Je ne me serais pas posé la question sans tout le tintouin actuel autour de l’esclavage. J’avais l’impression diffuse que cette période révolue faisait partie de ces espaces de société dont on a entendu parler mais dont les émotions ne nous sont plus accessibles.
Puis les commentateurs, toujours prolixes, m’ont fait comprendre que l’esclavage existerait encore, mais sous des formes plus « civilisées ». Comme le reste en quelque sorte. Comme toute notre civilisation qui ne paraît être capable que d’atténuer physiquement les souffrances, sans en changer l’intensité perçue émotionnellement par chacun de nous.
Par exemple, le monde ouvrier ne serait pas loin d’être à considérer comme composé de modernes esclaves… surtout chez nos concurrents.
Ma curiosité aiguisée, je suis allé voir sur Wikipédia. C’est fou la culture au rabais, accessible à tous, dont moi. C’est bien pratique. Ça ne vaut sans doute pas une thèse à La Sorbonne, on court le risque d’une mauvaise interprétation, mais quand même…
Wikipédia dit ceci : « L’esclavage est l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux »
Ou encore : « Voici une définition du travail forcé que l’on peut rapprocher de celle de l’esclavage : le terme travail forcé ou obligatoire désignera tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel le dit individu ne s’est pas offert de plein gré »
Et encore : « On désigne une société dont les esclaves occupent une fonction indispensable à son fonctionnement global sous les termes de société esclavagiste »
Et enfin : « Par glissement sémantique, certaines situations sont assimilées à de l’esclavage moderne : le proxénétisme, le travail forcé. »
Alors là, les bras m’en tombent.
Il est clair que Bercy exerce sur moi des attributs du droit de propriété en s’appropriant la plus grande part de mes revenus.
Il n’est pas douteux que Bercy me menace et m’oblige à travailler pour pouvoir exercer sur mes revenus ce droit de propriété qu’il appelle l’impôt, qui permet à d’autres, qui ont pris moins de risques que moi et qui ont nettement moins travaillé, d’en profiter. Tout cela sans mon consentement.
Il est tout à fait certain que j’occupe une place indispensable au fonctionnement global de notre société, que donc celle-ci peut être qualifiée « d’esclavagiste ».
En résumé, par glissement sémantique, je crois bien que je suis un esclave.
C’est donc cela, ce malaise qui m’étreint, cette tristesse qui s’empare constamment de mon humeur, cette désespérance que j’affronte jour après jour.
C’est donc cela, ce regard des autres qui me cloue au pilori, cette justice qui m’ignore et se contente de me renvoyer à ma misère, sans un regard pour les injustices que je subis et que pourtant je lui démontre.
C’est donc cela, la crainte constante qui s’est emparée de moi, cette peur d’être espionné et calomnié par mon banquier, mon comptable, mon notaire.
C’est donc cela, mon exclusion sociale, la condescendance avec laquelle me regardent les fonctionnaires que je suis obligé de solliciter pour un oui ou pour un non.
C’est donc cela, le sourire narquois avec lequel me considèrent les politiques ou autres tenants du pouvoir.
C’est donc cela, l’attitude des agents des impôts qui me prennent pour une merde, rien de plus.
Tous en réalité me voient comme je suis : un esclave.
La journée de commémoration de l’esclavage ne sera pas perdue pour tout le monde, elle m’aura permis de me situer.
Le fait que je ne sois pas le seul dans mon cas ne me console en aucune manière. D’une part parce que je ne suis pas certain que les autres aient conscience de leur condition, d’autre part parce qu’aucune révolte d’esclaves n’a jamais abouti.
Ainsi je ne peux même pas rêver à un grand mouvement des « Esclaves », semblable à celui des « Pigeons », qui regrouperait tous ceux qui sont des esclaves au service de Bercy, que je rêve, tous les 14 Juillet, de raser jusqu’à la dernière pierre.
Bien cordialement. H. Dumas