madame Florence Parly à M. Yves Guéna, alors président du Conseil Constitutionnel ; en violation de l’article 63 de la Constitution qui exige que cette rémunération soit fixée par une loi organique.
Or, aucune loi organique n’a statué sur cette sur-rémunération !
C’est à dire que les « Sages » sont les premiers à violer la loi qu’ils sont pourtant chargés d’appliquer et de faire respecter !?!
Et comment appelle-t-on une rémunération illégale dans la fonction publique : de la corruption et l’abus des deniers publics est un délit !
Et comment désigne-t-on l’ensemble du mécanisme : un pacte de corruption !
Dans quel but ? Acheter la conscience des sages ?
Evidemment, tout cela relève de la justice pénale … et il apparaît pour le moins surprenant que ceux qui sont chargés de faire respecter la Loi et la Constitution soient les premiers à l’enfreindre !
Cela gêne-t-il quelqu’un ?
Personne apparemment !
En outre, si jamais une telle loi était votée, elle devrait ensuite obligatoirement passer devant le Conseil Constitutionnel pour en contrôler la conformité … c’est à dire que le Conseil Constitutionnel validerait lui-même les rémunérations de ses propres membres !
Pratique non ?
Mais il est vrai qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même !
Saisi notamment par l’IREF, le Conseil d’État saisi n’a voulu ni en entendre parler, ni en référer à qui de droit ; la Cour des comptes a fait état de son défaut de compétence et ce n’est pas sur le Conseil Constitutionnel qu’il faut compter pour dénoncer une situation, que son éthique si particulièrement souple, lui permet d’accepter sans état d’âme.
Même le Parquet National Financier a préféré regarder ailleurs.
Autant dire que l’on doit constater la défaillance de toutes les institutions instaurées pour garantir l’Etat de droit puisque tout ce petit monde reste solidaire et refuse clairement de corriger des abus manifestes …
Il s’agit clairement d’un dévoiement des institutions au profit de petits arrangements entre amis fatalement préjudiciable au fonctionnement de la démocratie …
Il est aussi évident qu’avec un tel exemple, les autres fonctionnaires ne vont pas hésiter à user, eux aussi, de tous les passe-droits pour obtenir des avantages significatifs même s’ils sont illégaux !
La haute fonction publique va-t-elle dès lors se réduire à une foire d’empoigne des rémunérations illégales ?
La France n’est pas une démocratie, c’est une République monarchique contrôlée par une oligarchie qui se croit investie de tous les pouvoirs et qui, visiblement, persiste à s’estimer au-dessus des lois !
D’ailleurs, cette oligarchie poursuit inlassablement sa prédation malgré la crise économique, politique et financière en cours …
Parlera-t-on un jour d’association de malfaiteurs comme l’a fait récemment un juge parisien pour décrire un tel mécanisme ?
Bien cordialement à tous !
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