Paul Watson, le berger des mers, est aussi un pirate
Le fondateur de Sea Shepherd défend la « non-violence agressive ». Quitte à être accusé de terrorisme pour sa défense musclée de l’environnement. Portrait.
Par Samuel Dufay
« Si les poissons disparaissent, les océans mourront. Si les océans meurent, nous mourrons tous dans les dix années suivantes », assurait Paul Watson, en 2018, au quotidien de l’écologie en ligne Reporterre. À 69 ans, le « berger des mers » (sea shepherd) canadien a consacré sa vie à la protection des océans et des espèces marines.
Dans ses ouvrages, comme dans les interviews qu’il accorde volontiers, il n’a de cesse d’alerter sur les ravages causés par la pêche intensive. Un engagement pour lequel le magazine Time l’a désigné, en 2000, comme l’un des grands écologistes du XXe siècle. Cet homme à la voix posée, dont la barbe blanche évoque un personnage de dessin animé, est pourtant sous le coup d’un mandat d’arrêt international.
Quelques coups de sang
Il est vrai que ses méthodes sont radicales. Après avoir contribué à fonder l’ONG Greenpeace au début des années 1970, il quitte l’organisation en 1977, officiellement parce qu’il juge ses méthodes trop passives. À en croire Robert Hunter, l’un de ses anciens compagnons de route, il aurait plutôt été poussé dehors pour avoir molesté un chasseur sur le point de tuer un phoque…
J’ai vu dans cet œil que la baleine comprenait ce qu’on faisait.
La Sea Shepherd Conservation Society, qu’il crée la même année, fait le choix de l’action directe pour protéger la biodiversité. Une orientation qui doit beaucoup, semble-t-il, à une expérience fondatrice : en 1975, tandis qu’à bord d’un canot pneumatique, il essaye de s’interposer entre une flotte de baleiniers soviétiques et un cachalot blessé par un harpon, son regard croise celui de la bête mourante. « J’ai vu dans cet œil que la baleine comprenait ce qu’on faisait. Ma vie a changé », confiera-t-il au journal Libération. Depuis, les bénévoles de Sea Shepherd n’hésitent pas à s’attaquer aux baleiniers qui, sous le couvert de recherche scientifique, violent le moratoire de 1982 interdisant la chasse commerciale. Le drapeau noir de l’organisation arbore d’ailleurs une tête de mort, même si Watson s’enorgueillit de n’avoir jamais blessé quiconque au cours de ses opérations.
Guérilla navale
En 1980, l’ONG coule le baleinier Sierra en plein port de Lisbonne. En 2011, à force de guérillas navales, elle contraint le Japon à suspendre sa campagne de pêche dans l’Antarctique. Depuis, Sea Shepherd revendique la saisie de dizaines de navires de braconnage et la confiscation de milliers de filets illégaux. La stratégie de Watson est de viser les baleiniers au portefeuille, en les empêchant d’atteindre le seuil de rentabilité qui motive leurs expéditions. De quoi faire grincer quelques dents…
Arrêté en Allemagne en mai 2012, il parvient à s’enfuir. Poursuivi par le Costa Rica et le Japon, inscrit sur la liste rouge d’Interpol, il trouve refuge en France en 2015. Pour ses détracteurs, derrière le « berger des mers » se dissimule un véritable terroriste, prêt à enfreindre la loi et à recourir à la violence. « Le but est d’infliger des dommages économiques, matériels, voire psychologiques et physiques à ceux qui profitent de l’exploitation de l’environnement ou qui contribuent à sa destruction », explique Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement et auteur, avec Jamil Abou Assi, d’Écoterrorisme. Altermondialisme, écologie, animalisme. De la contestation à la violence (Tallandier, 2016). Terroriste, lui ?
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Non-violence agressive
L’intéressé récuse cette étiquette. Les actions de Sea Shepherd relèvent à ses yeux d’un concept inédit, la « non-violence agressive » : « En réalité, détruire un harpon, ôter le fusil des mains d’une personne qui va tuer un animal ou un homme sont des actes de non-violence, car vous détruisez un objet pour sauver une vie », argumente-t-il en 2015, sur le site du journal Télérama. Paul Watson et ses compagnons ne sont aujourd’hui pas les seuls à recourir à la force au nom de la protection de la planète. Fondé en 1992 en Royaume-Uni, l’Earth Liberation Front (ELF, « Front de libération de la Terre ») s’est ainsi fait connaître jusqu’aux États-Unis en incendiant, en 1998, une station de ski dans le Colorado.
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Le Federal Bureau of Investigation (FBI) estime à 43 millions de dollars les dégâts causés entre 1996 et 2002 par les associations « écoterroristes ». En Europe, des altermondialistes aux activistes des ZAD, ces « zones d’aménagement différé » devenues « zones à défendre », d’autres défenseurs de l’environnement ont aussi prouvé qu’au nom de la protection de la nature, l’écologie pouvait être violente et entrer dans l’illégalité. Les pirates du climat auraient-ils de beaux jours devant eux ? ●
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