J’ai un ami avec qui j’aime échanger. J’aimerais qu’il publie sur ce blog, mais il n’est pas motivé, peut-être sommes-nous ici un peu trop intransigeants.
Appelons-le MY, sachons que c’est un homme brillant, intègre, catholique, plutôt du côté de l’ordre, mais lucide et honnête.
Notre discussion que je publie avec son autorisation porte sur le pouvoir et le service, enfin une fois les arguments avancés.
Les discussions ont ceci de magique c’est qu’elles prennent corps au fur et à mesure de leur développement. Celui qui conclut comme moi maintenant a l’avantage, mais disons que nous ne sommes pas dans une compétition et qu’il s’agit juste de faire progresser la pensée.
Notre discussion a avancé jusqu’à la logique du pouvoir et sa nécessité, un point de désaccord total entre nous, tout en respectant la vision de chacun.
Pour moi l’Etat n’existe pas, les hommes de l’Etat non plus, le pouvoir est une pulsion individuelle pas un besoin collectif.
En revanche le service public est une nécessité, il n’a pas besoin du pouvoir, je dirais même au contraire.
Prestataire de service j’ai passé ma vie à servir, la plupart du temps des hommes du pouvoir public ou privé, ce sont les mêmes.
Je n’ai jamais touché au pouvoir, j’aurais pu. Mais je n’étais pas sûr d’être capable de maîtriser cette pulsion et les conséquences possibles sur les autres me faisaient peur.
Le pouvoir est une pulsion personnelle violente, du même niveau que les pulsions sexuelles. On voit comment l’église qui a eu la prétention de maîtriser les secondes s’y est engloutie, c’est un peu le même destin qui attend ceux qui pensent pouvoir maîtriser les pulsions du pouvoir politique.
Quand on a compris cela, on a tout compris, tout s’éclaire.
Venons-en à ce qu’écrit mon ami, lors d’une de ses lettres qu’il publie régulièrement :
« Renan définissait la nation « comme une grande solidarité constituée par le sentiment des sacrifies qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore ». Ce rappel me conduit à répondre à un ami qui, à propos d’une de mes chroniques, niait la notion « d’affaire d’Etat » non pas en discutant sur les faits rapportés, mais sur l’inexistence de l’Etat au profit des seuls Français, c’est-à-dire, de la nation.
Au risque de paraître cuistre ou discutailleur, il me semble utile d’essayer de définir l’entité qui nous rassemble.
Il y en a d’abord une très concrète : le pays. Chacun sait de quoi l’on parle quand on évoque le pays. Des régions, des paysages, des frontières, naturelles ou non. C’est un ensemble géographique dans lequel nous avons le sentiment de pouvoir nous mouvoir librement, où nous sommes partout chez nous, où l’on parle la même langue. Le pays fait l’unité tangible de la nation.
La nation n’est, ni pour Renan ni pour quiconque, une réalité concrète. Elle est cependant, autant que le pays, facteur d’unité. Mais elle ne se voit pas, ne se touche pas, ne se sent pas. Elle échappe aux sens. Mais comme le disait Saint Exupéry « On ne voit bien qu’avec le cœur ». La nation se ressent. Le lien national est fait de sentiments. C’est pourquoi il est si ténu. Il peut changer, s’interpréter et devenir le sujet de polémiques inextricables et de guerres civiles.
Il y a donc une troisième entité, l’Etat, chargé par la nation de maintenir le lien national dans le pays.
Les anarchistes nient l’Etat, délégataire de cette autorité, estimant que la nation suffit à faire respecter le lien national. Les dictatures imposent un Etat contre la nation et seules les démocraties, parce qu’elles se veulent plus raisonnables, reconnaissent dans l’Etat l’autorité à laquelle elles se soumettent pour rendre lisible le lien national.
L’affaire d’Etat survient donc dans une démocratie lorsque l’Etat contrevient à cette obligation en masquant à la nation les moyens d’éclaircir une situation qui demeure incompréhensible aux yeux de tous. Ce peut être un scandale. La France en a connu beaucoup, de l’affaire Dreyfus à l’affaire Stavisky en passant par l’affaire du trafic des légions d’honneur, à l’affaire Boulin, à l’affaire Ben Bella et tant d’autres. Ce peut être aussi, à défaut de scandale, un simple mensonge, l’affaire du Rainbow Warrior, ou une pratique illégale, les écoutes de l’Elysée, etc… Dans tous les cas, il s’agit d’un cas où l’Etat, représenté par le pouvoir, s’est mis en position de distendre ou de rompre le lien national et a ainsi failli à sa mission.
Je ne crois pas qu’il faille avoir de la nation une vision aussi pessimiste que celle de Renan. La nation n’a pas que des sacrifices à accomplir en commun. Elle a aussi un destin que l’Etat est chargé de faire aboutir. »
Bon, il est possible que je sois l’anarchiste dont il est question, ou si ce n’est moi c’est donc mon frère.
Ma réponse :
« Pour le sentiment de nation je peux te suivre, d’autant que tu es très prudent.
On pourrait dire qu’il s’agit d’un partage culturel global qui inclut principalement la nation et qui nous façonne de façon indélébile. OK
Quant à l’Etat, aucune excuse pour les hommes de l’Etat qui ne représentent qu’eux-mêmes, qui oublient qu’ils n’ont qu’un mandat, et qu’une nécessité ponctuelle là où nous ne pouvons agir qu’en groupe.
Partout ailleurs ils usurpent une fonction qu’ils devraient avoir la pudeur de ne pas s’attribuer. »
La discussion est ouverte, vous pouvez participer.
Bien à vous. H. Dumas
J’ai un article sur ce sujet – toujours en réflexion – jamais publié !
affaires d’Etat, raison d’Etat, … ce ne sont que des déviances du comportement de certaines personnes qui souhaitent se camoufler derrière une structure qui leur sert de paravent et pour justifier leurs (mauvaises) actions !
Etat, que d’abus n’a-t-on commis en ton nom !
L’Etat, comme la nation, sont des notions purement intellectuelles et des modes d’organisation de la société et de sa domination par une caste donnée qui correspondent à un état de celle-ci à un moment donné.
Il y a 2.000 ans et pendant tout le moyen Age l’Etat n’existait pas ; seules des familles royales ou princières (qui avaient suffisamment d’argent pour se payer des armées) gouvernaient. En Grèce c’était des cités libres mais il y avait toujours une oligarchie au pouvoir.
La nation remonte à la Révolution française. Pendant la guerre de cent ans, il n’y avait pas un conflit entre des anglois et des français mais entre des princes pour la captation du royaume de France (c’était seulement une guerre de succession à laquelle les princes français ont répondu qu’un prince ne pouvait pas devenir Roi de France en revendiquant une ascendance par les femmes ; ce qui était le cas d’Edouard III).
Ils ont ressorti opportunément une vieille loi salique des francs (saliens) dont personne n’avait jamais entendu parler pour justifier leur main-mise sur le royaume de France. Pour mémoire, Richard Coeur de Lion, fils d’Aliénor d’Aquitaine, était duc d’Anjou et ne parlait pas l’anglais (enfin plus exactement l’anglo-normand).
Quant au peuple, en cette année 1348, il ne connaissait que son seigneur local qui était censé le protéger mais qui souvent l’opprimait. Pour lui l’Etat s’arrêtait au seigneur !
C’est seulement bien plus tard, au moment de l’émergence de la notion nouvelle de nation qu’on nous a sorti Vercingétorix (sous Napoléon III) et qu’on a inventé l’ennemi héréditaire anglais.
Cher Henri réfléchir c’est un chemin difficile, c’est pourquoi la plupart des gens jugent hâtivement.
La vie met des pierres sur nos routes. En fait le libéralisme permet de pouvoir décider d’en faire des ponts et non des murs.