Il est toujours étonnant, et absolument navrant bien sûr, de constater à quel point l’État français, qui se montre souvent prodigieusement incompétent et/ou impuissant dans tant de domaines qui lui incombent naturellement ou qu’il s’est arrogé au fil du temps (régalien, santé, éducation, etc.), retrouve soudain une énergie doublée d’une efficacité redoutable dès lors qu’il s’agit de taxer les contribuables et de réduire leurs libertés les plus essentielles.
« Nous ne céderons rien » au terrorisme, s’exclamait Emmanuel Macron vendredi 23 avril dernier, alors qu’une fonctionnaire de police venait de succomber aux coups de couteau d’un terroriste islamiste en plein commissariat de Rambouillet. Six mois plus tôt, après la décapitation de l’enseignant Samuel Paty, puis dans les circonstances tragiques de l’attaque au couteau qui avait fait trois morts dans la basilique Notre-Dame de Nice, il disait exactement la même chose.
Ils ne passeront pas, nous ne céderons rien… et pourtant, la série noire continue, inexorable, chaque nouvel assaut constituant une véritable gifle portée à la face d’un gouvernement désespérément impuissant à enrayer la marche du terrorisme islamiste.
Non pas que cela soit chose facile. Il existe bel et bien un « revival islamiste » totalitaire et violent qui n’a rien à voir avec la situation particulière de la France, qui n’est pas limité à la France et qui pourrit durablement les esprits. Comment avoir prise sur des assaillants qui n’hésitent pas à mener leur petit djihad personnel ou commandité tout en sachant fort bien que la probabilité qu’ils y trouvent également la mort est extrêmement élevée ?
Comment les détourner de leurs pulsions mortelles quand chez nous, trop d’idiots utiles (comme Mélenchon, Hanouna ou certains enseignants de Sciences Po Grenoble) pratiquent assidument l’inversion des victimes et des bourreaux en dénonçant toute critique des abus de l’islam et toute caricature du prophète Mahomet comme la preuve de l’islamophobie fondamentale de la France ?
En revanche, difficile de passer sous silence à quel point les services de l’État font trop souvent preuve de négligences répétées dans leurs missions régaliennes au quotidien. Pas une attaque terroriste récente qui ne mette en évidence un manquement gravissime ici ou là. Un « loupé » comme disait gentiment Laurent Nuñez quand il était secrétaire d’État à l’Intérieur.
Sauf que les loupés s’accumulent dangereusement. Les premiers éléments de l’enquête consécutive à l’attaque de Rambouillet ont montré par exemple que l’assaillant était un Tunisien entré clandestinement en France en 2009 et qu’il y avait ensuite vécu en situation irrégulière pendant plus de 10 ans. Comment cela est-il possible ?
Parmi les affaires de ces dernières années, on peut citer aussi le cas de Mickaël Harpon, cet informaticien de la Préfecture de Police de Paris qui avait donné à ses collègues de vifs motifs d’inquiétude quant à sa radicalisation sans que leur hiérarchie ne daigne les prendre en considération. L’individu a finalement tué quatre personnes à l’automne 2019 dans l’enceinte même de la Préfecture.
Ou encore celui du responsable de l’attentat au couteau qui a fait deux blessés devant les anciens locaux de Charlie Hebdo le 25 septembre 2020 dernier : il avait menti sur son âge à son arrivée en France pour bénéficier du statut de mineur isolé et de l’aide sociale à l’enfance. Quant à l’assassin de Samuel Paty, son compte twitter très porté sur le djihad et les scènes fictives de décapitation avait été signalé à plusieurs reprises aux services compétents.
Force est de constater également que nos autorités publiques ont la détestable tendance à se montrer systématiquement sévères avec les automobilistes ou les étourdis qui oublient leur masque chirurgical, mais restent hélas trop systématiquement pusillanimes dès que les choses se compliquent.
Et encore me contenté-je ici de parler du terrorisme qui endeuille la France puisque c’était le grand sujet du week-end passé. On pourrait y ajouter tous les « loupés » qui font que notre système de santé n’a pas été capable de résister au coronavirus et que notre système éducatif figure parmi les moins performants au sein des pays de l’OCDE. Sans oublier les multiples débâcles de l’État stratège, employeur, informaticien ou aménageur du territoire dont j’ai déjà eu l’occasion de parler.
Sachant tout cela, on a du mal à croire que l’État puisse réussir quoi que ce soit, mais il est cependant un domaine, un seul, où il excelle : celui qui consiste à entraver autant que faire se peut les libertés fondamentales de ses citoyens, à commencer par leur liberté de disposer du produit de leurs activités économiques. (On pourrait tout aussi bien parler des mesures d’exception prises dans le contexte de la pandémie de Covid).
Bien sûr, même dans un État libéral, il est nécessaire de prélever de l’impôt afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes. Mais observons que le niveau de prélèvement atteint en France dépasse depuis longtemps tout ce qui se fait ailleurs dans le monde et dépasse également de très loin le stade nécessaire pour remplir intelligemment l’objectif régalien susmentionné.
Et de fait, Bercy n’a pas son pareil pour traquer toutes les assiettes fiscales possibles, toutes les nouvelles activités, toutes les modes comportementales, afin de faire rentrer les précieux deniers qui permettent à la nomenklatura politico-étatique de « faire quelque chose », théoriquement pour le bien des citoyens, et de devenir indispensable à ces mêmes citoyens via une abondante redistribution et un clientélisme judicieusement calculé pour durer.
Hormis quelques recettes spécifiques telles que les dividendes perçus sur les participations de l’État dans diverses entreprises anciennement nationalisées ou sauvées des eaux par pur « volontarisme » politique, les pouvoirs publics n’ont pas de ressources financières propres. D’où l’importance extrême, je dirais même vitale pour la classe politique d’affecter l’essentiel de l’énergie et de la matière grise disponibles dans la fonction publique à la collecte de l’impôt.
Quand on apprend que le logiciel de gestion des ressources humaines de l’Éducation nationale (le fameux SIRHEN) doit être abandonné après dix ans de développement et une facture inutile de 400 millions d’euros pour les contribuables, on a tendance à s’attendre à ce que le prélèvement de l’impôt à la source se mette en place dans la douleur. Eh bien non, pas du tout, tout roule au contraire à merveille !
Car on ne parle pas ici de dépenser l’argent public à tort et à travers comme c’est toujours le cas lorsque quelqu’un s’occupe de dépenser de l’argent qui ne lui appartient pas pour quelque chose qui ne le concerne pas – ce qui se trouve être exactement la position des administrations publiques selon la célèbre classification de Milton Friedman sur les quatre façons de dépenser de l’argent (voir schéma ci-dessous) :
Il s’agit, de façon bien plus importante comme vous vous en doutez, de faire rentrer les sommes qui vont servir ensuite d’argent de poche à nos politiciens pour faire avancer leur carrière et rester le plus longtemps possible aux manettes de la France, de leur région ou de leur village. Et là, pas question de manifester la moindre indolence.
Personne ne pourra jamais taxer le fisc (ni son alter ego l’Urssaf) de laxisme ou de négligence. Personne ne pourra jamais lui reprocher de ne pas procéder à tous les contrôles et redressements les plus méchamment tatillons. Et personne ne pourra jamais l’accuser non plus de laisser perdurer longtemps des trous béants dans la raquette du racket fiscal. La doctrine est simple : pour l’État, pour ses représentants et pour les collecteurs d’impôt qui les servent, le citoyen est un voleur en puissance qu’il convient de traiter comme tel.
C’est ainsi que les parents d’ados addicts au site Vinted pour revendre ou échanger leurs vêtements (façon braderie mais en ligne) ainsi que les contribuables faisant appel à d’autres plateformes collaborative du même genre ont eu ces jours-ci la surprise de voir les sommes en jeu figurer comme revenus préremplis sur leur déclaration d’impôt de l’année 2020.
Il existe bien évidemment des seuils en nombre et en montants pour différencier les utilisateurs occasionnels des vendeurs éventuellement professionnels, mais ce petit épisode de la vie fiscale ordinaire est néanmoins cruellement révélateur de ce que l’État est capable de mettre sur pied en fait de réglementation ultra-complexe et de sommation des plateformes pour qu’elles communiquent sans regimber le détail de l’activité de leurs utilisateurs.
Autrement dit, l’impuissance de l’État est à géométrie extrêmement variable. Il est plus que temps que le personnel gouvernemental et les élus se rappellent que le sens du pouvoir va des individus vers le haut et non de l’État vers le bas.